L’inégalité salariale est le symptôme d’une maladie plus profonde

Sexisme, ségrégation horizontale et verticale sur le marché du travail, discrimination au recrutement et à la promotion, assignation à la sphère familiale… l’écart salarial est l’effet d’une série d’inégalités dans les parcours féminins que le monde politique se montre (pour l’instant) peu enclin à combattre.  

 

 

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi fédérale sur l’égalité (LEg) en 1996, l’écart des salaires entre les femmes et les hommes sur le marché du travail est périodiquement évalué. Et depuis, nous avons les yeux figés sur un chiffre qui évolue peu : 20%, 19%…  Mais en 20 ans, l’écart reste tout aussi important.

Au moment où la LEg est revue au niveau fédéral, il est important de revoir les origines de ce mal que toutes et tous s’accordent sur la nécessité de contrecarrer, mais pas sur les moyens et les responsabilités pour y parvenir.

L’écart salarial est le symptôme d’une maladie plus profonde : les discriminations et les inégalités vécues tout au long du parcours scolaire, de formation et professionnel des femmes. Tour d’horizon.

 

Le rose et le bleu

On ne naît pas femme, disait la philosophe. Non, on apprend à le devenir à force d’avoir été exposées à des clichés bien construits au fils des générations. Filles douces et garçons courageux… ce sont les deux idéaux-types présents dans la grande (énorme !) majorité des livres pour enfants, préparant déjà nos futur·e·s citoyen·ne·s à des rôles bien différents dans la société.

À l’école, les lieux communs ont aussi la vie dure. Les hommes sont plus représentés que les femmes, soit comme personnages fictifs ou réels, soit comme auteurs étudiés. Les personnages féminins sont (quasi-)absents de l’espace politique et intellectuel et sont surreprésentés dans la sphère domestique.

En Suisse, les filles continuent à être orientées préférentiellement vers des métiers « féminins » – les métiers du soin, par exemple, moins prestigieux et moins rémunérés – et les garçons vers les métiers « masculins » – les métiers de l’ingénierie, notamment.

 

Après l’école, chacune et chacun joue son rôle 
Au moment où elles et ils sont amené-e-s à formuler leurs projets d’avenir, filles et garçons cherchent à confirmer leur appartenance au groupe des pairs en essayant de s’accorder au mieux aux stéréotypes de genre.

C’est ainsi tout naturellement, ou devrais-je dire « tout socialement », que les femmes se voient attribuer la charge de mener à bien vie professionnelle et soins à la famille. Devenir parents en Suisse équivaut pour la plupart des couples à devenir inégaux. D’ailleurs, toute la société helvétique est bien calquée sur le modèle « papa à temps plein et maman à temps partiel ». La preuve : la capacité d’accueil de la petite enfance reste toujours en deçà des besoins.

Le milieu professionnel semble toujours mal adapté aux femmes : licenciements abusifs après la grossesse, difficulté d’allaiter ou de tirer son lait après le retour au travail, congés parentaux insuffisants, harcèlement sexuel au travail…. Tant de messages réitérés aux femmes qui font penser qu’elles ne sont pas les bienvenues dans le monde professionnel.

 

Biais de genre dans l’accès aux postes à responsabilité

Ces obstacles mis bout à bout ont un effet bien réel : plus on monte dans la hiérarchie d’une profession, moins on trouve de femmes.

Beaucoup diront « mais les femmes sont moins ambitieuses » ! Vraiment ? Alors pourquoi remplissent-elles les auditoires des universités, des hautes écoles et des polytechniques ? Pour faire du tricot ? Non, si les jeunes femmes intègrent des études poussées, c’est bien parce qu’elles envisagent des carrières professionnelles exigeantes. La faute, ensuite, au milieu professionnel qui peine à les intégrer.

Et c’est déjà au moment du recrutement que les femmes, surtout celles s’aventurant dans les bastions masculins, sont jugées plus sévèrement par leurs futurs employeurs, qu’ils soient des hommes ou des femmes. Une fois recrutées, les femmes ne se voient pas attribuer les mêmes opportunités de carrière.

Les employeurs ont encore tendance à associer les femmes à des mères potentielles, pour qui la parentalité aura certainement un impact négatif sur leur travail. On se demandera si elles peuvent concilier leur famille avec un poste exigeant. Or, on se posera moins la question à propos des hommes candidats et pères de famille. Sans parler du fait que des mères sont encore abusivement licenciées suite à une grossesse.

 

La retraite après un parcours marqué par les inégalités

Toute leur vie les femmes doivent jongler entre activité professionnelle et soins à la famille. Leurs parcours professionnels sont marqués par des arrêts de travail et le temps partiel. Arrivées à l’âge de la retraite, les femmes perçoivent des rentes très largement inférieures à celles des hommes. Les disparités entre les sexes sont particulièrement flagrantes en matière de 2e et 3e piliers.

C’est dans ce contexte que les propositions politiques visant l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes seront vouées à l’échec si elles ne sont pas accompagnées de contreparties concrètes comme un réel congé parental ou l’incitation à la création de places d’accueil de la petite enfance.

 

Le monde politique a trop de mâles pour trouver des solutions

Pour changer ce diagnostic très pessimiste, le remède est forcément politique. Le changement, pour être effectif, doit être promu par les lois et par les institutions.

Le problème : les femmes, et ainsi les discriminations qu’elles subissent, ont peu de place en politique. S’attendre que notre monde politique, à 70% masculin, trouve des solutions, c’est peut-être avoir trop de foi dans la capacité d’empathie de l’humanité.

Avec une proportion si basse de femmes actives dans la politique en Suisse, pas étonnant que le congé maternité ait attendu 50 ans pour voir le jour, que la Suisse soit encore en queue de peloton européen en ce qui concerne le congé parental et que le simple fait d’obliger les employeurs à prouver qu’ils respectent la loi, en contrôlant les écarts de salaires, ne soit toujours pas possible.

Egalité: le Conseil des Etats refuse la transparence salariale imposée

La féminisation du monde politique est une vieille revendication qui tend à prendre de la force. La preuve, l’existence d’associations comme Politiciennes.ch demandant plus d’équilibre sur les listes des partis.

S’il est vrai que toutes les femmes ne sont pas féministes, le fait qu’elles soient plus nombreuses dans les hémicycles rend visible une expérience partagée de la discrimination et contribue à légitimer des revendications trop longtemps absentes de l’agenda politique.

Carine Carvalho

Féministe, binationale et multiculturelle, Carine Carvalho est députée socialiste au Grand Conseil vaudois. Née au Brésil, elle vit à Lausanne depuis plusieurs années. Elle a été conseillère communale et active dans le milieu associatif et syndical. Diplômée en sociologie et en administration publique, elle est spécialiste du genre et de la diversité dans le monde du travail.

2 réponses à “L’inégalité salariale est le symptôme d’une maladie plus profonde

    1. Merci! Je voulais en effet approfondir le débat et offrir de nouveaux angles pour la discussion.

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