L'Office des Nations unies à Genève

L’ONU songe à arrêter d’exploiter ses stagiaires

La question des stages non rémunérés a été abordée pour la première fois cette semaine à New York par une commission des Nations unies. Au-delà de la situation précaire des stagiaires, le problème de représentativité qu’elle induit est pointé du doigt. La Suisse a un vrai rôle à jouer.

Le sujet très délicat des conditions de travail des stagiaires onusiens s’est glissé le 9 mars dans l’agenda de la Cinquième commission de l’Assemblée générale des Nations unies, qui est en charge des questions administratives et budgétaires. En cause, un rapport de 2018 du corps commun d’inspection de l’organisation qui enjoint le Secrétariat général à offrir des conditions plus décentes à ses stagiaires.

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Il y a certes quelques bons élèves, comme l’OIT, l’OIM, l’OMS ou le HCR, qui prévoient une rémunération pour leurs programmes de stages. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des organisations onusiennes, qui ne sont pas tenues de le faire.

Ainsi à Genève, comme le relève l’Initiative pour des stages équitables, les stagiaires du Secrétariat de l’ONU ne perçoivent aucune indemnisation ni dédommagement pour leurs frais de transport, d’hébergement et de nourriture. Ils peuvent également faire une croix sur leurs droits du travail les plus basiques: pas de congés maladie ni d’accès à la justice en cas de mauvais traitements.

La moitié des stagiaires proviennent de sept pays

La précarité de ces conditions élimine d’entrée de jeu toutes les personnes qui n’ont pas de revenus tiers pour leur permettre de vivre. Selon les chiffres recensés par l’ONU, la moitié des stagiaires du Secrétariat de l’ONU ne proviennent que de sept pays.

L’Initiative pour des stages équitables fait elle le constat que deux tiers des stagiaires viennent de pays à revenus élevés, alors que ces pays ne représentent que 17% de la population mondiale. Le constat est d’autant plus alarmant que ces stages sont un prérequis presque obligatoire pour espérer faire carrière dans une institution onusienne.

Lettre ouverte à Ignazio Cassis

Face à ce constat, une lettre ouverte a été envoyée à Ignazio Cassis signée par les jeunes verts, socialistes, vert ’libéraux, démocrates chrétiens et du POP ainsi que par l’Initiative pour des stages équitables.

La missive demande au conseiller fédéral en charge des affaires étrangères de soutenir pleinement la réforme du programme de stages entamée par l’ONU et à agir pour éliminer «les obstacles qui empêchent la participation d’un plus grand nombre de candidats possibles».

Permis de séjour comme levier

La société de conseil en commerce et droit international WTI Advisors basée à Genève suggère de son côté sur Twitter un point de levier original: les permis de séjour. Si l’octroi de permis courte durée est relativement aisé pour des postes au sein de l’ONU ou d’autres organisations internationales, il est très difficile pour les ONG et autre sociétés investies dans les questions internationales d’obtenir un permis pour les stagiaires originaires de pays hors de l’espace Schengen.

Ainsi, étendre l’octroi des permis de séjour à l’ensemble de la Genève internationale permettrait de faire pression sur l’ONU, dont les stages se verraient concurrencer par ceux proposés par les ONG, bien plus souvent rémunérés.

Antoine Schaub

Réalisant un master en études du développement à l’IHEID, Antoine Schaub est un passionné de journalisme. Il a été corédacteur en chef du journal des étudiants de Lausanne et écrit régulièrement pour le satirique numérique La Torche 2.0. A travers ce blog, Antoine partage, avec ses mots, ses réflexions et ses analyses sur l’actualité internationale.

11 réponses à “L’ONU songe à arrêter d’exploiter ses stagiaires

  1. Question:
    Le stagiaire neo-zélandais qui a menti sur sa tente et la réalité de son stage pour se faire mousser…, il est toujours en Suisse?

    Réponse:
    Ben oui…

    Conclusion? On est vachement naïf.

    1. Je n’ai plus tous les éléments de cette affaire en tête, mais quoi qu’il en soit, elle a au moins eu le mérite de soulever un problème bien réel, et c’est ça le plus important.

      1. Est-ce un problème bien réel? quand on s’engage en toute connaissance de cause à un stage non payé… ?

        Je comprends que seuls les stagiaires de familles aisés peuvent accéder à ces stages, ce qui n’est pas idéal, mais les stagiaires le font en conscience.

        Ce que vous demandez est autre chose: vous souhaitez élargir les zones de recrutement des stagiaires par un subventionnent… Je trouve donc injuste d’utiliser la figure du stagiaire exploité (qui ne le sont pas) pour les mettre en concurrence avec plus de monde encore…

        1. Alors selon moi travailler à 100% gratuitement et sans dédommagement est de l’exploitation dans tous les cas, et la connaissance de cause n’y change rien (puisque c’est à peu près le seul moyen pour espérer entrer dans une institution onusienne). Mais libre à vous d’avoir une autre interprétation!

          1. Et j’imagine que ne pas recevoir une rémunération pendant ses études universitaires aussi ?

            Je vous souhaite pleins succès dans vos luttes syndicales.

        2. Votre commentaire soulève trois problèmes:

          1) Tout travail mérite salaire! Ces stagiaires produisent pour l’ONU il n’y a pas de raison de ne pas les rémunérer au moins un minimum. La justification que ces stages sont éducatifs est ridicule, l’éducation c’est pour soit alors que dans ce cas ils travaillent et produisent clairement pour une entité.

          2) Lorsqu’il n’y a pas d’entry-level job et tant de stages non-payés (pas forcément à Genève mais dans ce domaine) beaucoup se retrouvent accepter ces offres dans l’espoir que ça les mène à mieux (ce qui n’est souvent pas le cas). Beaucoup de pays ont dû légiférer pour éviter l’exploitation par des entités trop contentes de ne pas payer leurs stagiaires (forcément ça fait des économies).

          3) Le fait que seuls les stagiaires de familles aisées puissent y accéder est un problème! C’est une discrimination sociale au lieu d’un recrutement au mérite je ne vois pas comment justifier ça.

  2. Merci d’avoir soulevé cette question problématique de rémunération des stagiaires. Le Haut Commissariat aux droits de l’homme vient de lancer un nouveau programme – Ditch UNfair internships – qui vise à permettre aux étudiants des pays du sud de venir travailler à Genève pendant 6 mois en leur offrant une indemnité mensuelle et couvrant voyage et assurance médicale. C’est une première au sein du Secrétariat des Nations-Unies. Si vous souhaitez en savoir davantage, n’hésitez pas à nous contacter.

    1. On a délocalisé massivement les sièges des agences de Genève, notamment en Autriche et au Kenya…

      Non seulement on perd des emplois, mais en plus on devrait subventionner la concurrence de nos enfants pour les rares postes qui restent à Genève ?

      J’adore votre conception de la triple peine…

    2. Chère Madame,

      Je prends connaissance de cette offre:
      https://www.unhcr.org/dach/ch-fr/en-bref/jobs-et-carrieres

      1000.- par mois ? Vous parlez de cette aide?
      Vous allez créer plus de problèmes…, si votre organisation fait croire aux futur.e.s stagiaires du sud qu’ils pourront subvenir à leurs besoins en Suisse avec ce soutien…

      Et j’aurais une question:
      Selon les chiffres, 71 % des stagiaires sont de jeunes femmes à l’ONU.. C’est vrai? Vu l’absence de rémunération, vous faites comment pour les protéger de leur exploitation par les cadres (masculins) en place ?

      Comment se fier aux dénonciations de harcèlement? vu leur vulnérabilité?, qu’elles sont en terre inconnue… sansfamille ni amis, et avec un temps de présence limité a six mois …

      Selon mon opinion, tous les ingrédients sont réunis pour des scandales… en tant que militaire, j’ai vu le traitement immonde que les employés de l’ONU réservait aux femmes au Népal… ils se comportent mieux à Genève? …

  3. Je cite « ces stages sont un prérequis presque obligatoire pour espérer faire carrière ». Vous savez ce qu’on dit aux ressources humaines dans la plupart des agences ? Si on peut travailler gratuitement, c’est qu’on ne mérite pas le salaire. Donc, forcément, le stage est à la fois de l’esclavage et inutile pour l’avenir. D’ailleurs l’expérience non-payée ne compte pas. Souvent, le stage remplace effectivement une personne P3-4 qui se passe le temps au cafétéria. Et j’en parle pas d’harcèlement sexuel et moral

    1. Non seulement ça mais l’ONU elle même ne reconnais ses propres stages que comme une demi-expérience (6 mois de stage équivaudrait à 3 mois d’emploi). De plus dans le contrat est indiqué l’impossibilité d’être recruté par l’entité onusienne dans les 6 mois suivant le stage! Ces stages restent presigieux de par le nom mais ils sont une reproduction d’élite qui sont les seuls à pouvoir se permettre de telles dépenses.

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