Demain le commun

Electricité: le prix élevé du libre marché…

Le Conseil fédéral veut libéraliser entièrement le marché de l’électricité. Les avantages sont nébuleux. Pour les inconvénients, en revanche, il suffit de jeter un petit coup d’œil sur un pays voisin qui a tenté le coup. Créer de la concurrence peut coûter cher…

L’approvisionnement électrique en Suisse n’est que partiellement libéralisé. Les gros consommateurs peuvent choisir leur fournisseurs, tandis que les petits – parmi lesquels tous les ménages privés – doivent acheter le courant auprès de l’entreprise électrique de leur région, qui est aussi celle qui gère et entretient le réseau. Historiquement, et aujourd’hui encore, la sécurité qu’offre cette structure a été très favorable au développement d’énergies renouvelables. Celles-ci sont en effet bien souvent demandeuses d’investissements élevés, consentis d’autant plus volontiers que les recettes issues de la vente d’électricité sont garanties sur la durée de vie de l’équipement.

La libéralisation du marché électrique a progressé dans les pays de l’Union européenne sous l’impulsion de ses dirigeants au cours de la décennie écoulée. Avant, on avait des fonctionnements réglementés, impliquant avant tout des acteurs publics, axé sur la satisfaction des besoins. Ce qu’on appelait le service public en somme). Après, on a un marché, supposé améliorer l’allocations des ressources, offrir plus de choix aux usagers, éviter toute rente indue. Cette évolution, que le Conseil fédéral a récemment dit à nouveau souhaite également pour la Suisse, s’est faite, en Europe, à marche forcée. Et, à proprement parler, à tout prix…

La facture ne baissera pas…

En principe, dans tous les domaines, la libéralisation s’accompagne d’une promesse de baisse des tarifs. Ce n’est pas le cas ici: le gouvernement ne le promet pas. Il se contente dans son premier rapport de 2014 d’une affirmation candide qui confine à la lapalissade:

Les effets sur les ménages d’une ouverture complète du marché sont limités. […] Les ménages profitent immédiatement d’une baisse du prix de l’électricité, puisque leurs coûts d’électricité se réduisent. Si le prix de l’électricité augmente, les ménages perdent, puisque leurs coûts d’électricité s’élèvent.

En 2018, il ajoute que dans le marché régulé suisse les prix de l’électricité pour les ménages « sont inférieurs aux prix relevés dans les pays voisins, à savoir l’Allemagne, l’Autriche, la France et l’Italie ».

…mieux, elle pourrait augmenter!

En matière d’électricité, le marché n’est pas bon marché. Car ici comme ailleurs, le fonctionnement de marché ne tombe pas du ciel. Au contraire, il doit être créé de toutes pièces, engendrant paradoxalement force régulation et autorités de contrôle.

La situation française est à ce sujet tristement éclairante. EDF, grande entreprise publique historique du secteur, y est en effet empêchée, tout comme de plus petits fournisseurs locaux, de vendre son électricité à des tarifs… trop bas. L’entreprise dispose en effet d’un important parc de production, notamment nucléaire, qui permet de produire aujourd’hui à bas coût. Mais si ce faible coût de production était répercuté sur les usagers, alors il serait pratiquement impossible à d’autres acteurs de concurrencer EDF. Et l’émergence du fameux marché serait menacée.

Mais peut-être s’agit-il de rectifier les prix en défaveur du nucléaire? Autrement dit, d’augmenter le prix de l’électricité issue de l’atome pour permettre aux autres de régater? Hélas ce n’est pas la motivation à l’œuvre ici, puisqu’en parallèle de tarifs règlementés supérieurs aux coûts de revient, on oblige EDF à vendre son énergie nucléaire à prix coûtant à ses concurrents (et comme on est en France, cette pratique a un nom et une abréviation: l’accès régulé à l’électricité nucléaire, Arenh).

Le barrage de l’Hongrin, qui appartient notamment à Romande Energie, groupe e et à la Ville de Lausanne et a une capacité de 460 MW d’énergie renouvelable

Faire monter les prix pour le plaisir

Le dispositif précis de régulation des prix n’est pas encore connu pour la Suisse. Un tarif minimum n’est, à ce stade, pas prévu: il n’y aurait qu’un tarif de référence pour l’électricité offerte par les fournisseurs et gestionnaires de réseau. Si ce tarif de référence est plus élevé que le prix pratiqué jusqu’ici dans certaines zones, il encouragera une hausse.

Mais dans bien des cas, l’instabilité introduite dans le système conduira pour les opérateurs historiques, services industriels municipaux ou étatiques et entreprises à capitaux publics, une hausse des tarifs: s’ils ont consenti des investissements de long terme importants mais que le nombre de ses usagers se réduit (ou menace seulement de se réduire), le fournisseur d’électricité devra repartir les mêmes coûts fixes sur moins de factures. La conclusion coule de source.

Qui dit pire?

La libéralisation électrique fait donc courir le risque d’une hausse des prix, expose les consommateurs aux variations du marché international, et fragilise les investissements dans le renouvelable en cours ou planifiés. Tout ceci pour offrir quel choix concret au consommateur? L’électricité est un produit par définition hautement standardisé. Il s’agira donc simplement de choisir entre courant renouvelable et courant moins cher mais plus sale. Définitivement, une drôle de priorité.

[Première phrase faisant référence à la loi sur le CO2 retirée le 18 juin 2021]

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