Les pieds sur Terre

Communications politiques: le grand écart révélateur

Entre pédagogie et démagogie, information et propagande: comment communiquer efficacement pour être compris, se maintenir au pouvoir et se protéger des réactions de l’après-crise?

Parce qu’elle touche tout le monde, et le monde entier, la crise sanitaire fait apparaître en simultané les diversités de discours des politiques des pouvoirs en place. En effet, si les difficultés sont communes, et le thème identique, en revanche les contextes et les objectifs diffèrent fortement.

Prises de parole et colorations politiques: les différences de styles

La problématique est semblable, sa gestion, on le sait, ne l’est pas. Il est frappant de constater que le discours de gouvernance sur ce thème est un exercice totalement inédit pour les politiciens. Ils n’y étaient (hélas …) pas du tout préparés.

Etre investi(e)s de la responsabilité de la destinée et de la survie, au sens littéral du terme, de leur population dans sa totalité est un défi qu’ils ou elles peinent à relever. On le constate chaque jour et partout.

A ce titre, quelques-unes des prises de parole publiques, telles que rediffusées aux informations par exemple, sont intéressantes à comparer et donnent un ou deux points de départ pour des observations, et peut-être pour de futures réflexions plus largement documentées.

Ménager la chèvre et le chou, en temps réel et sans visibilité: comment parler aux foules ?

Lorsqu’on regarde les infos télévisuelles, la tendance générale dans les démocraties (ex: Suisse, France, Italie, etc.) est au mélange entre l’explicatif et le déclaratif, mais avec de sérieux dérapages vers l’exclamatif chez les gouvernants des démocraties ultra-libérales (ex :Etats-Unis, Brésil).

Dans les régimes à caractère soit autoritaire soit totalitaire (du type Corée du Nord, Philippines,Turkménistan, Biélorussie, Erythrée, etc.), pour ce que l’on peut en savoir du moins, on naviguerait entre l’omission, le silence, le mensonge et les ordres.

La longueur des phrases comme indicateur?

A première vue, plus la démocratie est active et plus le discours tend à être long et cherche à développer les explications. Avec le risque éventuel (et que les enseignants connaissent bien) que, parfois, trop d’informations tue l’information.

En effet les phrases et les explications trop longues peuvent égarer l’auditeur et le décourager. L’impact du message est alors dilué, voire perdu. Fusent alors, les « c’est à n’y rien comprendre ! » ou les «  je ne sais plus quoi penser ! » ou les «  bon, mais alors on est censés faire quoi au juste ? ».

Certes, faire la synthèse des informations devient difficile pour les destinataires, mais au moins on a fait appel à leur compréhension et à leur intelligence ! Et ils restent libres d’en débattre et de poser des questions.

Les gouvernants font le difficile exercice de la pédagogie. Ils cherchent à être entendus et compris.

Actuellement ils doivent encore y ajouter les éléments, heureusement inhabituels dans nos démocraties, de décrets et de sanctions associés à l’état d’urgence sanitaire. Tout cela rallonge d’autant les discours et complique l’exercice.

Slogans démagogiques

Ailleurs, comme aux Etats-Unis ou au Brésil, c’est beaucoup plus bref: on profère des slogans, dénués de tout contenu utilisable et destinés avant tout à dissimuler la réalité des faits. On laisse notamment aux populations la prétendue « liberté » de faire de mauvais choix en toute ignorance puis d’en assumer seules les conséquences …

Donald Trump ne fait pas à proprement parler de discours de gouvernance, il se contente de lâcher des petites phrases, certes pendant deux heures, mais décousues et dont la particularité est d’être hyper subjectives : « je pense que …, je vois .., cela me paraît…, j’ai entendu dire que …, je crois que…, . Et truffées de « peut-être », ou de « vous pourriez …, il faudrait … » et de toutes sortes de verbes au conditionnel. L’approximation et la généralité sont de mise.

A cet égard le tristement célèbre point presse du 23 avril est un modèle du genre :

“Et puis je vois le désinfectant qui neutralise le virus en une minute… Est-ce qu’on pourrait faire quelque chose comme ça ? Avec une injection dans le corps, presque comme un nettoyage… Car vous voyez, le virus fait des dommages dans les poumons chez un grand nombre de personnes, ce serait intéressant d’examiner ça.”

“Il faudrait voir avec des docteurs en médecine si c’est possible, mais ça me semble être une piste intéressante. Donc nous allons voir, mais tout le concept de la lumière et de la disparition du virus en une minute, c’est assez puissant.”

« Peut-être que vous le pouvez, peut-être que vous ne le pouvez pas (…) Je ne suis pas médecin. »

(traduction et transcription, Xavier Demagny France inter, 24 avril 2020, https://www.franceinter.fr/monde/du-desinfectant-et-des-uv-pour-traiter-le-covid-la-declaration-irresponsable-de-donald-trump)

Trump pratique le sensationalisme des suppositions vagues, assorties d’adjectifs suggestifs « intéressant, puissant » comme pour vendre un produit. Il est clairement dans une démarche d’auto–publicité électoraliste.

Et, forcément, il y ajoute un slogan : après le Make America Great Again , voici le nouveau:  America Strong !

On est bien plus dans la démagogie que dans la pédagogie.

Ordres menaçants

Pour finir, dans les dictatures, la tendance est au minimalisme: on ne dit presque rien, hormis des ordres, des interdits et des menaces. Il n’est pas prévu d’expliquer. Le citoyen doit croire et obéir sans broncher, on est dans la propagande. On pratique les injonctions impératives et les slogans fortement incarnés par le chef politique.

Le mirage séduisant du “simplisme”

Ne nous y trompons pas, de manière générale, il peut parfois être tentant de céder aux communications simplifiées et péremptoires qui ne demandent aucun effort de réflexion. Il est si facile de régresser vers une attitude infantile, et d’obtempérer sans se poser de questions. En effet, cela peut donner la fausse impression que ceux qui dirigent sont en maîtrise totale de la situation. Cela paraît rassurant.

Les slogans dans ces cas-là sont malheureusement séduisants et percutants mais très souvent inversement proportionnels aux intérêts collectifs.

C’est donc une illusion de s’y fier ou de s’en contenter quand il s’agit du destin des citoyens. Comme tous les mirages, ils s’évanouissent quand on s’en approche….

Informations, explications, rectifications, questions: c’est bon pour nous!

La réalité est toujours complexe, dans tous les cas, tout le temps et pour tout le monde. Elle ne peut être réduite à une ou deux phrases. Elle est mouvante, imprévisible, difficile à décrire ou à expliquer. Cela demande sans cesse de savoir s’adapter, de questionner, et, plus difficile encore, d’accepter de se tromper et de corriger la compréhension.

Alors bien sûr, parfois on est un peu paumés, ce n’est pas toujours clair, ça nous irrite, et les interventions politiques de nos démocraties nous paraissent souvent bien longues ou confuses …

Mais c’est quand même le moyen le plus acceptable de communiquer pour rechercher ensemble le bien commun.

En conclusion, pour garder l’équilibre et Les pieds sur Terre la pédagogie démocratique, même imparfaite, est sans conteste plus enviable que la démagogie simpliste ou que la propagande.

 

 

 

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