Les pieds sur Terre

Protéger l’école, encore et toujours

Récemment la radio a annoncé que les filles afghanes ont été renvoyées chez elles et leur accès à l’école interdit sans explication ni date de retour, et une heure plus tard, que les enseignants russes doivent dorénavant enseigner une «Histoire de l’Ukraine» dûment modifiée…

Obstruction, discrimination, censure et propagande

En Suisse, dans le canton de Vaud, pendant des années on a discriminé les filles lors de l’examen d’entrée au collège: mêmes épreuves que les garçons, mais barèmes plus élevés pour elles que pour eux. Le Parti Radical de l’époque le justifiait par la  «crainte» qu’elles ne deviennent majoritaires au collège puis dans les études supérieures …

Il faudra attendre mars 1982 (!!) pour que le Tribunal fédéral fasse cesser cette pratique (méconnue du grand public et même des correcteurs des épreuves) à la suite d’une plainte de parents.

Aux Etats-Unis, durant l’administration Trump, on s’est mis à «corriger» les programmes de cours de biologie, laissant une très grande place au créationisme et supprimant parfois totalement le darwinisme et les cours sur l’évolution.

En 2020 le New York Times révélait que l’Histoire de l’immigration, de l’esclavage ou de l’avortement décrite dans les manuels scolaires était totalement différente selon l’Etat, en comparant la Californie et le Texas. Publiés pourtant la même année (2016), par le même éditeur et écrits par les mêmes auteurs. Le journal démontrait alors l’ingérence politique manifeste dans les savoirs enseignés, selon la couleur politique des Etats. *

En 2021, toujours au Texas, d’éminents et puissants hommes politiques républicains obtiennent l’examen de censure de centaines de titres des collections des bibliothèques scolaires, dont des titres évoquant des études sur le racisme ou des ouvrages sur des thématiques LGBT ou sur la violence faite aux femmes, par exemple. L’école se trouve au cœur de la censure (Cancel Culture). **

Je pourrais hélas énumérer tant et tant de funestes exemples de l’instrumentalisation de l’école à des fins politiques et / ou religieuses, partout et à tous les siècles!

Comment rester insensible aux pleurs des jeunes filles afghanes désespérées et dont toute la vie est tragiquement réduite à la soumission et aux rôles qui leur sont assignés ou au courage très réel des enseignants qui refusent de participer au révisionnisme historique qui leur est imposé?

Un enjeu de civilisation

Comment alors ne pas rappeler, encore et encore, que l’école libre, laïque, publique, obligatoire et égalitaire, est la base de tous les progrès?

 Elle est le fondement indispensable des démocraties véritables, la clé de voûte de la conquête des libertés, individuelles et collectives. Et le meilleur ascenseur social qui soit.

Comment ne pas répéter l’immense privilège que cela représente d’avoir pu bénéficier de l’accès libre aux savoirs, à l’apprentissage de l’argumentation, à l’échange des points de vue, aux contenus diversifiés et aux méthodes adaptées pour mieux les comprendre ?

Elle doit permettre l’acquisition de l’esprit critique raisonné et démonstratif. Mais aussi celle de l’art de la négociation, de l’écoute de l’autre et du droit à l’erreur. Elle doit enseigner l’espoir et non le désespoir.

Lorsque l’école et l’université deviennent les otages des pouvoirs politiques malintentionnés et autoritaires, à des fins d’embrigadement ou de propagande, c’est toute la société et la notion même de civilisation qui est atteinte et durablement menacée. Parfois pour des générations… voire des siècles.

Un bien très précieux

Pour protéger l’avenir de nos démocraties et de nos enfants, nous avons le devoir de valoriser et parfois de défendre notre système scolaire lorsqu’il est heureusement ouvert à toutes et tous, et qu’il fonctionne avec toute la précision factuelle, l’exigence pédagogique et l’honnêteté intellectuelle requises.

Nous contribuons ainsi à la lutte pour la paix en empêchant collectivement les obscurantismes de regagner du terrain.

Enjeu vital , pierre angulaire de tout le reste.

D’ailleurs c’est bien pour cela que les dictateurs et les pouvoirs autoritaires de toutes sortes veulent toujours avoir la haute main sur l’école et l’université: ils en connaissent bien la puissance et la redoutent. Ils doivent donc en prendre le contrôle, aussi bien dans la forme que dans le fond.

« Que chaque enfant soit libre d’être avec un enfant,

Libre de grandir et de se développer,

Libre de manger, de dormir,

et de voir la lumière du jour,

Libre de rire et de pleurer,

Libre de jouer et d’apprendre,

Libre d’aller à l’école,

Et surtout, libre de rêver. »

Kailash Satyarthi

Militant indien du droit des enfants et du droit à l’éducation, colauréat du prix Nobel de la Paix 2014 avec Malala Yousafzai, militante pakistanaise des droits des femmes pour l’accès à l’instruction.

Gardons ensemble les Pieds sur Terre: comme tous les progrès fondamentaux, l’instruction pour toutes et tous doit, sans relâche, être préservée et protégée. Hélas, en effet, elle n’est de loin pas acquise …. jamais, ni nulle part.

*In Courrier International , 14.01.2020 https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-au-texas-ou-en-californie-dans-les-manuels-scolaires-ce-nest-pas-la-meme-histoire

**in Les Univers du Livre Actualité , le 07.12.2021, Antoine Oury https://actualitte.com/article/103735/bibliotheque/au-texas-plus-de-400-livres-retires-des-bibliotheques-scolaires

 

 

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