Quand le Brexit s’invite dans l’intimité des couples londoniens

Alors que Westminster enchaîne les journées aux débats interminables tous plus cruciaux les uns que les autres, les impondérables liés au Brexit instillent le doute au cœur des couples londoniens. En particulier ceux dont l’un des partenaires n’a qu’un passeport européen.

«L’incertitude s’est immiscée dans notre vie: c’est difficile de faire des projets pour l’avenir. Mon conjoint et moi avons tous les deux une carrière ici, donc nous ne voulons pas partir, mais nous devons aussi penser à notre fille et aux répercussions que cela aura sur elle», explique dans l’Evening Stantard Susie Meisel, une Allemande de 34 ans qui travaille comme infirmière à l’hôpital Saint Thomas de Londres. Tel est l’un des témoignages de couples britanno-européens que le tabloïd de la capitale a publiés il y a quelques temps. Ceux-ci y racontaient les doutes et les peurs que le Brexit engendrait sur leur vie sentimentale et familiale.

Champ lexical de l’incertitude

Il faut dire que plus que n’importe quelle autre ville du Royaume-Uni, la City est le décor de nombreuses romances aux nationalités mélangées. «Ce qui est formidable à Londres, c’est la diversité et la manière dont les différentes cultures se rencontrent», raconte dans un autre témoignage Richard Baffour-Asare, un Britannique marié à une Polonaise. Il poursuit : «Le plus difficile avec le Brexit est le fait de ne pas savoir en quoi cela va nous affecter. Cela touche déjà mes enfants: ma fille aînée a huit ans et elle demande si sa maman devra rentrer en Pologne. Elle entend parler du Brexit à la télévision. Elle ne devrait pas avoir à s’inquiéter de ces choses. Nous devons la rassurer, ça ira.» Les récits publiés par le Standard décrivent des situations multiples aux enjeux différents, allant du jeune couple en début de carrière aux retraités ayant 45 ans de mariage. Tous ont cependant pour point commun de se construire autour du même champ lexical de l’incertitude.

Un brouhaha parlementaire

Force est de constater que la situation n’est guère plus claire aujourd’hui. La semaine passée, les Parlementaires ont successivement voté contre l’accord de sortie proposé par Theresa May, mais aussi contre une sortie de l’UE sans accord (le fameux No deal). Plus encore: ils se sont mis d’accord pour laisser une troisième chance à la Première ministre, qui présentera un nouveau texte cette semaine. Afin que cela soit possible, ils ont voté une motion pour reporter le Brexit. Mais aucune des dates envisagées n’a été entérinée et on ne sait toujours pas si ce report se comptera en mois ou en années. Report qui par ailleurs doit encore recevoir l’aval de l’UE pour pouvoir être effectif. Au milieu de ce brouhaha parlementaire, les MPs ont en profité pour rejeter à une large majorité une motion proposant de régler la question via un nouveau référendum. En un mot: la confusion est plus que jamais de mise et tous les scénarios sont encore envisageables. Ce n’est pas cela qui va mettre de la quiétude dans les foyers de la capitale.

Des craintes infondées?

Dans le scénario catastrophe d’un No deal  «involontaire» — qui est encore possible si les Parlementaires n’arrivent pas à se mettre d’accord et que l’UE refuse la proposition de report du Brexit —, les ressortissants européens au Royaume-Uni devraient néanmoins pouvoir garder tous leurs droits actuels. Concrètement, les citoyens européens résidant déjà outre-manche pourront continuer à «travailler, étudier et avoir accès aux avantages et services dans le Royaume-Uni sur la même base que maintenant», indique un document du Gouvernement sur les droits des citoyens européens.

Alors infondées, les peurs de ces amoureux qui se sont exprimés dans le Standard? Oui et non. S’ils vivent déjà au Royaume-Uni, ils n’ont pas grand-chose à craindre de plus que les couples 100% britanno-britanniques. Mais ils n’ont pas pour autant moins de soucis à se faire. L’incertitude pèse sur l’ensemble de l’économie britannique, dont la Livre Sterling joue au yo-yo au même rythme que sont votés les différents amendements à Westminster. Et à moins d’avoir en permanence un œil sur la chaîne parlementaire, il est très difficile de suivre et de comprendre l’évolution des débats. Ce tempêtueux brouillard qui plane sur l’avenir du pays est suffisant pour souffler un grain de sable au cœur des mécaniques relationnelles des partenaires londoniens, même les plus complices d’entre eux.

Antoine Schaub

Réalisant un master en études du développement à l’IHEID, Antoine Schaub est un passionné de journalisme. Il a été corédacteur en chef du journal des étudiants de Lausanne et écrit régulièrement pour le satirique numérique La Torche 2.0. A travers ce blog, Antoine partage, avec ses mots, ses réflexions et ses analyses sur l’actualité internationale.

4 réponses à “Quand le Brexit s’invite dans l’intimité des couples londoniens

  1. Enfin un article bien écrit. ll est informatif, vivant et ne nous assome pas avec une doxa idéologique insupportable. C’est tellement rare que cela mérite d’être salué.

    1. Merci beaucoup pour votre commentaire. C’est effectivement le but que je me suis donné, de parler du Brexit avec une approche un peu différente de ce que l’on peut voir dans les médias traditionnels, votre retour me fait donc très plaisir!

  2. Vous avez bien résumé cette situation touchant cette île qu’est et que restera le Royaume-Unis. La partis politiques en UK montre aussi leur propre division à l’interne, non Brexiter et Brexiter avec et sans accord.
    Un fils vivant et travaillant de longue date en UK, marié a une anglaise, avec enfants, reste pour l’instant serein et persuadé que le Brexit, malgré ce vote de 2016 basé sur des mensonges et une impréparation politique magistrale et totale, n’aura pas lieu et sera probablement reporté aux calendes grecques. Wait and see.

  3. Pas seulement le Brexit. C’est le problème du journalisme en général qui se pose.

    En Suisse mais aussi dans la plupart des autres pays, depuis deux générations environ les médias mainstream exaspèrent et lassent systématiquement leurs lecteurs en confondant information et idéologie, si ce n’est bourrage de crâne. Il ne s’agit que d’un prêchi-prêcha pour des “agendas” idéologiques, voulus d’ailleurs par le pouvoir. Agenda européiste: il s’agit de dénigrer en permanence ceux qui s’opposent à la destruction des nations dans une Union Européenne idéologiquement intouchable. Même quand l’UE est manifestement dysfonctionnelle il est interdit de le dire. Agenda féministe: il s’agit de catéchiser en permanence les gens dans un évangile de lutte contre le “patriarcat” qui n’intéresse personne. Agenda climatique, car cette affaire de climat est désormais l’ultime argument du pouvoir pour contrer le sentiment populaire, qui se révolte de plus en plus contre les carcans mondialistes. Agenda LGBT. Etc. Cela devient une langue de bois et cela crée une ambiance irrespirable.

    Il ne faut pas chercher ailleurs la cause de la désaffection qui frappe la presse mainstream et le succès de l’Internet où circulent des Fake News. Les gens sont littéralement dégoûtés des journalistes. Evidemment il y a des Fake News, mais on oublie de dire qu’essentiellement ce sont les médias mainstream qui sont la véritable industrie de la Fake News, car leur business consiste à mentir au service du pouvoir et ils le font grossièrement, ne prenant même pas la peine d’enrober un peu le message de propagande pour le rendre plus digeste. Les Fake News ne sont qu’une réaction, certes fâcheuse, à l’industrie du média-mensonge de propagande, subventionnée car autrement ces organes seraient tous en faillite tant ils sont détestés.

    Face à cette situation insupportable, on souhaiterait qu’émerge une nouvelle presse d’opinion qui ose traiter les sujets dans une optique opposée à celle du mainstream actuel. Au moins il y aurait une certaine diversité. J’ai eu l’occasion de dire à un journaliste du Temps, que si la rédaction de ce journal faisait un virage à 180 degrés et adoptait une ligne droitière patriote eurosceptique, Le Temps pourrait tirer facilement à 100’000 exemplaires, mais s’il continue comme maintenant, il finira comme L’Hebdo. C’est à dire que les gens se désabonneront de plus en plus, les recettes publicitaires chuteront de plus en plus, jusqu’au jour où Tamedia jugera que ça leur coûte trop cher d’entretenir ce corps de ballet.

    Il y a aussi une autre approche, qui est peut-être la vôtre: ne pas se positionner idéologiquement dans un camp ou dans l’autre ; informer le lecteur en relatant les faits, et si possible le faire avec talent, un bon style et une syntaxe correcte (ce qui est très rare), et en plus en étant divertissant. Votre article sur l’impact du Brexit dans les couples est un chef d’œuvre de cette approche là. On n’y perçoit pas vraiment votre opinion personnelle, mais on apprend quelque chose et on a du plaisir à vous lire. Enfin on respire.

    Vous avez du talent. Continuez.

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