Affaires de famille

La vaccination de l’enfant : la France comme modèle à suivre en cas de désaccord parental?

La Confédération suisse a récemment annoncé que la vaccination contre la Covid-19 sera ouverte aux enfants de 5 à 11 ans. En effet, Swissmedic a approuvé vendredi 10 décembre 2021 le vaccin anti-coronavirus de Pfizer/BioNTech pour cette catégorie d’âge. Cette autorisation ouvre de nombreuses interrogations, notamment en relation avec l’autorité parentale.

En droit suisse, les parents exercent généralement de manière conjointe l’autorité parentale pour le bien de l’enfant, et prennent les décisions nécessaires allant dans ce sens (art. 301 al. 1 CC). Ces derniers doivent dès lors s’accorder sur toutes les décisions touchant l’enfant. Aux termes de l’art. 301 al. 1bis CC, un parent peut toutefois se prononcer sans requérir le consentement de l’autre lors de situations courantes ou urgentes[2].

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une décision relative à la vaccination d’un enfant est fondamentale et ne revient en aucun cas à un seul des titulaires de l’autorité parentale. Dès lors, lorsque les opinions des parents divergent à ce propos, ils peuvent requérir une décision de l’autorité compétente. Cependant, celle-ci statut uniquement si la vaccination est contraire au bien de l’enfant au sens de l’art. 307 al. 1 CC. Le bien de l’enfant inclut notamment la promotion de son développement corporel, intellectuel et moral (art. 302 al. 1 CC)[3]. La décision de l’autorité compétente sur la vaccination d’un mineur doit en principe se fonder sur les recommandations de l’OFSP. Un écart à cette règle n’est justifié que si la vaccination constitue un facteur de perturbation du bien de l’enfant au regard de sa situation personnelle[4]. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral établit que la menace ne doit pas nécessairement être concrétisée. La protection de l’enfant comporte effectivement un aspect préventif, à l’instar du principe in dubio pro infante[5].

Les motifs permettant de rendre une vaccination obligatoire dépendent quant à eux de la santé publique, et du danger qu’une maladie ou qu’un virus peut entraîner pour des groupes de population (art. 6 et 22 LEp).

S’agissant de l’autorisation qui pourrait être donnée par le Juge suisse concernant la vaccination d’un enfant en cas de désaccord des parents, le Tribunal fédéral a eu à trancher la question en lien avec la maladie de la rougeole. Pour rappel, cette vaccination a été accordée car elle était conforme aux directives de l’OFSP (https://blogs.letemps.ch/anais-brodard/2020/07/15/autorite-parentale-conjointe-en-cas-de-divorce-quand-la-vaccination-dun-enfant-est-sujette-a-dispute/).

Des désaccords parentaux relatifs à l’éducation de l’enfant sont inéluctables. Les parents ont le devoir de trouver ensemble une solution équilibrée qui est dans l’intérêt de l’enfant, sans que l’un d’eux n’ait une voix prédominante[6]. Dès lors, une intervention étatique sur la question de la vaccination d’un enfant demeure subsidiaire à l’autonomie des parents. En effet, l’entente de ces derniers de ne pas soumettre leur enfant à une vaccination doit être respectée. Ce n’est donc que lorsqu’un désaccord subsiste entre les parents et menace ainsi le développement de l’enfant qu’une décision doit être prise par l’autorité compétente afin de protéger sa santé et garantir sa formation[7].

Depuis le début de la crise sanitaire, la Confédération suisse a généralement suivi les directives prises par les gouvernements des pays qui lui sont limitrophes. Dès lors, il convient de se questionner sur une éventuelle exception à l’art. 301 al. 1 CO qui pourrait également prendre place dans notre système juridique.

En effet, au début du mois d’août 2021, le Gouvernement français a assoupli certaines règles relatives à la gestion de la crise sanitaire en rapport avec l’autorité parentale. Premièrement, il a été décidé que les mineurs de plus de 16 ans ne sont pas soumis à une autorisation parentale afin de pouvoir se faire vacciner contre le Covid-19. Deuxièmement, les mineurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de 16 ans doivent soumettre une autorisation parentale remplie et signée par au moins l’un des deux parents pour se faire vacciner. Partant, l’un d’eux peut légalement entendre effectuer des tests de dépistage ou faire vacciner son enfant, cela sans requérir au préalable l’autorisation de l’autre parent.

S’agissant de la liberté concédée à l’enfant de plus de 16 ans, cela peut parfaitement se comprendre, dans la mesure où un enfant de cet âge-là est capable d’auto-détermination. Il peut ainsi vouloir bénéficier d’un pass sanitaire pour pouvoir continuer à vivre une vie « normalisée ».

En revanche, le fait de ne plus avoir besoin de l’accord de l’autre parent pour faire vacciner un enfant de facto plus petit interpelle. L’essence même de l’autorité parentale est mise à mal ici et la sécurité du droit, la confiance que tout individu doit pouvoir conférer aux règles de droit est atteinte. Par ailleurs, cette possibilité confrère davantage de droit au parent gardien, qui prendra une place encore plus grande dans la vie de l’enfant, en comparaison avec le parent bénéficiant uniquement d’un droit de visite.

La solution française n’est à mon avis pas satisfaisante. Elle crée une insécurité pour les familles et pour les praticiens du droit et elle ne peut à mon sens qu’éloigner davantage les coparents de leur responsabilités communes – décisionnelles – vis-à-vis de leur enfant. Elle évite par ailleurs tout dialogue entre les parents concernant cette question importante de la vaccination et ne peut que cristalliser, voir créer, des conflits entre les parents. A éviter.

Anaïs Brodard, avocate de droit de la famille, médiatrice FSA

 

https://brodard-avocats.ch/

https://mediation-avocate-lausanne.ch/

 

 

[2] ATF 146 III 313 consid. 6.2.1.

[3] Arrêt du TF, 5A_789/2019 consid. 6.2.2.

[4] ATF 146 III 313 consid. 6.2.6.

[5] ATF 146 III 313 consid. 6.2.2.

[6] Arrêt du TF, 5A_789/2019 consid. 6.2.3.

[7] ATF 146 III 313 consid. 6.2.3.

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