Brèves de psys

Extrait de séance – vous ne prenez pas de notes ?

Extrait de séance

Nous étions à la fin de notre deuxième séance. D’un débit rapide Eric avait à nouveau partagé beaucoup d’éléments de son vécu – émotionnels, anamnestiques et pratiques. C’est au moment où je lui ai dit que la séance était terminée qu’il m’a interrogé :

 

Eric :

Vous allez vous souvenir de tout ce que je vous ai dit ?

 

C’est une question qu’on me pose de temps en temps.

 

Moi (en souriant) :

Quand vous partez je prends des notes et je les lis avant de vous accueillir

 

C’est un choix personnel que j’ai fait spontanément au début de ma pratique. Je n’y avais pas vraiment réfléchi à l’époque, me contentant de copier le « maître » Carl Rogers, dont j’avais observé avec fascination les entretiens. Avec le recul je peux dire que prendre des notes pendant les séances aurait certainement un impact sur la spontanéité des échanges et l’engagement (le mien, celui de la personne en face), et m’éloignerait de l’expérience de l’ici et maintenant, un aspect qui pour moi est essentiel. Cette décision est tout à fait subjective bien sûr, et il n’existe pas de réponse universellement juste. Certain·e·s collègues prennent des notes pendant les séances pour se rassurer de ne rien manquer, se sentir en sécurité par rapport aux assurances et aux médecins qui exigent des données anamnestiques complètes, avoir l’impression de respecter leur client·e ou aussi pour maintenir leur attention éveillée. Ou encore pour pouvoir enchaîner les séances : 8h, 9h, 10h, 11h, pause de midi. Pour pouvoir prendre des notes et les lire j’espace les séances d’au moins 20 minutes, de telle manière qu’il est rare que des client·e·s se croisent dans la salle d’attente. J’aime bien ce temps car il me permet d’ancrer l’expérience et de la reformuler en mots et concepts parfois plus précis.

Un jour j’avais rendez-vous avec une cliente qui avait le même prénom et le même nom de famille qu’une autre cliente. Je vais à la salle d’attente et suis surpris de voir celle que je n’attendais pas. Je m’étais préparé, j’avais lu mes notes… mais pas les bonnes ; je n’avais pas ma feuille de triche !

 

Moi :

Vous avez sans doute remarqué ma surprise… c’est que je pensais avoir rendez-vous avec quelqu’un d’autre et j’ai donc lu un autre dossier ! Je vais faire de mon mieux pour me remettre dans le bain de nos séances, et me permettrai de prendre mes notes si j’estime en avoir besoin

 

La séance s’est très bien déroulée. En fait je me souvenais de tout, et cette confusion m’a permis de me distancier de mes peurs et de mon attachement à mes notes.

Ces notes, elles ont beaucoup évolué durant mes années de pratique. Au début je peux dire que j’étais assez anxieux. Je voulais bien faire et j’en prenais beaucoup pour me rassurer. En fait je notais tout ce dont je me souvenais ; il m’arrivait même de ressortir le dossier pour y insérer un nouveau détail quelques heures après la séance, voire un ou plusieurs jours plus tard. Mon envie de ne rien manquer était accentuée par le fait que la formation en psychothérapie nous demande d’enregistrer les séances avec l’accord des personnes concernées, pour les amener ensuite en supervision. Je me souviens que durant les premiers mois j’allais en forêt me balader avec mes écouteurs et je réécoutais les séances en entier tout en prenant des notes (j’avais quelques client·e·s par semaine donc beaucoup de temps libre). Aujourd’hui je note en général les thèmes abordés, mes impressions ainsi que les points qui n’ont pas été abordés ou les points que je crois être utiles d’aborder. Mes notes sont davantage le reflet de ce dont je me souviens et de ce que j’estime important, ce qui ne correspond d’ailleurs pas toujours à ce dont se souviennent et trouvent important les client·e·s.

 

Eric :

Ce que vous m’avez dit la dernière séance m’a beaucoup remué

Moi (je viens de relire mes notes et je n’ai presque aucune idée de ce dont il parle) :

Ah ? Qu’est-ce que je vous ai dit qui vous a remué ?

 

Aujourd’hui un des aspects qui m’intéresse le plus dans la prise de notes, même si c’est aussi celui dont je me souviens le mieux et donc paradoxalement que je n’ai pas besoin de noter, est le processus : comment la personne change et qu’est-ce qui me le signale. Mes annotations sont parfois aussi très laconiques : « m’a regardé dans les yeux plus fréquemment, prend des risques relationnels » ; « Eric se soucie de mon bien-être » ; « a arrêté les antidépresseurs et le psychiatre », voire techniques : « semaine prochaine : premier anniversaire de mariage depuis la séparation » ; « premier voyage sans les enfants la semaine prochaine », dans ces moments où la thérapie est un processus qui se fait au-delà d’une volonté, d’un contrôle ou d’une compréhension intellectuelle (y compris la mienne). Parfois je n’ai rien de significatif à noter, et comme le dit Irvin Yalom « c’est en soi une donnée importante qui veut probablement dire que la thérapie stagne et que le patient et moi-même n’arrivons à rien de nouveau »[1]. À l’autre extrême, il me faut parfois 20 minutes d’écriture continue pour poser tout ce qui me parait important sur papier.

Oui vous avez bien lu. J’aime l’acte d’écrire ; la sensation du stylo qui glisse sur le papier, le sens qui prend vie sous forme de volutes et qui traduit mes états d’âme de manière très concrète. Par contre j’écris les rapports sur mon ordinateur, d’une part parce que les assurances ne prennent pas au sérieux les rapports manuscrits (et que je n’aimerais pas qu’un décryptage de mon état d’âme à la rédaction du rapport influence de manière défavorable la décision d’un·e médecin-conseil), et sans doute aussi parce que je crois qu’il n’y a aucun espoir pour que j’en retire le moindre plaisir. Les rapports et les factures.

J’écris en particulier beaucoup lorsqu’il s’agit de la première séance. Les premières paroles sont en général très symptomatiques de ce qui préoccupe la personne ou le couple (ou certainement la famille, mais je n’en ai pas l’expérience), et de nombreux éléments de prime importance se cachent entre les lignes ou parfois aussi de manière explicite avant de souvent se diluer dans des détails, des digressions ou d’autres préoccupations. Je reviens régulièrement aux notes que j’ai prises après la première rencontre.

Il m’arrive aussi parfois, à la fin d’une longue prise en charge, de reprendre mes notes des premières séances avec la personne et de les lui lire, puis de les ouvrir aux commentaires en fonction du travail et des progrès accomplis. Ces situations ont toujours été, pour l’instant en tout cas, des moments de joie et de complicité, de célébration.

 

 

[1] Yalom, I. (2013). L’art de la thérapie. Paris, Galaade, p.181

 

 

 

Extrait de séance est une série d’articles qui propose un aperçu de ce que peut être la réalité de notre travail de psy, en mettant en lumière des instants particuliers. NB : Pour respecter le secret médical certaines informations sont modifiées.

Credit photo: Madison Mc
(Elle a fait ce montage suite à une proposition que lui a fait son thérapeute d’illustrer son expérience des séances).

 

Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »

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