Regards psy

Concilier HP et couple

En anglais Haut Potentiel (HP) se dit gifted[1]. Être HP est donc un cadeau, mais un cadeau difficile à manier voire un poison (Gift, en allemand). Beaucoup de HP finissent en effet mal des suites d’une pression pour accomplir de grandes choses, de l’inadaptation au système scolaire, à la société (de ne pas être « normalE »[2]), d’un ennui de tout, d’un sentiment de solitude voire d’isolement ou de tout ça ensemble.

Je vous propose ainsi une brève réflexion sur les couples HP, en étant conscient des limites de cette démarche généraliste qui ne saurait tenir compte des spécificités de chaque personne.

 

Exister à travers le couple

Ce sentiment de solitude, c’est celui de ne jamais se sentir comme les autres et ne pas trouver quelqu’un qui me comprend, avec qui je peux échanger. C’est une blessure que presque tous les HP partagent, au moins pendant leur enfance, surtout si les parents n’avaient pas de patience ou n’étaient pas présents (celui-là de cadeau, on l’accepte volontiers).

Lorsque cette personne fait une rencontre amoureuse, l’émotion est forte : « enfin quelqu’un avec qui partager ! ». La joie et l’espoir qui en découlent est intense. Tout d’ailleurs est intense chez la personne HP, qui ne connaît (en tout cas dans le jeune âge) que les extrêmes : couple fusionnel et relations envahissantes, exigence, perfectionnisme, difficulté à comprendre que l’autre ne peut pas deviner, mais aussi sentiment d’imposture, doutes, dépression, auto-dévalorisation. En outre, leur grande empathie et hypersensibilité fait que les émotions sont décuplées.

 

Personne moi comprendre[3]

Plus le QI[4] est haut, plus les subjectivités sont marquées (plus la personne est unique), et plus la communication est rendue difficile[5].

 

L’écart cognitif par exemple augmente de manière exponentielle : il y a davantage de différences entre une personne au QI de 160 et une au QI de 140, qu’entre cette dernière et une personne avec un QI de 120. Pour cette raison, les personnes concernées ont une forte tendance à choisir un conjoint dont le QI se situe dans la même fourchette[6]. En effet, le 80% des gens qui ont un QI entre 80 et 120 auront peu de peine à choisir un compagnon basé sur leur intelligence alors que ceux qui ont un QI autour de 150 constateront que moins de 0,4 % des gens se situent dans la même tranche, réduisant de manière importante le choix d’unE partenaire.

Ainsi deux personnes HP vont se mettre ensemble, ce qui rend leurs couples encore plus complexes[7].

Sheldon demande à Amy si elle veut bien être sa copine (Anglais)

 

Pour corser le tout, on sait aussi que le HP est une maladie sexuellement transmissible[8].

 

Quelques pistes pour mieux vivre son couple

Si vous avez lu jusque-là, c’est que vous êtes concernéE ou que vous avez des amis qui le sont. Ou certainement les deux parce que « qui se ressemble s’assemble ». Ou encore que vous avez confondu Haut Potentiel avec Hewlett-Packard et que vous n’avez pas encore réalisé votre erreur. Quoiqu’il en soit, vous n’êtes pas voué·e à résoudre seul·e des Rubik’s Cube et à fantasmer devant vos formules mathématiques en mangeant des boîtes de conserve périmées.

La personne HP vient d’un monde où elle a besoin de tout, en trop et tout de suite[9]. Où la frustration est intolérable. Où les opinions différentes et les critiques peuvent être dévastatrices. Où les émotions débordantes sont difficiles à gérer (Valérie Foussier parle de « dyslexie émotionnelle »). Où l’hypersensibilité et le perfectionnisme amènent de l’angoisse. Ça donne des couples intenses !

 

Accueillir les imperfections

Qu’est-ce que je risque à ce que ce ne soit pas parfait ? Se poser cette question est source de tension, de stress et d’angoisse : la perfection étant indéfinissable, elle reste un fantasme jamais assouvi puisqu’elle n’existe simplement pas. La vraie question devient alors : « puis-je m’accueillir comme je suis ? », ce qui implique d’abord de se rencontrer soi, de faire en quelque sorte un couple avec soi-même.

Et puis, suis-je capable de respecter le rythme de l’autre ? Car l’autre, même HP, va parfois moins vite et ça c’est pas parfait. Et énervant. Gardez en tête que ce profil est fait de contrastes : l’autre sera moins rapide ici… et plus rapide là. Et quand ça arrive ça peut être frustrant de se sentir derrière. Ainsi, le couple HP enseigne la patience et la tolérance à la frustration.

 

QI et cuits

Le couple HP a tendance à s’épuiser en donnant (vouloir sauver tout le monde, s’accomplir à travers ses passions de manière extrémiste) ou parfois aussi en recevant (vouloir tout savoir, tout expérimenter). D’où l’importance de créer un équilibre entre donner et recevoir, facilité par la connaissance de ses ressources. J’ai cru constater que l’activité physique et la méditation sont souvent des ressources utiles pour les HP. Certaines personnes à QI élevé ont aussi du plaisir à en rencontrer d’autres, et il existe pour ça de nombreuses associations. Gare cependant aux histoires d’ego : celui des autres ainsi que le vôtre. Les personnes fixées sur le HP sont souvent empreints d’élitisme et de comparaison, remèdes immédiats à un manque d’estime.

 

Faire un couple avec soi-même

A cause de la corrélation entre QI élevé et subjectivité élevée, le plus important est d’apprendre à vous connaître. Plus vous êtes spécial·e, moins ce sera pertinent de se calquer sur d’autres exemples et plus vous devrez explorer vos propres terres inconnues pour apprivoiser votre caractère unique. De là découle également la nécessité d’accepter les spécificités de votre partenaire, et le deuil de vouloir changer cette personne pour qu’elle corresponde à votre idéal, ce qui en d’autres termes signifie lâcher le contrôle et la fusion. Réalisez que si vous fonctionnez d’une certaine manière, l’autre pas forcément. Cette personne a d’autres qualités que les vôtres, laissez-la se développer dans ses propres passions. Ne confondez pas l’amour et l’attachement, qui se distinguent par la liberté ou son absence.

 

 

 

Crédit photo : Nelani7

 

Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »

 

[1] Ce qui signifie « qui a reçu un cadeau »

[2] Mais en fait, normal, ça veut dire quoi ?

[3] Formulation inspirée de maître Yoda dans « la guerre des étoiles », dont les yeux ont été repris sur ceux d’Albert Einstein (un mec intelligent, donc)

[4] Ce qu’on appelle HP n’est en réalité pas très clairement défini, car sur un continuum dépendant du QI (on dit qu’une personne est HP quand elle a au moins 130 de QI)

[5] Le QI est négativement corrélé à la sociabilité. Pour avoir une petite idée du phénomène, « la probabilité d’entrer et de rester dans une profession d’élite intellectuelle telle que médecin, juge, professeur, scientifique, cadre d’entreprise, etc. augmente avec un QI qui va jusqu’à environ 133.  Il retombe ensuite d’environ un tiers jusqu’à 140.  Avec un QI de 150, la probabilité a chuté de 97% » (traduction de l’article de Michael Ferguson (2015). The Inappropriately Excluded)

[6] Lire aussi à ce propos l’article de Phillipe Guillou, ; Jonason, P. K., Marsh, K., Dib, O., Plush, D., Doszpot, M., Fung, E., … Di Pietro, K. (2019). Is smart sexy? Examining the role of relative intelligence in mate preferences. Personality and Individual Differences, 139, 53–59 ; Gignac, G. E., Darbyshire, J., Ooi, M. (2018). Some people are attracted sexually to intelligence: A psychometric evaluation of sapiosexuality. Intelligence, 66, 98–111

[7] Et qui ne garantit pas que la relation soit satisfaisante (Gignac, G. E., Zajenkowski, M. (2019). People tend to overestimate their romantic partner’s intelligence even more than their own. Intelligence, 73, 41–51)

[8] Lire par exemple Piffer, D. (2019). Evidence for Recent Polygenic Selection on Educational Attainment and Intelligence Inferred from Gwas Hits: A Replication of Previous Findings Using Recent Data. Psych, 1, 55-75., ou encore le classique Terman, L. (1959). The Gifted Group at Mid-Life: Thirty-five Years Follow-up of the Superior Child. Stanford University Press

[9] Selon Caroline Goldman il n’y a pas de corrélation entre HP et traits de personnalité, ce qui est plus intéressant sont les problématiques de limites

Quitter la version mobile