Brèves de psys

Extrait de séance – dans la salle d’attente

Extrait de séance

Je croise le bureau du psychiatre. Il en sort, me regarde brièvement et nous nous retrouvons côte à côte à marcher en direction de la salle d’attente. Il s’arrête au pas de la porte, et pendant que je m’élance dans la salle je l’entends clamer le nom de famille de sa patiente.

Moi (je serre la main de ma patiente et la regarde dans les yeux en souriant) :

Bonjour Marie, soyez la bienvenue

Marie (me regarde dans les yeux, sourit) :

Bonjour Thomas

La patiente du psychiatre n’a rien perdu de la scène, et je sens dans son regard un mélange de surprise et de jalousie, comme si elle disait « est-ce possible ? »…

 

Saluons toutes les approches

Je n’aimerais pas que vous pensiez que certaines approches sont meilleures que d’autres car ce n’est pas le cas. Comme vous le savez il y a différents courants psychothérapeutiques, qui de manière générale se valent au niveau de l’efficacité thérapeutique[1]. Au fond, ce qui est déterminant à la réussite thérapeutique c’est surtout la qualité de la relation, dont chaque personne a sa propre appréciation. De ce point de vue-là et dans la situation de la salle d’attente, telle personne me jugera peu sérieux, telle autre chaleureux.

A ma connaissance chacun de ces courants a une philosophie qui sous-tend une série d’actions et de réflexions cohérentes par rapport à sa manière de percevoir le monde. En ne disant pas bonjour, le psychiatre avait l’impression de vivre de manière cohérente son courant (la psychanalyse)[2], tout comme en disant bonjour j’avais l’impression d’être cohérent par rapport à ce que j’ai compris de mon courant (l’approche centrée sur la personne). Ce sont deux approches avec des philosophies très différentes, et c’était certainement un signe d’ouverture voire de courage de la part de ce psychiatre de m’avoir engagé et ainsi de permettre cette confrontation[3]. Pour cette raison la synthèse des courants est un idéal qui pourrait exister dans l’avenir, néanmoins je crois davantage au comparatif avec les langues ou les cultures : chacune peut coexister et s’enrichir l’une de l’autre, et il y a des polyglottes. Mais je ne peux pas parler français et anglais à la fois, I must faire un choix ; je respecte donc la manière qu’a le psychiatre de créer du lien dès la salle d’attente.

 

Certains psys ont besoin d’une distance relationnelle

J’ai travaillé pour plusieurs psychiatres. L’un d’entre eux que j’aime pour sa finesse de perception m’a dit un jour qu’il était admiratif que mes patients et moi nous appelions par nos prénoms « mais moi je ne pourrais jamais faire ça ». Je crois me souvenir qu’il lui fallait une certaine distance pour bien travailler. Chaque fois qu’il venait en cours de séance[4] je le trouvais cassant et confrontant, je m’en sentais assez gêné. Quand je lui ai fait cette remarque, il m’a répondu « quand j’entre dans ton bureau ça pue l’empathie, t’as tellement bien préparé le terrain que j’ai qu’une envie c’est de confronter ». Il me disait aussi que prendre des notes pendant les séances l’aidait à se concentrer et ainsi mieux suivre ses patients. Pour moi c’est l’inverse : j’essaie de me concentrer tout en cultivant une présence, et j’ai l’impression que prendre des notes m’en couperait. Ainsi je prends des notes après les séances, et les relis avant.

Et je dis bonjour.

 

C’est complexe d’être simple

Chaque approche psychothérapeutique a ses forces et ses limites, et il y a aussi la personne qui la pratique ainsi que ses projections. Un collègue sur le point de quitter le canton organisait la prise en charge future de sa patientèle. En regardant sa liste il m’a dit « ceux-là je peux te les transmettre, ils sont faciles ». Ne s’étant jamais intéressé ni à moi ni à l’approche centrée sur la personne, je crois qu’il projetait sur nous de la gentillesse, de la naïveté et de la fragilité[5].

J’aime bien faire l’analogie entre l’approche centrée sur la personne et le jeu d’échecs : les règles sont très simples et devenir un bon joueur demande beaucoup d’entraînement. Certaines personnes ont tendance à associer sérieux et lourdeur, ainsi que simplicité et naïveté. Mon expérience personnelle m’a montré que je suis le plus efficace lorsque je trouve du plaisir, lorsque les interactions sont détendues voire teintées d’humour et où chacun peut prendre sa place sans connotation de « supérieur et inférieur ». C’est pour chercher cette qualité de relation que je salue Marie, et tous les autres, de cette manière simple et cordiale.

Et vous, votre psy vous dit bonjour ?

 

 

 

[1] Lire à ce propos l’article « comment choisir sa psy ? »

[2] Il y a quelques années Anne et moi avons fait des séances de psychanalyse de couple chez une psychothérapeute senior. Nous sommes arrivés à l’heure, et Anne a du passer par les WC. J’étais déjà installé dans le canapé et la psychanalyste tenait la porte en attendant le retour d’Anne. Je lui ai dit bonjour et elle ne m’a pas répondu ni même regardé. Pensant qu’elle était absorbée dans ses pensées et qu’elle n’avait pas entendu, j’ai répété et sans parler, elle m’a fait comprendre que nous attendions Anne pour débuter. Malgré la cohérence de son comportement vis-à-vis de son approche, il a eu un impact désastreux sur la suite de la thérapie car il ne correspondait pas à mes attentes d’avoir comme interlocuteur un être humain chaleureux. Aujourd’hui je sais que cette histoire parle aussi de moi, et que certaines personnes seraient justement plus à l’aise avec ce genre d’interactions qu’avec une thérapeute chaleureuse. Il est aussi à noter que ces expériences ne sont pas automatiquement symptomatiques de l’approche psychanalytique; certains pratiquants sont au contraire très chaleureux, tout comme certains psychothérapeutes humanistes sont froids et distants

[3] D’ailleurs traditionnellement la psychanalyse aime bien le conflit – à juste titre je trouve quand le conflit constructif permet de mettre en évidence in vivo des thèmes à travailler

[4] En psychothérapie déléguée les psychiatres ont le devoir légal et moral de rencontrer chaque patient

[5] J’insiste sur le fait que chaque approche a ses limites ; je vous en parlerai une prochaine fois

 

 

 

Extrait de séance est une série d’articles qui propose un aperçu de ce que peut être la réalité de notre travail de psy, en mettant en lumière des instants particuliers. NB : Pour respecter le secret médical certaines informations sont modifiées.

Credit photo: Madison Mc
(Elle a fait ce montage suite à une proposition que lui a fait son thérapeute d’illustrer son expérience des séances).

 

Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »

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