Les pieds sur Terre

La gifle: un geste qui a une longue histoire …

La gifle a une très forte charge symbolique de communication dans nos cultures occidentales. Ce geste si soudain a toujours gardé un statut particulier à travers les siècles. Il est intéressant d’en rappeler quelques caractéristiques historiques et sociales le lendemain de l’agression dont a été victime Emmanuel Macron et qui suscite de vives réactions. C’est perçu en effet comme bien pire qu’une tarte à la crème, une enfarinade, ou une tomate trop mûre…ça n’a rien d’une “blague”, ça ne fait pas rire du tout et on ignore si c’est prémédité ou l’expression d’un brusque accès de violence. C’est donc incompréhensible, inquiétant et choquant. Penchons-nous sur la question de façon plus générale ….

Pourquoi une gifle est-elle si intolérable?

Pour mieux le comprendre dans son sens général, il faut relier ce coup soudain porté au visage à plusieurs paramètres associés:

La main ouverte, la main tendue

Traditionnellement, et cela depuis des siècles, la main ouverte paume vers le haut et avant–bras tendu permettait de montrer que l’on ne tenait pas d’arme. Suite logique, la poignée de main, toujours donnée avec la main droite, est donc un signe de réciprocité pacifique: «je ne suis pas armé et toi non plus, dès lors nous pouvons entrer en communication verbale en confiance».

La main de la bénédiction religieuse s’approche de la tête du fidèle, qui s’en réjouit et s’y soumet volontairement en inclinant la tête.

La main tendue est aussi celle de l’aide et du secours.

La confiance

Dans tous ces cas, ce geste paume ouverte vers autrui est un gage de confiance qui relie les interlocuteurs. Le mot confiance vient du latin cum fidere qui veut dire partager sa foi  avec l’autre (au sens large du mot foi, sans connotation religieuse ici). Pouvoir se fier à quelqu’un, c’est fondamental, parfois vital. Cela implique que l’on n’a pas à craindre la trahison, la traîtrise.

La face, identité sacrée et vulnérabilité

Dans presque toutes les cultures, le visage est sacré. Sa représentation est parfois sacrilège lorsqu’il s’agit de dieu(x) dans certaines religions. Elle est souvent révérée, comme pour les chrétiens celle de l’empreinte du visage du Christ. Des populations autochtones considèrent que prendre en photo leur visage, c’est voler leur âme.

Et, ne nous y trompons pas, nous sommes plus que jamais dans une ère du culte de l’image du visage, sacralisée et enluminée par des artifices “photoshopés” ou modifiée par le maquillage et la chirurgie. L’ère du selfie narcissique se double aujourd’hui de la crainte des abus relatifs à la reconnaissance faciale par l’intelligence artificielle. Le visage est donc plus que jamais investi d’une forte charge émotionnelle.

Ajoutons que, lorsqu’on s’avance « à visage découvert » c’est en signe d’ouverture au dialogue et à la relation.

Quand la main ouverte ment

La violence de la gifle est donc multiple: la main ouverte en frappant la face commet une trahison aggravée. En effet, la surprise néfaste et la stupéfaction y sont associées.

Ce geste a toujours été considéré et ressenti comme une humiliation. On parle d’avanie, de camouflet. Ce n’est pas seulement un coup, c’est un discours gestuel. Presque théâtralisé. Toujours dramatisé. Et souvent tragique.

Si elle est donnée en privé, c’est une trahison beaucoup plus mortifiante et violente psychologiquement (et même physiquement) qu’une bourrade dans une épaule. « Se prendre une claque » est une expression métaphorique illustrative du fait qu’on n’a pas vu le coup venir, qu’on n’était ni préparé ni armé. On se croyait en confiance, on a donc baissé sa garde et on était vulnérable. Par conséquent, la rancune et la rancœur risquent fort d’être définitives. C’est une énorme blessure narcissique, et le beau Narcisse aimait, comme on le sait. son visage jusqu’à en mourir….

L’humiliation publique

Encore jusqu’au 19e siècle, la gifle publique, devant témoins, était le facteur déclencheur des duels les plus sanglants, mêmes interdits par la loi. Le soufflet se donnait généralement avec les gants de celui qui se considérait comme offensé et un tel geste au visage de son adversaire provoqué se réglait à l’aube au pistolet ou à l’épée.

Honneur et respect

En effet, attenter brusquement à l’intégrité identitaire (le visage) d’un homme (les femmes, qui en étaient parfois les enjeux ou les prétextes, ne pratiquaient pas ces codes) par ce geste si vif et inattendu était considéré comme une atteinte inacceptable à l’honneur. Il fallait laver cet affront (mot qui vient aussi du latin ad frontem , sur le front, ou vers le front) en combat singulier.

Hiérarchie des atteintes à l’honneur: le code

Dans la définition de l’Encyclopedia universalis, l’atteinte à l’honneur n’a de sens que lorsqu’il y a égalité de rang. Dans ce fameux code de l’honneur, un supérieur  hiérarchique ne peut pas se sentir humilié par quelqu’un qui n’est pas son égal. L’affront n’a pas de valeur symbolique dans un tel cas. C’est la base même du code.

En revanche, il y a crime symbolique dans la tentative d’atteinte à l’intégrité d’une figure hiérarchique forte.

Un président ou une présidente, ou tout autre dirigeant investi d’un pouvoir politique ou religieux par/sur une collectivité, représente cette collectivité qui l’a placé à son poste. Toucher à son visage, c’est toucher à tous les membres du groupe considéré et à tout ce qu’ils représentent.

Le symbole

On pourrait encore détailler longuement les facteurs, historiques, sociologiques, politiques et psychologiques qui constituent dans l’imaginaire collectif un interdit si ancien et si particulier.

Cela choque donc les gens à plusieurs titres comme on le voit.

L’Histoire et l’actualité

En minimisant la portée de cette gifle contre E. Macron, les ministres et le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal rappellent donc que le Président n’est pas humiliable ou atteignable dans son honneur puisque sa fonction même le place hirérarchiquement au-dessus du «gifleur». On est donc tout à fait dans le cadre historique du code de l’honneur.

C’est la Justice qui a la charge de punir le crime d’atteinte symbolique, au nom de la société qui l’a élu Président car, dans les régimes démocratiques, la loi et son application par la justice sont relatives à la société tout entière et s’appliquent à tous les individus qui la constituent.

Pour conclure, il est très intéressant de constater combien nous sommes dépositaires, parfois sans même le savoir, des signaux de communication ancestraux de la culture à laquelle nous appartenons.

Et puis, gardons les Pieds sur Terre et la tête froide, ce qui nous interpelle toujours, à juste titre, c’est d’assister à un acte violent commis sur une personne, quelle qu’elle soit.

 

 

 

 

 

 

 

 

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