Demain le commun

Voir Ueli Maurer en Chine et pleurer

Le président de la Confédération est donc en visite d’Etat en Chine, pays avec lequel la Suisse a conclu un accord de libre-échange en vigueur depuis cinq ans qui permet notamment l’échange de produits agricoles. Si on ne peut pas reprocher à Ueli Maurer de pratiquer une diplomatie multilatérale, on peut s’amuser, comme l’ont fait d’autres et notamment Frédéric Koller du Temps, de l’amusant double langage de l’ancien président de l’UDC. En effet, s’agissant de l’initiative dite des “nouvelles routes de la soie” menée par la Chine, le conseiller fédéral tient un langage pragmatique: mieux vaut s’y associer pour mieux en tirer avantage que de s’en séparer complètement. S’agissant d’un autre très grand acteur économique, avec lequel qui plus est nous avons quelques liens géographiques et quelques affinités culturelles – on aura reconnu l’Union européenne –, par contre, le même M. Maurer n’a que le mot d’indépendance à la bouche. Face au supposé “diktat de Bruxelles”, la rhétorique enflammée, face à la réelle dictature chinoise, le pragmatisme économique…

Le pragmatisme, et même une certaine forme d’enthousiasme. Dans un élan quasiment trumpien, mêlant grandiloquence et approximation assumée, M. Maurer a en effet considéré que le rythme des contacts au plus haut niveau entre la Chine et la Suisse relevait du “record historique”. C’est ce que nous apprend le communiqué de presse officiel de la Confédération, qui place cependant prudemment ces mots dans la bouche du Président, sans réellement les accréditer… Il est vrai qu’il est difficile de savoir ce que veulent dire ces propos précisément, s’agissant d’un pays avec lesquelles les relations étaient minimales il y a encore 25 ans. De toute évidence, le contact avec un chef d’Etat qui s’assied allègrement sur la liberté d’opinion et sur l’Etat de droit donne au grand démocrate Maurer des élans insoupçonnés!

L’ambition chinoise

Cependant, il serait faux de se contenter d’ironie pour commenter la visite de M. Maurer en Chine. Non, c’est de la tristesse que doit nous inspirer la signature au nom de la Suisse d’un accord d’association à la grande “Belt and Road Initiative” lancée et portée par Xi Jinping (la “ceinture” se référant à plusieurs routes terrestres, principalement ferroviaires, entre la Chine et l’Europe, et la “route” à un parcours maritime sécurisé passant notamment par Singapour, l’Inde, l’Afrique de l’Est pour aboutir en Méditerranée).

Ces “Nouvelles routes de la soie” témoignent d’une capacité à se projeter dans l’avenir avec un grand projet d’infrastructures de transport. Elles sont devenue une marque reconnue de la volonté de grandeur chinoise, que l’on s’y associe ou non. Elles incarnent aussi l’adhésion pleine et entière au libre-échange qui est désormais l’un des engagements centraux du Parti communiste chinois – et servent de porte-étendard industriel à l’un des pires régimes du monde.

Une occasion manquée

C’est le continent européen qui aurait dû être à l’origine d’une telle initiative. En la planifiant de manière démocratique, évidemment, et sans forcer à l’endettement les pays partenaires. En la mettant au service du transport des marchandises, certes, mais aussi de la mobilité des personnes, avec un réseau de lignes à grande vitesse (comme la Chine qui, de son côté, développe à un rythme effréné à l’intérieur de ses frontières). En en faisant évidemment, et en priorité, un outil pour la réduction des émissions de gaz à effets de serre.

Que cette idée contraste avec le bilan de l’Union européenne en matière de transports! Hormis la libéralisation obligatoire, l’obligation de mise en concurrence, et une croissance démesurée du trafic aérien, il n’y a pas grand-chose à raconter… Et surtout, aucune grande vision qui joue dans ce domaine le rôle que le programme Erasmus, par exemple, incarne pour la formation: celui d’une Europe qui marche et qui sert à quelque chose de concret.

Pleurer…

Il faut donc voir M. Maurer signer un accord pour que l’infime territoire qu’est la Suisse vue de Chine ait droit à quelques miettes (de quoi au juste, on ne le sait pas très bien) dans le cadre de “One Belt, One Road”, et pleurer.

Pleurer parce que l’Europe et ses structures d’aujourd’hui, dogmatiquement austéritaires et frénétiquement libérales, seraient bien incapables d’accoucher d’un tel projet (au nom de la concurrence, la Commission ne vient-elle pas d’empêcher la fusion Alstom – Siemens, qui aurait engendré un vrai champion européen dans la construction de trains?).

Pleurer parce que pourtant, nous, Européens, vivons sur le continent du rail, qui a été inventé en Grande-Bretagne et ne s’est nulle part implanté à aussi large échelle que dans les grands pays du continent.

Pleurer parce que, rejoignant les tristes sires du gouvernement italien, notre président se range dans la ligue de ceux qui discréditent l’idée même de coopération européenne à des fins électorales pour mieux ensuite s’agenouiller devant la puissance chinoise.

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