Les pieds sur Terre

Mais pourquoi je mets un sapin de Noël au salon?

« Parce que c’est la tradition », oui mais laquelle au juste? Je m’aperçois que j’ignore presque tout du pourquoi un sapin (et pas autre chose) et pourquoi des boules , et pourquoi de préférence rouges, des bougies, des lumières et des friandises ? Je perpétue gaiement chaque année une tradition sans en connaître grand-chose. Et vous?

Un rite millénaire et quasi universel

On trouve en effet cette tradition partout ou presque, dans l’hémisphère nord principalement mais aussi dans l’hémisphère sud, où pourtant c’est l’été en décembre.

Et ça ne date pas d’hier. On croit souvent, à tort, que c’est l’ère chrétienne et la Nativité qui marquent l’émergence de sa présence, mais ses origines sont plus anciennes et plus mélangées. En fait notre bon vieux sapin de Noël est le résultat de ce que les historiens appellent un syncrétisme: soit le produit d’associations, de mélanges complexes d’influences très diverses. Ici, tout est entremêlé, les origines païennes et religieuses, les cultures et les géographies.

Egyptiens, Romains, Grecs, Hébreux, Celtes et Gaulois (pour ne citer qu’eux) tous ces peuples anciens ont en effet célébré plus ou moins de manière identique et plus ou moins au même moment le solstice d’hiver, selon leur calendrier en vigueur alors. Dans l’ensemble soit le 24 soit le 25 décembre.

Feuillages persistants et immortalité

Dans tous ces rites festifs, et selon les régions, on utilisait toujours des guirlandes de feuillages persistants: l’olivier, le houx, le laurier, le gui, le buis, le pin, pour symboliser la vie éternelle. On comprend le symbole. On en décorait les demeures et on y ajoutait tantôt des lumières, tantôt des friandises, pour éloigner les démons venus des ténèbres ou parfois, tenter de les amadouer par des offrandes.

Quant à l’épicéa commun (le fameux sapin), très répandu dans les forêts européennes , il était considéré par les Celtes comme « l’arbre porteur de vie », ce qui ne nous étonne pas, lorsqu’on sait qu’il peut vivre plusieurs centaines d’années dans son milieu naturel, et qu’on en a recensés et datés au Carbone 14 en Suède âgés de plus de 5000 ans! Il peut atteindre la taille monumentale de 60 mètres en Europe de l’Est, et de ce fait, incarne aussi la pérennité. Il a de plus de nombreuses vertus médicinales, bienfaisantes en période hivernale, antibiotiques, expectorantes notamment. C’est donc un arbre « puissant ».

Le culte du Soleil Invaincu: une grande fiesta impériale

Païen, le culte du Sol Invictus, pratiqué de façons diverses pendant l’Antiquité par les populations romaines au moment du solstice d’hiver fut harmonisé et sa pratique réglementée par l’empereur Aurélien au IIIe siècle pour des raisons politiques. Partout on célébrait le Soleil et on le remerciait pour sa renaissance future alors que la lumière se faisait désirer pendant l’hiver.

Aurélien trouva ainsi en effet un moyen d’unifier l’Empire, très divisé, dans une pratique commune puisque déjà consensuelle: une grande fête collective le 25 décembre pour célébrer le Dies Natalis Solis, le jour de naissance du Soleil et donc, sa renaissance éternelle.

Et lorsque cette pratique fut christianisée, on remplaça la naissance du soleil par celle du Christ. Natalis en latin devint Noël en français, Natale en italien, etc.

Le but d’Aurélien était de se servir de la convivialité (cum vivere, vivre ensemble) des festins pour pacifier et réconcilier les peuples de l’empire. Il proclama ainsi une tradition commune censée incarner l’Empire et son pouvoir. Boire, manger, se réunir pour fêter, et échanger des cadeaux en signe de bonne volonté réciproque, allumer des lumières, tous ensemble le 25 décembre.

On avait donc déjà là les ingrédients qui nous rassemblent, croyants et non croyants, encore aujourd’hui, ainsi que la notion de trêve aux conflits.

Et puis il y eut aussi un grand mélange avec les Saturnales antiques, le Samain celte, le Yule nordique et le protestantisme.

Je ne peux ici entrer dans les détails trop nombreux (et passionnants je dois dire !) des divers métissages culturels et religieux et des nombreuses légendes mais pour répondre à ma question:

Pourquoi des boules? pourquoi le rouge? et pourquoi les lumières dans le sapin?

Je peux vous donner quelques pistes plus proches de nous …

 Les boules d’ornements, rouges de préférence, sont les descendantes directes des pommes rouges qui étaient traditionnellement accrochées dans l’arbre pour rappeler aux Chrétiens le pommier sacré du Paradis.

Les friandises, tels les biscuits, étaient la représentation des hosties de l’Eucharistie.

Les lumières représentent l’espoir incarné par la naissance de Jésus, nommé Lumière du Monde chez les Chrétiens ou par le Messie attendu comme le Soleil de Justice chez les Hébreux.

 Les guerres et le pouvoir

J’ignorais en me lançant dans cette petite quête de réponses sur mon sapin de Noël que j’allais être entraînée vers l’évocation d’événements historiques aussi fortement associés aux guerres et à l’exercice du pouvoir.

En France:

Aux XVe et XVIe siècles , la tradition du sapin de Noël décoré est surtout répandue en Europe de l’est, en actuelles Estonie et Lettonie et dans les pays germaniques, dont l’Alsace fait alors partie et où cette tradition est alors déjà bien installée.

Elle est de plus associée à la Réforme et donc au culte protestant. On raconte même que l’idée des lumières dans le sapin viendrait du réformateur Martin Luther, pour figurer les étoiles…

Chez les catholiques, on célèbre la Nativité avec la Crèche. Les protestants voulurent s’en démarquer en adoptant le sapin, surmonté de l’Etoile de Bethléem.

Après la guerre franco-prussienne de 1870, ce sont les Alsaciens et les Lorrains qui répandirent plus largement cette coutume en France. Jusqu’alors elle n’avait pas véritablement pris l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui, malgré l’apparition du sapin de Noël à la cour de France à plusieurs reprises, sous l’influence des diverses reines d’origine germanique.

Ainsi l’épouse de Louis XV, polonaise d’origine, ou plus tard la Duchesse d’Orléans sous Louis-Philippe ont-elles aussi contribué à la coutume du sapin comme Arbre de Noël. (Cette appellation qui deviendra un terme générique pour le sapin ornementé date semble-t-il de 1521 en Alsace).

En Suisse:

Le protestantisme, la proximité avec les influences des pays de l’est de l’Europe, le voisinage constant avec Strasbourg et l’Alsace, le commerce par le Rhin et la grande quantité d’épicéas dans les forêts ont favorisé tout naturellement cette tradition.

En Grande-Bretagne:

Très éprise de son mari, le Prince Albert, lequel était d’origine allemande, en décembre 1848 la Reine Victoria lança la mode du sapin de Noël at home, auprès duquel elle avait rassemblé la Royal Family et ainsi posé pour le magazine Illustrated London News. Cela eut un succès retentissant et mondial.

La Reine Victoria allait ainsi exprimer publiquement et impérialement deux des valeurs chères au 19e siècle: l’association entre le respect religieux et le cercle de famille, réunis autour d’un même symbole. L’unité impériale sous toutes ses formes, de la famille à la nation, et sous une seule autorité dominante.

Ce qui n’est pas sans rappeler l’idée de l’Empereur Aurélien …

Conclusion en guirlande « lumineuse »

Donc si je résume, le sapin par sa forme triangulaire est à la fois un rappel de la Sainte Trinité pour les Chrétiens, de l’exercice du pouvoir pyramidal pour ceux qui le souhaitent, de la protection pour les faibles, du repère pour les égarés, de lumière et de chaleur, de rappel que le vivre ensemble passe par le don et le contre-don des cadeaux et par le repas commun, de fiesta païenne et polythéiste ancestrale, bref, que le paradis n’est pas tout à fait perdu et que l’on peut éloigner les démons!

Alors je garde les Pieds sur Terre et je me dis que j’ai bien de la chance d’avoir un sapin décoré dans mon salon !

Tous mes vœux ! Ah d’ailleurs, saviez-vous que naguère on écrivait des vœux sur des cartes suspendues dans le sapin? Oui, bon, promis, je m’arrête là ! Bonnes fêtes !

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