Les pieds sur Terre

Le «Nudging» ou la persuasion à grande échelle, suite…

Partie 2 : Le Nudging, alternative de communication intéressante

Cette méthode s’est tout d’abord fait connaître dans les pays anglophones, dans les milieux académiques et économiques. On parle aussi de Behavioral Economy (Economie comportementaliste) et de Nudge Marketing, selon les applications considérées.

Il est important de souligner ici que cela ne peut remplacer d’autres stratégies d’information ou de communication dans tous les cas de figures, mais que c’est une possibilité différente, à ajouter ou à privilégier. C’est donc une solution complémentaire, souvent plus efficace que les méthodes traditionnelles. Elle mérite donc qu’on la prenne en considération. Une sorte de nouvelle corde (ou de nouvelle flèche) ajoutée à l’arc de ceux qui communiquent.

Non, l’être humain n’est pas si rationnel qu’il voudrait le croire!

Dès 1960 le chercheur américain Herbert Simon* s’intéresse aux processus de prises de décisions et de choix des individus, en particulier dans le domaine économique.

Il révolutionne la vision jusque-là admise de l’Homme rationnel. Il reçoit le Prix Nobel d’économie 1978 pour sa théorie sur la rationalité limitée.

Incertitudes et choix par défaut

Herbert Simon relevait les multiples facteurs d’incertitude qui modifient nos prises de décisions: par exemple, nous ne savons jamais tout, ni sur nous-mêmes ni sur le contexte de nos décisions.

Il démontre que lorsque nous faisons un choix pour résoudre un problème, nous avons avant tout renoncé à d’autres possibilités alternatives, aussitôt qu’une solution nous paraît suffisamment satisfaisante.

Or le renoncement est un acte délibéré de l’individu, à ne pas confondre avec la résignation, laquelle implique au contraire une sorte de soumission aux événements.

Le renoncement est donc un mouvement positif que l’on peut valoriser.

Emotionnels avant tout (et plutôt paresseux …)!

Il conteste l’idée reçue que, si nous sommes bien informés, nous sommes capables de prendre nos décisions de façon optimale et «froide» en quelque sorte, c’est-à-dire rationnellement. Or il n’en est rien: nous sommes des êtres essentiellement émotionnels. Bien moins cartésiens ou raisonnables que prévu, même face à des mesures chiffrées …

Il démontre aussi que, paradoxalement, nous sommes prévisiblement irrationnels”!

Contrairement aux idées reçues, nous prenons nos décisions en fonction d’une multitude de facteurs et de procédures dont la plupart nous échappent. Et nous le faisons de manière systématique, c’est l’aspect prévisible de nos attitudes. H.Simon montre que nous le faisons bien davantage dans le but de la satisfaction la plus aisée plutôt que dans celui de la maximisation objective de nos intérêts.

J’ai envie de dire pour résumer que, comme tout le vivant, nous économisons notre énergie chaque fois que cela nous est possible!

Cette théorie fit grand bruit dans les milieux concernés (économie et finance) et suscita bien des polémiques. Mais elle ne tarda pas à être considérée comme extrêmement intéressante.

 Reprise et développée par Daniel Kahneman (Nobel d’économie 2002), puis par Richard Thaler (Nobel 2017) et Cass Sunstein (en 2003 puis 2008 **), et par Dan Ariely*** dans son livre C’est (vraiment ?) moi qui décide: les raisons cachées de nos choix (2008), la théorie et méthode du Nudging fut adoptée par Obama dès 2008 (création d’un Nudge Squad en 2013) puis par de nombreux dirigeants et pays, jusqu’à plus récemment l’Allemagne ou la France.

Une autre version d’une même réalité: un gros gain pour un très petit prix

Ainsi, en France, en ne modifiant qu’une formulation sur la déclaration fiscale concernant la possession d’un téléviseur, on a pu récupérer des millions d’euros de redevance.

Auparavant le formulaire disait : « avez-vous un poste de TV chez vous? » et il fallait cocher pour le dire. Et le résultat était très faible…. Le « Oups ! j’avais pas vu … » était trop facile…

En faisant l’inverse, c’est-à-dire en mettant «si vous n’avez pas de TV chez vous, alors vous devez l’écrire et le déclarer solennellement» pour ne pas devoir payer automatiquement la taxe (l’idée étant que la grande majorité des Français en ont une), l’Etat a utilisé le biais dit d’autorité:

Si vous écrivez « Non je n’en ai pas » et que vous mentez, vous ne pourrez pas prétendre ne pas avoir voulu frauder … C’est plus difficile, cela vous prendra plus de temps (il faut écrire une déclaration à part) et c’est donc moins tentant. Vous êtes amenés à prendre vos responsabilités de façon plus active.

Coût de l’opération pour changer la formulation? Plus que faible au regard du bénéfice car les montants des redevances ont fait un bond! Ainsi les citoyens ont donc été incités à être plus honnêtes sans remontrances ni menaces explicites.

La question des dérives

S’agissant tout de même de manipulation, bien que «douce», et basée très efficacement sur la psychologie humaine et comportementale, on est en droit de se demander si le Nudging n’est pas un redoutable moyen de nous « moutonniser » à l’envi à des fins plus ou moins nobles.

Je n’ai pas de réponse toute prête à ce sujet.

Le Nudging public, social ou politique:  le paternalisme libertarien

Je remarque néanmoins que le risque est très faible si les principes de liberté des individus d’adhérer ou non à l’incitation sont strictement respectés, comme c’est normalement le cas dans cette pratique dite du paternalisme libertarien (Libertarian Paternalism tel que définit par Thaller et Sunstein **). Cela implique également qu’ils soient  préalablement informés clairement.

En revanche dans le Nudge marketing à des fins purement publicité-vente-profit, je serais plus critique et je crains les risques de dérives pour la seule raison déjà que l’objectif n’est plus du tout le bénéfice «vertueux » collectif mais celui de quelques-uns au détriment potentiel des autres…

De grandes firmes de sodas pleins de sucre et de sel s’intéressent par exemple de très près à ces techniques d’influence. Cela reste alors du pur marketing de vente de produit.

 Une perspective optimiste pour les causes collectives?

Remarquons pour conclure que certains mettent beaucoup d’espoir sincère dans cette méthode pour résoudre diverses problématiques sociétales ou environnementales car elle tient compte de nos réelles inerties comportementales et des contextes qui nous entourent au lieu d’en être déconnectées.

Cela ouvrirait une nouvelle voie de gouvernance, complémentaire aux méthodes déjà en vigueur. Ils défendent la thèse que des conduites acceptées librement nous responsabilisent davantage et font de nous des citoyens mieux assumés. Cela me paraît très sensé.

Je garde les Pieds sur Terre : entre toutes les options possibles d’opinions à ce sujet, je propose de laisser à chacune et chacun le libre choix de la réponse  😉 !

 

* Herbert Simon interview http://www.sietmanagement.fr/decision-organisationnelle-rationalite-procedurale-les-boucles-imc-h-simon/

**Libertarian Paternalism  in Thaler, Richard H. and Cass R. Sunstein. Nudge: Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness. Yale University Press, 2008.

***Dan Ariely conférence :Contrôlons-nous nos décisions ?

https://www.ted.com/talks/dan_ariely_are_we_in_control_of_our_own_decisions?language=fr

(traduction de la conférence https://www.ted.com/talks/dan_ariely_are_we_in_control_of_our_own_decisions/transcript?language=fr

 

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