Les pieds sur Terre

Ma très “chère” Suisse,

Beautiful Swiss Landscape in Springtime

Que t’arrive-t-il? Ta beauté te serait-elle montée à la tête? Je m’inquiète pour toi et pour ton avenir touristique. Comme je t’aime, je te dois quelques vérités, sans hypocrisie ni lâcheté. Pleine d’enthousiasme, et ainsi que me l’a instamment demandé Suisse Tourisme, j’ai voulu soutenir tes efforts pour sortir du marasme post Covid19. Je suis donc partie en bonne compagnie admirer tes villes, tes campagnes, tes lacs sublimes et tes monts majestueux.

Je me réjouissais vraiment beaucoup de (re)voir toutes tes beautés, et de les faire découvrir à des amis. Pour les paysages nous n’avons pas du tout été déçus, tu mérites largement l’admiration, tu restes splendide. Tu ne tombes pas du piédestal sur lequel les plus grands écrivains-voyageurs tels Victor Hugo, Stendhal, Lord Byron, George Sand et tant d’autres t’ont placée à juste titre.

Nous applaudissons, émerveillés, à ton spectacle paysager, il est grandiose. Merci d’avoir su si bien le préserver.

Pas des pigeons, même voyageurs

Pourquoi suis-je donc indignée ? Vois plutôt et juge par toi-même: que penses-tu d’une «Auberge de jeunesse» qui propose une nuit pour 2 personnes sans petit déjeuner, douche et wc partagés à l’étage, pour …132.-frs? As-tu jamais été jeune, sans salaire et étudiante? As-tu oublié qu’en Suisse, il y a beaucoup de familles modestes, voire très modestes?

Comme Marie-Antoinette *, tu pourrais leur lancer une petite alternative méprisante, du genre, « lits trop chers? qu’ils couchent sous la tente !» mais ce serait méconnaître le coût de la nuitée des campings et ils n’auraient pas encore tenté d’aller manger au restaurant… Marie-Antoinette suggérerait probablement: « qu’ils pique-niquent ! » . Et c’est bien ce qu’ils font… Les familles suisses sont les reines du sac à dos remplis de victuailles et on les comprend, vu le prix et parfois, hélas, la qualité décevante des plats.

Car les restaurants aussi sont trop souvent chers (difficile de manger pour moins de 25.- frs , même sans entrée ni dessert ni boisson) pour ce qu’ils offrent, voire carrément mesquins: on ne « fait pas le verre d’eau (sic) », et encore moins la carafe, que d’ailleurs on facture de plus en plus (5.- frs !), ce qui, si tu as voyagé un peu dans le monde et même juste à côté de chez nous, offense les plus élémentaires lois de l’hospitalité, même dans les pays les plus pauvres et les plus arides.

On sert un apéro sans le plus petit bretzel salé, on apporte du pain «  à la retirette » et souvent déjà à moitié sec, j’ai même découvert qu’on fait payer un surplus pour une pizza partagée (c’est arrivé à un couple de mes amis) sous prétexte qu’ils ont « mangé les deux » (et donc osé salir deux assiettes et 4 couverts ? et je ne te parle même pas de l’usure des chaises !!).

Etoiles …filantes

Quant aux hôtels, ils affichent fièrement leurs étoiles, qui laissent rêveurs: je viens d’en faire l’expérience. Après avoir longuement cherché un lieu pour dormir une nuit à moins de 250.- frs(!), j’ai finalement trouvé un hôtel pour 190.- frs la nuit pour 2. Sur le moment, c’est fou, par comparaison ça m’avait même semblé pas trop cher… (je précise que je ne suis pas passée par des plateformes de réservation qui augmentent les prix en prenant leur commission, c’est donc le prix réel). Il affichait 3 étoiles, on se réjouissait.

Un scandale pour un tel prix

Mais alors, sur place, une fois la porte franchie, laquelle arbore fièrement les logos Typically Swiss Hotel et Hôtel de charme suisse, nous avons été projetés dans la série Derrick (années 80 …).

Où ont filé les fameuses 3 étoiles? Dans un trou noir probablement… Le “typiquement suisse de charme” devient une vraie caricature:

Depuis 45 ans au moins, les propriétaires (une famille, 3 générations) n’avaient RIEN changé de la « décoration» :  vieille moquette rosâtre à motifs, rideaux verdâtres d’origine, lampes appliques bon marché en verre moulé avec excroissances indéfinissables, meubles  très médiocres et dévernis, tachés de multiples ronds de verres humides, salle de bains tapissée d’un linoléum vertical imitant les carrelages, d’un beige-brun à motifs, et très consternante: tout, absolument tout était usé et vétuste. Moche et déprimant.

Ajoutez à cela les serviettes de bains usées et trop petites, et l’unique petite bouteille d’eau si généreusement offerte pour 2 personnes, avec un mot assorti de deux cœurs « Herzlich Wilkommen » ! on a ri pour ne pas pleurer …

Et cerise sur le vieux pain sec, deux lits jumeaux, qui semblaient tout droit sortis d’un couvent reculé ou d’une ancienne colonie de vacances, et dont le matelas était hélas à «mémoire de forme», celle des milliers de voyageurs précédents…Ultra glamour …

190.- frs pour ça!! En tout cas, ce ne sont pas les investissement successifs en rénovation qui avaient ruinés les propriétaires…

Voilà ce qui se passe trop fréquemment: comme il n’y a rien d’autre d’abordable, on y dort quand même, et on jure qu’on n’y reviendra pas! Sur le plan du marketing, reconnais que tu pourrais mieux faire …

La honte …

Je dois te dire, ma chère, si chère Suisse, que cela m’a fâchée. Pas seulement pour le mépris du client, non, pire: parce que j’ai eu honte de toi.

Je voulais t’exhiber fièrement aux yeux de personnes à qui j’avais tant vanté tes merveilles, et toi, tu ne te montres pas à la hauteur. Ton accueil est-il une légende ? Tu surfes sur tes Ecoles hôtelières prestigieuses, et dont les membres font profiter le monde entier de leurs talents reconnus et quelques-uns de tes palaces probablement.

Mais pour nous simples visiteurs, autochtones ou étrangers, que comptes-tu faire pour te mettre à jour ? Ne viens plus pleurer pour me dire que les salaires sont plus élevés et que tout est plus cher en Suisse pour tes prestataires, moi je te parle du rapport qualité–prix, du sourire, du petit rien qui fait plaisir, de la générosité du cœur, de la qualité du service (qui implique de recevoir la carte dans un délai raisonnable, et de ne pas devoir réclamer 3 fois son addition, ou qu’on déplace un parasol sans faire la tête). C’est ça l’esprit commerçant, le bon accueil, la vraie qualité!

On le sait, en comparaison du reste de l’Europe, les prix de l’hébergement et de la restauration sont d’au moins 20% plus chers en Suisse. **

On pourrait l’admettre si la qualité du service était à la hauteur des prix. Or comme je viens de te le dire, on en est loin.

Réveille-toi et secoue-toi avant qu’il ne soit trop tard… !

Tout ça commence à se savoir au-delà de tes frontières et ça afflige tes plus grands fans, les Suisses eux-mêmes. Les statistiques de tes nuitées baissent. Tu avais en cette période de post pandémie une occasion en or de séduire! Mais tu as préféré tenter le coup du bon vieux statu quo… Quel dommage!

Demande-toi, dans le fond de ton cœur si tu n’as pas une grosse part de responsabilité dans le fait que Les Helvètes filent toujours ailleurs pour leur vacances, en Italie, en France, en Espagne, ou plus loin. Ils sont si gentils qu’ils ne râlent jamais,  ils courbent le dos quand ils se font avoir, mais ne te méprends pas, leur silence n’est pas un indice de leur satisfaction.

C’est un silence suisse, celui de la discrétion et du pas de côté.

Et rappelle-toi qu’on peut tromper peu de gens longtemps, beaucoup de gens peu de temps, mais pas tout le monde tout le temps… Je t’ai épargné les dizaines d’anecdotes que j’ai recueillies ou vécues, et qui ternissent ta réputation. Tu as tant à offrir, ne te sabote pas ainsi.

Garde les Pieds sur Terre, (re)deviens vraiment hospitalière et accueillante, même pour les plus petits et les plus modestes. On n’est pas tous de passage, on aimerait revenir, ne nous en décourage pas. On sera même heureux d’ouvrir nos porte-monnaie.

Je t’embrasse comme je t’aime, c’est-à-dire de tout mon cœur.

 

* La Reine Marie-Antoinette qui s’étonnait des cris du peuple affamé réclamant du pain aux grilles de Versailles, aurait dit : « Ils n’ont plus de pain? Qu’ils mangent de la brioche ! » montrant ainsi sans le savoir à quel point elle était ignorait tout de la vraie vie des gens. Et comme on le sait, elle finit décapitée…

**cf. article du Temps du 10 juillet:   https://www.letemps.ch/economie/tourisme-suisse-affronte-propre-cherte

 

 

Quitter la version mobile