Des changements durables

Quel modèle pour le commerce international ?

Il y a quelques jours, la presse titrait sur le calvaire vécu par plus de 2000 bovins, embarqués en Espagne fin décembre, et errant depuis dans deux cargos en Méditerranée, dans des conditions épouvantables.  Elevés en Andalousie, ils étaient destinés à être vendus vivants en Turquie, à près de 4000 kilomètres de leur lieu de naissance. Les exemples de ce type sont malheureusement légion, et on pourrait remplacer les bovins espagnols par les ovins australiens exportés par centaines de milliers chaque année dans des conditions tout aussi atroces vers les pays du Golfe, ou par les poulets et cochons qui traversent l’Europe d’un bout à l’autre en camion.  Deux milliards d’animaux d’élevage sont transportés d’un pays à un autre chaque année dans le monde.

C’est probablement une des illustrations les plus parlantes de l’absurdité du commerce mondial tel qu’il s’est construit ces dernières décennies.

Au delà de la question centrale de la maltraitance infligée à des êtres vivants, le fait même de transporter ce qui est considéré comme une marchandise sur des milliers de kilomètres afin d’économiser quelques centimes a quelque chose de choquant.

La théorie libérale a toujours essayé de présenter le commerce international comme quelque chose de foncièrement positif, venant à bout des guerres et des conflits sous le signe d’un profit partagé. Il est  difficile de contester que les échanges entre Nations ont pu améliorer le mode de vie de nombreuses populations, et importer de l’étranger des produits et matières premières qu’on ne trouve pas chez soi à quelque chose de logique. Poussé à l’extrême ce modèle tend cependant à nous mener à pas de géants vers la catastrophe sociale et écologique.

L’ONG “Initiative des Alpes”, qui se bat depuis fort longtemps contre la pollution et le trafic dans les régions alpines, décerne chaque année une “Pierre du diable” à un produit ayant été transporté de manière particulièrement absurde et inutile. Parmi les candidats à l’obtention de ce “prix de la honte” pour 2020 figuraient des cornichons importés du Vietnam par bateau, des graines de grenade transportées en bateau du Pérou jusqu’en Égypte avant d’être vendues en Suisse, ou encore de l’eau minérale importée du Canada…

Un quart des émissions de CO2 au niveau mondial sont liées aux transports. Parmi celles-ci, 40% sont imputables  au fret de marchandises, et n’ont cesse d’augmenter.

Au vu de tout cela, doit-on vraiment continuer à avancer au pas de charge vers un modèle de libre-échange décomplexé, qui voit des camions remplis d’eau d’Evian et de San Pellegrino se croiser dans le tunnel du Mont Blanc et des pommes de Nouvelle Zélande arriver sur nos étals alors que les producteurs suisses peinent à obtenir un prix acceptable pour leur récolte ?

Doit-on se réjouir de créer un débouché pour nos produits laitiers en Asie du Sud-Est tout en important de l’huile végétale que l’on pourrait sans problèmes cultiver dans le Gros-de-Vaud ? Doit-on vraiment continuer à investir de l’argent pour faire la promotion des vins vaudois ou valaisans dans les restaurants étoilés de New York ou de Tokyo tout en important des millions de litres de vin d’Argentine ou de Californie ?

Au delà de la question de l’huile de palme et de sa prétendue durabilité, l’accord de libre-échange avec l’Indonésie sur lequel le peuple suisse est amené à se prononcer ce dimanche nous pose la question de quel modèle économique nous souhaitons. Veut-on poursuivre un processus qui a mené à l’épuisement des ressources naturelles, mais qui permet des gains financiers à court terme, ou préfère-t-on revenir à un modèle d’échanges qui tienne compte des limites planétaires, et qui évite de sacrifier la durabilité sur l’autel de la rentabilité ?

L’urgence climatique et environnementale que nous vivons semble apporter une réponse sans équivoques à cette question, et c’est entre autres pour cela que j’ai glissé un NON dans l’urne…

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