Une Noire pour l’exemple

Marielle Franco, élue locale et activiste, a été assassinée le 14 mars à Rio. Un crime politique sans précédent dans l’histoire récente brésilienne, preuve de la répression brutale des celles et ceux qui défendent l’égalité et les droits humains.

 

J’ai quitté mon Brésil natal pour la Suisse en 2000. J’avais alors 17 ans et pas beaucoup d’espoir pour la jeunesse brésilienne. Le président était Fernando Henrique Cardoso, maître à penser du néolibéralisme brésilien. Nos élus locaux étaient, à l’époque, dans une écrasante majorité, des hommes blancs issus de la bourgeoisie industrielle ou de l’agrobusiness. Les femmes, et encore moins la population noire ou racialisée, étaient très peu représentées dans l’arène politique.

L’élection de Lula en 2003 a eu de bonnes raisons de réjouir cette partie oubliée de population brésilienne. Des millions de personnes sont sorties de la pauvreté et des milliers de jeunes issu·e·s des régions et quartiers défavorisés ont eu accès à la formation et à l’emploi.

 

Fruit des politiques d’égalité

Marielle Franco, femme noire et lesbienne, issue de la favela, était de ses propres aveux le fruit des politiques d’égalité de chances développées pendant treize ans par les gouvernements de gauche.

Elle marquait le renouveau de la gauche après la chute du Parti des travailleurs. Élue brillamment en 2016 sous les couleurs du PSOL (Partido Socialismo e Liberdade), cette sociologue de 39 ans représentait le district de Maré, quartier de Rio dévasté par le trafic de drogue. Ses combats : la dénonciation des violences envers les femmes et des abus policiers à l’encontre de la population marginalisée de la ville, à grande majorité noire. Ces abus se sont démultipliés après que le gouvernent fédéral a placé la ville de Rio sous le contrôle de l’armée, fait sans précédent depuis la restauration de la démocratie en 1985.

 

Un crime politique 

L’assassinat de Marielle Franco n’est pas un fait divers de plus dans les pages policières. C’est un crime politique sans comparaison dans l’histoire récente du Brésil, et qui marque une intensification de la violence envers les militant·e·s de gauche.

Depuis le coup d’État de 2016 et la destitution de Dilma Roussef (première femme à présider le Brésil), les féministes, la communauté LGBT, les personnes qui défendent les droits humains, les mouvements sociaux (les sans-abris, les sans-terre, les syndicats, etc.) sont régulièrement la cible d’attaques par les groupes politiques majoritaires au parlement. La nouvelle extrême-droite, boostée à bloc depuis l’arrivée de Michel Temer au pouvoir, considère tout mouvement social demandant plus d’égalité comme une « dictature gauchiste » menaçant les « gens de bien », à comprendre l’élite blanche et conservatrice.

Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que cette nouvelle force politique fasciste a un bras armé prêt à agir dans l’illégalité. Marielle a été abattue avec des munitions provenant d’un lot acheté en 2006 par la police fédérale et qui aurait été perdu. La voiture où elle se trouvait avec deux autres personnes a été criblée de balles et rien n’a été volé. L’association d’éléments policiers et paramilitaires dans ce crime fait aujourd’hui peu de doutes, même si l’enquête est encore en cours.

L’assassinat de Marielle est un crime contre les femmes, contre la population noire, contre les pauvres et celles et ceux qui les défendent. Comme dans le roman de Jacques Chessex, c’est un crime pour l’exemple. C’est un message clair à ces “minorités”, majoritaires parmi la population: la période de progrès social est finie. Retournez à vos cuisines, vos favelas, vos senzalas*! Laissez les maitres d’hier régner sur l’ordre social!

 

La résistance est en marche

Photo: Saori Honorato

Des manifestations populaires massives ont eu lieu ces dernières semaines, dénonçant la politique sécuritaire menée par le gouvernement fédéral et l’impunité des violences. Une chose est sure : l’investigation de l’assassinat de Marielle Franco est un sérieux problème pour le gouvernement brésilien à quelques mois avant les élections présidentielles.

Cette forte réaction a pris de surprise l’élite politique, habituée à la passivité d’un peuple manipulable. Les crimes politiques, l’histoire brésilienne en regorge. L’assassinat de noire·s est un fait quotidien. Pourquoi l’assassinat de Marielle serait-il différent? Si les brésiliennes et les brésiliens descendent dans les rues, c’est qu’après treize ans de politiques sociales, la vie d’une femme noire compte… enfin.

#MarielleVive #MariellePresente

 

*Une senzala était un grand logement précaire destiné aux esclaves qui travaillaient, à l’époque du Brésil colonial, dans les fazendas de canne à sucre, ou qui servaient dans la maison de leurs maîtres.

Carine Carvalho

Féministe, binationale et multiculturelle, Carine Carvalho est députée socialiste au Grand Conseil vaudois. Née au Brésil, elle vit à Lausanne depuis plusieurs années. Elle a été conseillère communale et active dans le milieu associatif et syndical. Diplômée en sociologie et en administration publique, elle est spécialiste du genre et de la diversité dans le monde du travail.