Des changements durables

Réchauffement climatique : greenwashing en cours

Les choses ont passablement évolué en matière de discours sur le changement climatique ces dernières années. S’il y a encore dix ans on pouvait sans problèmes assister à un débat entre un jeune écologiste et un avocat libéral bon teint clamant haut et fort que le réchauffement climatique n’était qu’une baliverne, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Le discours reconnaissant une responsabilité humaine dans la hausse des températures enregistrée depuis plusieurs décennies est désormais très fortement majoritaire, et il faut aller chercher du côté des complotistes ou de certains élus de la droite dure pour trouver encore quelqu’un nous ressortant l’histoire du Groenland qui était au Moyen-Âge une terre verte et fertile ( ce qui est par ailleurs factuellement faux, mais passons) ou d’autres prétendues preuves qui innocenteraient les hummers et les vols Genève-Barcelone à 39 francs.

Tout va bien alors me direz-vous. La prise de conscience générale va entraîner des actions rapides et concrètes pour réduire les causes de ce réchauffement, à savoir les gaz à effet de serre que nous émettons massivement dans l’atmosphère depuis le XIXème siècle et le début de la Révolution industrielle! Et bien non malheureusement…

Non car la plupart des grands groupes énergétiques, industriels et financiers, tout comme celles et ceux qui en défendent les intérêts au niveau médiatique et politique, ont changé de discours, mais non de pratiques. C’est là quelque chose de particulièrement sournois et dangereux, car ce grand greenwashing est de nature à endormir les consciences, laissant imaginer que l’on se soucie vraiment du problème, et que l’on va proposer des remèdes efficaces, ce alors qu’il n’en est rien, et que les émissions de gaz à effet de serre n’ont cesse d’augmenter, alors que la biodiversité recule et que les ressources s’épuisent.

L’écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa a fait dire à l’un des personnages du   “Guépard”, son chef d’œuvre qui décrit la vie d’une famille de la noblesse sicilienne à l’époque de l’Unité d’Italie, “pour que tout reste comme avant, il faut que tout change“. C’est à cela que s’emploient aujourd’hui bien des néo-libéraux, avec une dialectique ambiguë qui se construit sur trois arguments principaux que l’on peut résumer comme détaillé ci-après, avec en préambule à chaque fois la si rassurante phrase ” Oui, il faut agir pour lutter contre le réchauffement climatique, mais…”

… D’autres polluent plus que nous.

Certes, il est indéniable que les émissions de CO2 de la Chine ou des États Unis sont supérieures à celles de la commune de Moudon, du canton d’Obwald ou même de la Confédération. Comparaison n’est cependant que rarement raison, et on n’a jamais entendu quelqu’un argumenter contre les politiques de sécurité routière sous prétexte que les accidents de la route font plus de victimes en Russie ou en Afrique de l’Ouest que chez nous. Si l’on veut lutter contre le réchauffement climatique, il faut prendre des mesures à tous les niveaux, du chauffage individuel aux politiques industrielles et fiscales nationales. La Suisse a fait partie de la première vague d’industrialisation, et émet des quantités importantes de CO2 depuis plus d’un siècle désormais. Sa responsabilité dans le réchauffement actuel est donc importante, à l’image de celle d’autres pays occidentaux. De plus, bien des études ont mis en avant le rôle important de notre place financière dans le soutien à des industries particulièrement polluantes. Ainsi, les émissions de CO2 générées indirectement par ce biais représentent plus de 20 fois celles de notre économie “stricto sensu”. Bref, il faut donc agir ici et maintenant de manière très décidée, cela même si d’autres Etats se montrent moins disciplinés.

… C’est une question de responsabilité individuelle.

Là encore, c’est vrai en théorie, mais il est illusoire de penser que l’on sauvera la Planète uniquement en triant nos déchets et en coupant l’eau du robinet pendant que l’on se brosse les dents. Les prises de conscience individuelles et les petits gestes qui en découlent sont certes indispensables, mais il faut changer de paradigme si nous voulons sortir de l’impasse. Pour cela il est nécessaire d’avoir une action étatique forte, incitative mais aussi parfois régulatrice et taxative. Tant que prendre un avion entre Genève et Barcelone ou Amsterdam coûtera moins cher que faire 50 kilomètres en train, on pourra difficilement demander aux consommateurs de faire des choix éclairés en matière environnementale. Seules des politiques publiques ambitieuses et collectivement responsabilisantes peuvent piloter efficacement le virage vers une économie durable et consciente des limites de notre Planète.

… On fait déjà beaucoup.

C’est peut-être là l’argument le plus fallacieux, car il donne bonne conscience et flatte notre égo de prétendus “bons élèves”. Or si on se penche un peu sur les chiffres de nos émissions de CO2 et des politiques visant à les réduire, on se rend compte que si des progrès ont certes été faits depuis quelques années dans certains secteurs, on est encore bien loin du compte. Les émissions dans le domaine des transports ont ainsi sensiblement augmenté ces dernières années, et la tant vantée rénovation du parc immobilier avance à vitesse d’escargot, tant et si bien qu’il faudrait un siècle pour doter l’entier de nos logements d’une meilleure isolation. Or ce n’est pas dans un futur hypothétique qu’il faut agir, mais dès aujourd’hui, et ce de manière décidée ! La lutte contre le réchauffement climatique ne doit pas être une politique publique secondaire parmi tant d’autres, mais une priorité absolue, ce qui est loin d’être le cas.

En résumé, il est essentiel de déconstruire ce type de discours, et d’adopter une posture ambitieuse et un brin radicale en  matière de lutte contre les déréglements climatiques, évitant les pièges tendus par celles et ceux qui ont intérêt à ce que “tout reste comme avant“, même si cela signifie foncer tout droit dans le mur.

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