Climat, Environnement et Santé

Guerre et climat : faire les bons choix

Malgré les nombreux signes avant-coureurs, nous avons tous été stupéfaits par l’invasion brutale de l’Ukraine. Dans le plus total mépris du droit international et de la souveraineté des États, Poutine s’est engagé sans état d’âme dans une guerre sale où les civils, les femmes, les bébés et les enfants se font bombarder. A ce jour, plus de 3 millions d’entre eux se retrouvent sur les routes pour sauver leur vie.

L’Ukraine et la Russie sont des acteurs cruciaux de la géopolitique mondiale du blé et des énergies fossiles. Les prix s’envolent se répercutant déjà sur la sécurité alimentaire des pays nord-africains, sur l’appareil productif industriel, les factures du chauffage et les transports motorisés de tous les pays, y-compris la Suisse.

Face à tant d’atrocités et de répercussions économiques est-il légitime de rappeler l’urgence climatique ? Les médias ne devraient-ils pas continuer de relayer à leur juste mesure les alertes scientifiques ?  Quels enseignements tirer de notre dépendance aux énergies fossiles et nucléaires ? Est-il saugrenu de continuer de se préoccuper de la survie de l’humanité à moyen et long terme dès que nos sociétés sont menacées à court terme face à la pandémie ou à la guerre ?

Urgence dans l’urgence

Le deuxième volet du rapport du GIEC est paru dans une quasi indifférence il y a deux semaines. Un collectif de citoyens s’en est inquiété et a légitimement interpellé la TSR à ce sujet, lui demandant de ne pas oublier, malgré la guerre, de relayer ces informations scientifiques déterminantes auprès du public.

Car, depuis le début des mesures météorologiques au XIXe siècle, la température moyenne de notre planète a augmenté de 1.1°C. Il faut comparer cela avec la température du corps : à 38 °C, la fièvre est déjà marquée. A 39°C, elle est très pénible. Au-delà de 40°C, il y a danger de mort ! Si l’on poursuit cette métaphore, avec deux degrés de plus, ce n’est pas la planète elle-même qui est menacée, mais la viabilité des conditions physiques qu’elle offre à ses habitants, dont l’espèce humaine, qui est remise en question.

La rapidité du réchauffement et des effets en cascade qu’il entraîne dépasse les précédentes prévisions. Ce bouleversement très rapide par rapport à l’échelle de temps géologique se répercute en particulier sur le cycle de l’eau. Augmentation de l’évaporation, fonte accélérée des glaces et du pergélisol, élévation du niveau de la mer, acidification des océans, perturbation de la circulation océanique et des régimes des précipitations, diminution de l’enneigement. Le bassin méditerranéen, le Proche-Orient et le Sahel connaissent dès à présent une baisse de 30% des précipitations, se répercutant directement sur la sécurité alimentaire et politique de ces régions. Partout, les phénomènes météorologiques extrêmes (sécheresses, canicules, pluies torrentielles, tempêtes) sont de plus en plus intenses et fréquents.

Les écosystèmes aussi sont durement touchés. La rapidité et l’ampleur des changements ne permettent pas aux espèces de s’adapter. La faune aquatique est confrontée à l’augmentation de la température de l’eau et même à l’assèchement de plus en plus récurrent des cours d’eau. Les risques d’incendie de forêts augmentent conjointement à la multiplication des épisodes de sécheresses. Une espèce emblématique comme le hêtre ne pourra plus survivre en plaine en Suisse si nous poursuivons la trajectoire actuelle de nos émissions.

Les conséquences du réchauffement sur les écosystèmes, la biodiversité, la santé et l’économie se font déjà durement ressentir ici comme partout ailleurs et les répercussions seront de plus en plus graves selon le degré d’augmentation jusqu’à la fin du siècle. Celui-ci dépendra de notre capacité collective à stopper nos émissions de gaz à effet de serre, mais quoi que l’on fasse, les écosystèmes les plus vulnérables (grande barrière de corail, faune arctique, îles pacifiques, etc.) sont déjà condamnés. Dès à présent le réchauffement climatique tue et nous ne pourrons pas léguer aux générations futures la même richesse du vivant dont nous avons pu bénéficier. C’est impardonnable! Mais il nous est encore possible de préserver et de restaurer la plupart des écosystèmes garantissant par conséquent une part suffisante de nos ressources pour la survie de la plupart des sociétés humaines.

Les effets rétroactifs comme la libération amorcée du méthane avec la fonte du pergélisol ainsi que l’ampleur des incendies de forêts qui libèrent à leur tour de grandes quantités de CO2, font craindre un emballement du réchauffement. Il n’est pas possible de déterminer à partir de quand exactement le système climatique basculerait par effet de seuil dans un mécanisme d’auto réchauffement. Ce risque de basculement augmente considérablement à partir de 2 degrés d’augmentation, raison pour laquelle les accords de Paris avaient fixé l’objectif du 1.5.

Or, actuellement nous nous dirigeons vers une trajectoire à +2.7 degrés. Pendant deux ans l’urgence climatique, et plus largement écologique, a été mise en second plan face à la pandémie. Nous n’avons pas tiré les enseignements de cette épreuve collective, les majorités politiques conservatrices et néolibérales ont bloqué ou dénaturé les intentions de Green New Deal à l’image de l’Union européenne qui a considéré le gaz et le nucléaire comme des énergies « climate-friendly ». De même notre gouvernement a prévu 1 milliard de francs pour réactiver nos vieilles centrales à gaz, accentuant encore notre dépendance aux importations de cette énergie fossile, ce qui était déjà absurde au vu de la nécessaire transition énergétique, mais devient surréaliste face à la nouvelle donne géopolitique. Mon collègue vert Christophe Clivaz vient d’ailleurs de déposer deux motions à ce sujet.

Nous ne sommes pas encore sortis de la pandémie que l’invasion de l’Ukraine par la Russie plonge l’Europe (et donc la Suisse) dans l’insécurité. La menace nucléaire réapparaît, liée tant à la vulnérabilité des 15 réacteurs nucléaires de l’Ukraine (sans compter les 4 réacteurs à l’arrêt de Tchernobyl) qu’à la capacité de frappe à longue portée d’armes nucléaires de la Russie. On parle à nouveau du risque de troisième guerre mondiale…

Faire les bons choix maintenant !

Alors, face à une telle menace immédiate, allons-nous encore une fois manquer l’occasion de faire les bons choix pour respecter les engagements pris à Paris en 2015 ? Mes collègues de droite n’ont pas attendu la fin de cette session parlementaire pour instrumentaliser cette situation dramatique. On entend de tout. Éventrer nos sols pour en extraire du gaz de schiste, augmenter notre dépendance énergétique fossile face aux pays du Maghreb et du Moyen-Orient, recouvrir nos prairies survivantes et les jachères de monocultures intensives de betteraves, de patates et de blé, pour se faire renoncer au programme de réduction des risques liés aux pesticides de synthèse, accélérer l’achat du F35 (dont la pollution sonore est trois fois plus impactante que celle du F18) en faisant pression sur les citoyens pour qu’ils renoncent au référendum le concernant, réorienter les fonds publics (qui sont ceux du contribuable) dans le réarmement du pays mais en persistant à se distancier de l’Union européenne, etc. Pour ces acteurs politiques, malgré l’évidence, il n’est pas question de conclure que :

Pour cette majorité de droite, les menaces directes deviennent le prétexte pour tenter de balancer à la poubelle les maigres avancées en matière de droit et de politique de l’environnement, y-compris de politique climatique. Cet aveuglement, cette rage inconsciente et destructrice n’est pas seulement exaspérante, elle est également dangereuse car elle bloque les processus de transition dont nous avons urgemment besoin. Car à chaque occasion manquée pour réorienter collectivement notre économie dans le respect des limites planétaires, nous nous éloignons de notre capacité non seulement à limiter l’augmentation de la température terrestre en dessous de 2 degrés mais également de la possibilité de nous adapter aux conséquences de ce réchauffement. Parmi ces conséquences, l’augmentation du risque pandémique, l’insécurité alimentaire et la déstabilisation politique du monde.

Réchauffement climatique et insécurité politique

Le rythme des émissions totales étant en constante augmentation depuis 2015, l’objectif initial de limiter l’augmentation de la température moyenne globale à 1.5°C pour la fin du siècle est compromis. Déjà en 2018, le GIEC publiait un rapport permettant de distinguer les différences d’impacts sur les écosystèmes et sur les sociétés humaines entre un réchauffement à +1.5 degré par rapport à +2 degrés. Le dernier rapport dont le premier volet est paru en août dernier et le deuxième au début du mois non seulement confirment ces projections mais démontrent également, sur la base de centaines de millions d’observations, que le réchauffement s’est encore accéléré ces cinq dernières années. Nous atteindrons +1.5 autour de 2030 déjà, dans tous les cas bien avant 2040 ! Avec un demi-degré du plus, la fonte du pergélisol et des glaces des régions de montagne comme la Suisse et dans les régions du nord fondront davantage augmentant l’insécurité des territoires (effondrements, coulées de boue, etc.) et libérant davantage de méthane qui est 28 fois plus réchauffant que le C02. Ce demi-degré de plus entrainera une fonte plus importante, qui vient de s’amorcer, des glaces de l’Antarctique. L’augmentation du niveau de la mer qui en résulte rendra incultes, par infiltration saline, les terres les plus exposées et submergera les plus basses. Avec un demi-degré de plus, tout le pourtour méditerranéen et le Proche-Orient seront confrontés à une diminution supplémentaire de 10 à 25% des précipitations. De nombreuses régions intertropicales, densément peuplées, présenteront des températures qui excèdent la capacité bioclimatique d’adaptation naturelle de l’être humain. Dans ces régions, être riche ou pauvre déterminera le fait de mourir de chaud ou non ! Dans nos régions, et même plus au Nord comme nous l’avons vu l’été passé en Sibérie et au Canada, la situation deviendra critique en été lors des canicules. Un événement extrême comme la canicule de 2003 qui se produisait qu’une fois tous les cinquante ans se produit désormais 5 fois plus souvent. Avec +1.5, il se produira 9 fois plus souvent, avec +2 degrés 14 fois plus !

L’augmentation de la température et la modification de la distribution de l’eau ainsi que la submersion des terres et la prolifération de ravageurs se répercutent sur les ressources vitales. Les rivalités pour l’accès à l’eau potable et à la nourriture engendreront de plus en plus de conflits et de déplacements de population contribuant à détériorer grandement la stabilité géopolitique et les avancées démocratiques dans le monde.

Crise globale

Nous vivons sans aucun doute une période charnière de l’histoire humaine alors que pour la première fois nous sommes confrontés collectivement et simultanément aux crises écologiques, sociales, économiques et géopolitiques et tout cela à l’échelle de la planète toute entière. L’urgence écologique et climatique, la raréfaction des ressources qu’elle entraîne ainsi que la succession toujours plus rapide de catastrophes plongent l’humanité dans une nouvelle ère d’incertitudes et d’instabilités. Plus nous tardons à réagir, plus nous serons vulnérables. Plus nous persistons à reculer, en nous embourbant encore davantage dans des technologies obsolètes et un système économique perverti, plus s’affaiblissent nos chances de nous en sortir avant la fin du siècle et même avant 2050. Les guerres et les pandémies sont et seront de plus en plus alimentées par la crise climatique et écologique. Si chaque société et groupe humain se replie sur lui-même face à l’adversité, nos capacités communes, de l’échelle locale à l’échelle globale, à résister, à préserver la viabilité de notre planète et à nous adapter aux conséquences déjà irréversibles seront encore réduites. Plus que jamais l’humanité toute entière est face à un tournant. Plus que jamais, nous avons besoin de décideurs guidés à la foi par la sagesse, l’empathie et la clairvoyance, qui sauront opérer les bons choix dans chaque phase de ce nouvel état du monde. La première étape consiste sans doute à admettre qu’on ne retourne pas en arrière. De même qu’un individu ne retrouvera jamais ses 20 ans, l’humanité est condamnée à évoluer sans nostalgie d’un passé idéalisé mais sans illusion non plus concernant le rôle des nouvelles technologies. Elles ne nous épargneront pas de choisir, avec enthousiasme, un mode de vie plus sobre. Si nous ne faisons pas ce choix aujourd’hui, la dégradation toujours plus préoccupante de l’état du monde nous y forcera dans la contrainte. Alors, nous n’aurons plus le choix. Il sera vain de revendiquer haut et fort nos libertés individuelles, car il ne s’agira plus que de survivre. Condition que la plupart des êtres humaines sur cette terre n’ont jamais cessé d’éprouver tant les ressources ont été mal réparties et les inégalités creusées ces dernières décennies. Condition que les Ukrainiennes et les Ukrainiens vivent dans leur cœur et dans leur chair à même pas 2000 km de chez nous.

Je dresse un tableau sombre, parce que je suis très inquiète. Mais finalement ce que j’observe à côté de moi, c’est surtout des personnes émues par cette grande détresse, un immense élan de générosité et de compassion. De quoi redonner foi en l’humanité et préserver juste l’espoir nécessaire pour ne pas se décourager. Ainsi tant qu’il y a de la vie, cela fait sens de se battre pour la préserver. Je m’y emploie tous les jours parce que c’est le seul moyen de supporter cette angoisse qui nous saisit. Être dans l’action, en accord avec sa conscience, faisant recours à notre intelligence, pour que les bons choix finissent par l’emporter.

Quitter la version mobile