Brèves de psys

Extrait de séance – le psy se fait avoir

Extrait de séance

Je vais à la salle d’attente pour accueillir une nouvelle cliente. J’aperçois une femme d’une trentaine d’années, assez mince, habillée avec une robe serrée et un décolleté plongeant, de grands yeux un peu tristes. Elle me regarde avec un air de petite fille innocente, mon côté sauveur se réveille et je me dis qu’elle doit être habituée à séduire les hommes prêts à la sauver contre un peu d’affection.

 

Moi :

Bonjour, je suis Thomas, je crois que nous avons rdv ensemble

Carmen (se lève gracieusement, me fixe intensément dans les yeux et sourit) :

Ah Thomas, je suis si contente que vous soyez là. Ça fait des années que j’attendais ce moment

Moi (je souris, un peu embarrassé par la profusion de signaux ; je me dis qu’avec cette entrée en matière on a déjà de quoi travailler quelques séances)

 

Carmen me dit avoir une phobie d’ouvrir son courrier, que sa boîte aux lettres déborde, qu’elle aimerait absolument vaincre sa peur pour pouvoir gérer son administratif en retard, que c’est une urgence et qu’elle ne peut plus continuer ainsi, qu’elle ne comprend pas comment elle a pu attendre aussi longtemps avant de consulter et qu’elle est si heureuse d’être tombée sur moi. Elle me dit ne jamais avoir eu recours à une aide administrative. Puis elle parle pendant assez longtemps de complètement autre chose, semblant se perdre dans des détails apparemment insignifiants, ou du moins pas en lien avec sa demande. Je la laisse dériver un long moment parce que le vagabondage, surtout durant les premières séances de psychothérapie, permet d’affiner l’objectif et d’effectuer un accordage relationnel. Sans compter le travail d’intégration que fait le thérapeute avec tous les signaux non-verbaux qu’il reçoit.

 

Moi (essayant de revenir à sa demande initiale) :

Donc si je vous suis bien, ça fait des années que vous souhaitez aborder votre peur d’ouvrir le courrier, et vous avez enfin trouvé le courage de le faire

Carmen (dramatique) :

Oh j’ai honte, j’ai hoooonte !

 

Malgré mes tentatives, nous n’avons jamais approfondi sa demande initiale. Puis, un jour le secrétariat me fait remarquer qu’elle n’a pas réglé les 20 séances que je lui ai consacré[1]. J’avais abordé la question des factures au début de nos séances, mais Carmen avait botté en touche plusieurs fois.

 

Moi (inexpérimenté et naïf) :

J’aimerais parler de ça avec elle

Le psychiatre (expérimenté et réaliste) :

Il faut laisser tomber les séances jusqu’à ce qu’elle paie, mais selon moi elle ne va jamais payer

 

Je me trouvais un peu stupide et naïf, et j’étais déterminé à mettre tout ça à plat avec Carmen.

 

Moi :

J’ai appris que vous n’avez pas encore réglé nos séances

Carmen (réagit tout de suite) :

Oh j’ai honte, docteur, j’ai honte. Mais bien sûr vous savez que je n’ouvre pas mon courrier oh comme j’ai honte de cette situation

 

J’aurais pu lui dire « je ne suis pas docteur », mais la profusion de signaux et de thèmes m’obligeait à être très sélectif

 

Moi (empathique) :

C’est comme un paradoxe hein, tant que vous n’ouvrez pas votre courrier vous ne pouvez pas me régler, et justement vous venez pour pouvoir ouvrir votre courrier. Pourtant j’ai l’impression que c’est un sujet dont on ne peut pas parler

Carmen :

Oh oui docteur, il faut absolument qu’on règle cette histoire au plus vite

 

A la fin de la séance nous avons pris un nouveau rdv. Carmen ne s’y est pas présentée, et n’a plus jamais répondu au téléphone. Je l’ai croisée quelques mois après par hasard et elle a fait mine de ne pas me reconnaitre.

Bigre, le psychiatre avait raison. Carmen a probablement bénéficié de mon suivi ainsi que du remboursement de la caisse maladie… un problème connu dans le milieu médical. Tout ça était une grande mascarade.

Quand on choisit un métier, ça dit beaucoup sur nous. Choisir d’être psy ça ne veut pas nécessairement dire qu’on est fou, mais qu’on est curieux de la nature humaine, qu’on a des questions auxquelles on aimerait avoir des réponses (et que l’Université ne nous donnera pas), et surtout qu’on a un côté sauveur. Sauveur, c’est souvent un des premiers aspects qu’on apprend à guérir en étant thérapeute, car les deux rôles sont incompatibles : l’un responsabilise, l’autre rend dépendant.

 

Carmen, si vous me lisez, j’aimerais vous raconter encore une histoire qui m’est arrivée il y a quelques années :

Je suis chez moi, j’entends la sonnerie de la porte d’entrée. Je me lève, m’y dirige et vois quelqu’un disparaitre avec mon porte-monnaie que j’avais déposé à l’entrée. Je cours derrière lui, il me jette mon porte-monnaie dessus sans doute pour me ralentir et je lui crie « attendez »… il s’envole. Et moi, je voulais qu’il me raconte son histoire, je voulais lui donner de l’empathie, un peu d’argent peut-être…

 

 

 

[1] C’était dans le cadre d’une psychothérapie déléguée par un psychiatre, dont la facturation est gérée par la caisse des médecins. Dans mon cabinet privé cette situation n’aurait pas pu exister car je demande un règlement direct

 

 

Extrait de séance est une série d’articles qui propose un aperçu de ce que peut être la réalité de notre travail de psy, en mettant en lumière des instants particuliers. NB : Pour respecter le secret médical certaines informations sont modifiées.

Credit photo: Madison Mc
(Elle a fait ce montage suite à une proposition que lui a fait son thérapeute d’illustrer son expérience des séances).

 

Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »

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