Tout est possible

L’universalité du droit de vote fait-elle du sens ?

7 mars. Date des dernières votations cantonales genevoises et fédérales. Du premier tour de l’élection complémentaire au Conseil d’Etat aussi. Le 29 novembre dernier, le droit de vote a été restitué aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées sous une mesure de curatelle de portée générale. Une loi pour laquelle j’ai activement fait campagne. Le peuple l’a acceptée à la majorité par 75% des suffrages). Tous les citoyens disposent des mêmes droits civiques, bien que leurs capacités soient différentes. Qu’est-ce que cela impose ? Que penser des publications médiatiques choquantes ? N’est-ce pas le reflet de la population, handicap ou non ? Cette votation, n’a-t-elle pas permise de questionner les pratiques en matière de citoyenneté à l’échelle de la société ?

 

Évidemment !

 

Selon Monsieur le Conseiller d’Etat Thierry Apothéloz :

« Quand on a dix-huit à Genève et qu’on est Suisse, on peut voter. Quand on a dix-huit ans à Genève et qu’on n’est pas Suisse mais installé dans le pays depuis huit ans, on peut voter aussi, sur le plan communal. Comme toutes les grandes avancées sociales, il a fallu beaucoup d’énergie et de patience pour que la majorité adhère à cette conclusion d’évidence. A partir du moment où les conditions exprimées ci-dessus sont remplies (on pourrait les étendre encore), toute personne dispose d’une voix. Rien ne s’y oppose. Sinon, sur quelle base le ferait-on ? Les opinions politiques ? Cela existe et porte un nom, la dictature. La couleur, la langue, la religion ou l’origine ? Cela aussi porte un mon, l’apartheid, et même plusieurs si l’on inclut parmi eux le racisme. L’identité sexuelle ou l’état de santé ? L’humanité a connu des heures sombres où, sur de telles bases, on a exploré l’eugénisme, pensée maléfique visant à déterminer qui a droit et qui n’a pas droit à la pensée, à l’expression, au respect et même à la vie.

La pensée réelle ou supposée, le genre ou l’origine n’altère pas les droits d’une personne. De même, selon le comité d’application de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), la capacité d’une personne de prendre des décisions ne peut être invoquée pour restreindre l’exercice des droits politiques ».

 

Comme tout le monde

 

Rappel de l’art.29 de la Convention des Droits des Personnes Handicapées et de la votation genevoise du 29 novembre dernier : cette dernière a envoyé un message fort de reconnaissance de l’Etat de Genève des personnes en situation de handicap (qu’il soit cognitif ou psychique) en tant que citoyen à part entière. Signe de dignité (re)trouvée. Cela répare-t-il une injustice ? Cette loi concerne également des personnes qui se sont vu retirer leurs droits civiques plus tardivement dans leur vie, lorsqu’elles ont été placées sous une mesure de curatelle de portée générale (souvent, pour la gestion de leur affaires privées). Il y a plus à perdre en retirant le droit de vote à certaines personnes qu’en le laissant, même si toutes ne voteront pas, par manque d’intérêt ou parce que l’exercice est trop difficile. Une notion de respect.

Bien qu’il s’agisse de 1’200 personnes en tout, un nombre pouvant paraître petit ou grand selon son point de vue, personne ne doit être laissé sur le bord du chemin. Un pas a-t-il été accompli en matière d’inclusion ? Qu’est-ce que ça change pour les personnes concernées ?

 

Exercer ce droit

 

Quelles sont les attentes ? Quelle est la mission des associations ?

Les personnes concernées ont-elles votées le 7 mars ? Certaines oui, d’autres non. Certains ont exprimé de l’intérêt vis-à-vis de leur nouveau droit, souhaiteraient l’exercer mais n’y parviennent pas encore, d’autres n’auront pas envie de l’exercer ou l’ont fait car ils en ont les moyens. C’est le reflet de l’ensemble de la population. Chacun est libre de s’exprimer (voir article « Une voix méprisée, une vie sacrifiée »).

Pour arriver à cette situation, l’Etat est responsable de rendre accessible l’acte de voter à tout le monde. Mais ce n’est pas une évidence en soi. Cela induit une connaissance du système politique suisse. La mission des associations et des institutions est là. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place un ensemble de dispositifs de formation.

Objectif : la participation civique est réellement un choix à savoir décider si on veut par exemple voter ou non et choisir librement ce qu’on veut voter voire voter blanc. « Dans une société responsable, on doit être en mesure d’instruire, d’accompagner et de respecter les choix exprimés par toutes et tous », selon Monsieur le Conseiller d’Etat Thierry Apothéloz.

 

Rôle de l’Etat

 

Voyons d’abord si les personnes concernées ont été remarquées. Une attention particulière leur a été accordé ? Jean-Pierre Isabella, ancien Conseiller municipal PLR et Président du Bureau de vote à Carouge le 7 mars dernier, a aperçu deux personnes qui ont exercé leur droit. Celui qu’ils avaient récupéré. Les lieux étaient accessibles et ils ont pu faire comme tout le monde et mettre leur bulletin dans l’urne. Il est à espérer qu’elles ont toutes été accueillie de la même manière aux autres endroits.

En trois mois, le premier travail du Département de la Cohésion Sociale du Canton et de la République de Genève a été d’identifier toutes les personnes concernées et s’assurer de la bonne distribution du matériel de vote. Aujourd’hui, il doit d’abord s’assurer qu’elles l’aient toutes bien reçu.

Tenant compte que les votations prennent du temps à lire et sont complexes pour tout le monde, l’Etat se devra de les rendre accessible, en plus des explications d’utilisation du matériel de vote.

Le Grand Conseil fribourgeois a voté en octobre dernier la transcription du matériel utile aux votations en langage FALC (langage facile à lire et à comprendre ; exemple de la votation genevoise sur les droits politiques). Est-ce la possibilité pour les cantons de collaborer entre-eux en ce qui concerne les votations fédérales et ne pas faire le travail inutilement plusieurs fois ?

Autre question : l’Etat se doit-il de soutenir financièrement les initiatives entreprises par d’autres organisations ?

Dernier point : grâce à une communication accessible, l’Etat transmet le signe que l’ensemble des citoyens peuvent et devraient prendre part aux décisions qui les concernent. Une avancée qui n’est en fait qu’une simple notion de respect.

 

Missions des institutions et des associations

 

Il est à noter également que la bibliothèque braille romande et livres parlés propose déjà les votations cantonales genevoises et fédérales enregistrées en audio. D’autre part, ASA Handicap mental aimerait proposer des formations. Les associations sont déjà passé à l’action et facilitent l’acte de voter. Une bonne collaboration avec elles est recommandée !

Du côté des institutions pour personnes en situation de handicap (environ 300 des 1200 personnes concernées à Genève), un processus participatif est encouragé. Pourtant, les mesures contre le COVID-19 imposent des limitations non négligeables (pas de rassemblements entre les résidents possibles).

Parmi le processus, les actions suivantes sont notamment prévues (recommandées par le Conseil d’éthique dont je fais partie) :

– Faire savoir que le droit de vote leur est (ré)acquis

– Accompagner et proposer une formation au système politique suisse (tant pour les employés étrangers que pour les résidents)

– Réunir les intéressés autour d’un débat quand ce sera possible (le COVID-19 ne le permet actuellement pas encore)

– Un complément devra être apporté au cahier des charges des salariés

 

Les choses se mettent en place

 

Petit-à-petit. Mais pas trop vite. Tout processus prend du temps à établir au niveau de l’Etat. Les associations viennent à la rescousse. La Suisse, sans vouloir la critiquer (les gens savent à quel point je suis attachée à mon pays), est championne dans ce domaine. Il s’agit aujourd’hui de faciliter cette procédure qui sera, sans aucun doute, la bienvenue à bon nombre d’autres personnes, tellement les textes de loi sont complexes. On pourrait même se poser la question si l’accessibilité des textes de loi en langage FALC augmenterait, sur le long terme, la participation citoyenne ?

Bref, accordons un minimum de temps pour la mise en place de mesures permettant d’aller de la situation A à la situation B, sans oublier les moyens effectifs et financiers que cela demande et que l’Etat, entre autres, devra engager. Je propose de suivre l’évolution et de faire le point dans quelques temps.

 

Un peu d’histoire pour conclure une avancée considérable

 

Dernier message adressé par Monsieur le Conseiller d’Etat Thierry Apothéloz :

« Cela me rappelle d’autres combats. Le suffrage féminin, par exemple, n’a été accordé sur le plan fédéral qu’en 1971. La comparaison est probante car Genève avait précédé la Confédération en accordant les droits politiques aux femmes en 1960. J’attends que, de même, s’agissant de l’usage des droits politiques par les personnes en situation de handicap, l’exemple genevois soit suivi sans réserve sur le plan fédéral (révision de l’article constitutionnel) et national (majorité nécessaire du peuple et des cantons). Bien sûr, j’entends les ronchons pour qui le vote des personnes handicapées ou en difficulté sociale risquerait d’être capté ou détourné par d’autres. Mais c’est exactement ce que disaient les opposant masculins au suffrage accordé – je préfère dire octroyé – aux femmes ! En 1921, sur ce sujet, au Grand Conseil genevois, on s’époumonait à lister les “dangers” du suffrage féminin. En 1940, le mémorialiste consignait le 7 mars les propos d’un député selon lequel “celui qui veut encore respecter la femme votera contre le suffrage féminin”. Treize ans plus tard, en 1953, un autre député jugeait “invraisemblable que l’on s’apprête à accorder d’un seul coup aux femmes l’ensemble des droits politiques sans qu’elles aient eu le temps de s’initier à la vie publique”. Désormais, ces droits acquis consolident la démocratie qui fonde notre système politique.

S’agissant des droits civiques de la moitié de la population, Genève a fait sauter ainsi un verrou avant la Confédération. De même, il serait souhaitable à présent que le nouvel exemple donné par Genève fasse boule de neige jusqu’à Berne afin que la constitution fédérale soit adaptée dans le sens du respect universel et du refus élémentaire de la catégorisation des gens. »

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