La santé en question

Trop chers médicaments

Curafutura, la deuxième association faitière des assureurs, vient de publier ses chiffres. Pour 2019, les dépenses en médicament dans le cadre de l’assurance obligatoire auraient augmenté de 6,2% pour un total de 7 milliards de francs. Plus significatif encore, la part des anticancéreux aurait quant à elle augmenté de 15 %. A la lumière de ces chiffres, un fait d’abord : oui, de nombreux traitements oncologiques ont considérablement amélioré l’espérance de vie pour les personnes diagnostiquées avec un cancer (tout au moins certains cancers). Et pourtant…

Le cancer est la maladie de notre ère. Il est en même temps un révélateur extraordinaire de nos abus en tout genre : notre alimentation, notre façon de produire, de nous mouvoir. Le cancer est l’ombre de notre façon de vivre, et de faire société. Plutôt que de contempler cette ombre pour mieux en connaître les contours, on se dit que le progrès médical peut nous prémunir du risque qu’elle nous engloutisse. Nous avons en définitive délégué cette tâche à la pharma. Cette dernière n’a eu qu’à tirer sur le fil pour emporter avec elle la pelote. Ce qui explique le nombre insensé de traitements mis sur le marché.

Pourtant, il ne faut pas confondre le nombre de médicaments disponibles avec leur efficacité supposée. Une équipe de recherche du King’s college de Londres –  dans un article dans le très sérieux British Medical Journal – arrive à la conclusion que sur l’ensemble des traitements anti-cancéreux autorisés par l’Agence européenne du médicament entre 2009 et 2013, une infime minorité prolonge la vie tout en améliorant le confort du malade. Dans un article récent de la revue Reiso, Dimitri Kohler souligne que « les essais cliniques sont généralement menés sur des patients présentant peu de comorbidités (ndla : la présence d’autres maladies ou problèmes en plus du cancer censé être soigné primairement par un traitement donné). Ils ne sont donc pas représentatifs du patient ‘moyen’ ». Franco Cavalli ne dit pas autre chose dans une interview accordée à La Liberté: « la force des pharmas, c’est de s’appuyer sur des publications vantant les progrès apportés pour impressionner l’autorité qui fixe les prix ». Tant et si bien, que si l’on n’a pas accès aux recherches cliniques sur lesquelles s’appuient ces publications, il est difficile d’établir la portée réelle des allégations des fabricants. Il ne reste plus qu’à les croire sur parole, à sortir son porte-monnaie et à espérer…

Face aux chiffres de Curafutura, ou face aux critiques plus générales (et pas tellement nouvelles) sur les bénéfices réels et les prix que la collectivité doit payer pour y avoir accès, la fin de non-recevoir de la pharma n’a jamais cessé d’être souveraine. En particulier en Suisse, elle prend l’allure d’un drôle de chantage. A chaque interpellation, à chaque tentative de rendre l’industrie plus transparente et ses produits moins chers, la branche oppose son poids économique, sa contribution à l’emploi, les investissement consentis pour la recherche et les retombées fiscales. Soit, l’argument est juste. Mais il faut aussi concéder en retour que la branche est subventionnée par nos espoirs tout autant que par nos primes d’assurance.

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