Climat, Environnement et Santé

Le discours cynique, sirupeux et manipulateur du lobby du pétrole

Dans l’édition hivernale de sa revue Avenue[1], Avenergy suisse, faitière du pétrole en Suisse, en fait l’apologie. Les nombreux atouts du pétrole sont mis en avant. On lit dans la lettre de son directeur qui accompagne l’envoi de la revue (chaque parlementaire l’a reçue en début d’année) : « …L’impact environnemental de la combustion du pétrole a toujours donné lieu à des critiques…Et pourtant le monde ne peut s’en passer. Cela s’explique par le manque d’alternative de QUALITE. » et « …de nombreuses personnes découvrent peut-être pour la première fois qu’il n’est pas évident d’avoir suffisamment d’énergie à un prix abordable…les facteurs de succès du marché pétrolier se manifestent à nouveau aujourd’hui : grande disponibilité et capacité d’adaptation rapide, résistance aux crises et rentabilité. Des avantages qui ont conduit au triomphe du pétrole au siècle dernier… »

Pour la climatologue que je suis, un tel cynisme est difficilement supportable surtout quand on a bien présent à l’esprit les dizaines de milliers de morts déjà provoqués par les catastrophes météorologiques qui découlent du réchauffement planétaire.

Mais ça ne s’arrête pas là. L’ambiguïté est savamment entretenue pour asséner des contre-sens et bien rappeler l’intention de la branche à réchauffer l’atmosphère pour les décennies à venir ! : « …il faut espérer que la crise énergétique actuelle éveillera davantage les consciences quant à l’importance de toutes les sources d’énergie – y compris le pétrole – dans les décennies à venir, d’une part pour couvrir la demande croissante et d’autre part pour faire face à la transition nécessaire. Le pétrole n’est pas seulement une force motrice, mais également d’un soutien indéfectible en ces temps de troubles. »

Suivent huit chapitres en 31 pages, dont celui consacré à la « (re)découverte de la sécurité d’approvisionnement : La Suisse et ses voisins attendent avec impatience les semaines à venir : l’électricité et le gaz continueront-ils à circuler malgré toutes les perturbations sur les marchés de l’énergie suite à la guerre en Ukraine ? »

Son auteur semble jubiler. Doutiez-vous encore de la capacité tant financière que stratégique de la branche à tirer un maximum de profit de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? Ce comportement est pour moi tellement scandaleur

Connaissant l’importance de l’énergie fossile pour ce pays antidémocratique, et la situation de dépendance dans laquelle les pays occidentaux, y compris la Suisse, se sont dangereusement placés ces vingt dernières années, c’est à se demander si l’invasion brutale de l’Ukraine et ses conséquences prévisibles sur le marché mondiale de l’énergie n’était pas justement le but visé. Et force est de constater que les gros acteurs de ce marché se tenaient prêts à réagir, tout comme les partis d’extrême droite, inconditionnels suppôts de cette industrie totalement dénuée de scrupules comme de conscience écologique et indifférente aux conséquences, pourtant irréversibles et planétaires, de leurs manipulations.

Remarquable également le chapitre consacré aux « premiers défis de l’économie pétrolière : le monde ne peut pas se passer du pétrole. Cela s’explique notamment par le manque d’alternatives, en particulier pendant les périodes de forte croissance économique. »

Je ne sais pas vous, mais moi à la lecture de ce passage, me viennent à l’esprit ces scènes sordides de films illustrant la déchéance de ceux qui sont tombés dans les filets de leur dealer… Édifiant également le rappel, pour ceux qui l’auraient oublié, entre modèle de forte croissance et dépendance aux fossiles… J’ai aussi beaucoup apprécié le chapitre consacré au fioul « le plus sûr approvisionnement de nos citernes ».

Enfin , si notre souveraineté énergétique vous intéresse, vous serez autant ravi.e.s que moi d’apprendre que désormais, à défaut de pétrole brut russe, le Nigéria nous fournit désormais 40% (38.9%) des importations, les USA 32%, la Lybie (25%) et le reste est fourni par le Kazakhstan et l’Algérie. Les produits finis qui sont l’essence, le diesel, le mazout, le bitume, les gaz liquéfies, etc. sont importés à 98% de l’Europe, Allemagne en tête avec 60%.

On peut lire encore pleins d’autres gracieusetés dans ce gentil rapport, par exemple à la page 23, on nous révèle « la clé d’une libéralisation plus poussée et complète du marché de l’électricité ». Les communes et les entreprises qui s’étaient laissées convaincre de passer au marché libre et se retrouvent avec des factures démesurées apprécieront. D’autant plus qu’il est précisé : « sur le marché protégé, les clients privés paient des prix de l’électricité nettement plus élevés que les clients industriels sur le marché libre ».

Et cela rédigé en janvier 2023 alors que nous avons toutes et tous entendu dans la presse, la détresse des petites entreprises qui étaient passées sur le réseau libre

Nous avons ici un jolie illustration de climatoscepticisme et de désinformation, car inutile de vous préciser que les termes « climat », « réchauffement climatique » ou « gaz à effet de serre » n’apparaissent nulle part dans ces 31 pages de propagande pétrolière. Et faut-il le rappeler, omettre sciemment un pan entier d’une réalité et d’une problématique, c’est mentir également !

[1] Avenergy suisse, Le pétrole ; Une force motrice et un soutien indéfectible, Avenue, Edition hiver 2022/2023

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