Regards psy

Mon mari ne veut pas faire de thérapie

Mon mari ne veut pas faire de therapie

Moi :

Qu’est-ce qui vous amène en thérapie de couple ?

Luis (regarde Elsa entre surpris et fâché) :

Je sais pas, pour moi tout va bien, c’est elle qui voulait qu’on vienne

Elsa (le regarde, entre découragée et en colère, puis à moi) :

Vous êtes notre dernier espoir avant la séparation

 

Ce qui suit comporte des idées, que j’espère vous reconnaitrez non comme des affirmations mais comme des hypothèses visant à nourrir une réflexion.

 

L’idée que les hommes se font des femmes

Comme Steven Stosny, j’ai remarqué que nous les hommes n’aimions pas être pris en défaut. Je crois que c’est le résultat d’une éducation occidentale où le plus souvent c’est la maman qui élève le garçon, qui lui met des limites, le frustre, le critique parfois aussi quand il n’est pas comme elle voudrait. Et où le papa est relativement absent, là pour les bons moments. Ses parents se disputent, se critiquent. Papa trouve maman compliquée. Maman trouve que papa n’est pas comme elle voudrait. Ce garçon risque de développer une image selon laquelle les femmes sont difficiles à satisfaire, compliquées.

 

La psychothérapie, un monde de femmes

En Suisse, 83 % des psychologues et 80 % des psychothérapeutes sont des femmes[1], et les hommes ont une perception plus positive de leur bien-être que les femmes[2]. Celles-ci consultent bien plus souvent que les hommes pour des problèmes psychiques. Les hommes et les femmes ne sont pas égaux en matière d’aisance à l’intimité émotionnelle, en particulier par le biais de la parole[3]. Certains auteurs dénoncent même la psychothérapie comme encourageant la « féminisation de l’intimité » (Esther Perel). Mais le fait qu’ils consultent moins ne signifie pas qu’ils en ont moins besoin. L’Association américaine de psychologie estime que « l’adaptation à l’idéologie traditionnelle de la masculinité restreint le développement psychologique des hommes (…) et influence de manière négative leur santé aussi bien psychique que physique »[4]. Nous savons par exemple que l’adhésion des hommes aux normes masculines traditionnelles (en particulier le fait de ne pas demander de l’aide) est fortement corrélée avec le risque suicidaire[5].

S’il vient en thérapie, ce garçon devenu homme arrive donc dans un monde plutôt féminin, peut-être assez menaçant dans l’idée qu’il s’en fait. Il lui faut donc du courage pour affronter ce qu’il redoute du souvenir de sa mère et ce qu’il pense que les psys symbolisent : des critiques et une pression pour changer.

Cet homme aura davantage de facilité à partager avec un ou plusieurs autres hommes, dans une séance avec un psy homme, ou dans un groupe d’hommes. Le fait qu’il n’y ait pas de femmes le rassure ; il y a aussi peut-être moins de compétition, moins de séduction et moins de risque d’être pris en défaut. Il trouve ainsi au moins un allié dans ce monde féminin, inconnu et menaçant qu’est la psychothérapie.

 

Percevoir les problèmes, une histoire de femme ?

L’exemple de Luis et Elsa en intro est assez classique. Souvent, la femme a un objectif thérapeutique clair et est heureuse d’avoir un espace où son homme ne va pas fuir. Quant à l’homme, il vient pour faire plaisir à sa femme et/ou pour sauver son couple. Mais c’est sa femme – et non lui – qui lui donne l’indication selon laquelle le lien de couple est en difficulté et qu’il serait utile de consulter. 96% des hommes rapportent avoir été influencés dans leur décision de consulter (surtout par leur conjointe), et sans influence extérieure 37% d’entre eux n’auraient pas consulté du tout[6].

Une différence qui peut à mon avis s’expliquer du point de vue de la proximité de la femme à la nature[7] et du fait que la nature a sélectionné les humains en fonction de leur capacité à percevoir les problèmes, pour leur propre survie et celle de leur entourage. On pourrait en conclure que de par leur lien plus intime avec ce qui est naturel, les femmes ont une perception des problèmes plus aiguisée que les hommes (qui ont tendance, s’ils perçoivent les problèmes, à le faire après elles).

 

Alors, comment j’amène mon mari ?

En thérapie, les (jeunes) hommes ont besoin d’avoir le contrôle. Non seulement lors de la première séance, mais également durant tout le processus psychothérapeutique[8]. Personnellement, j’aime bien rassurer les hommes en thérapie en leur montrant que je ne suis pas menaçant, par exemple en glissant des mots familiers, en répétant leurs gros mots, en proposant qu’on s’appelle par nos prénoms, en admettant mes erreurs ou de ne pas savoir quoi dire ou quoi faire (exemple).

Il paraît que les hommes qui ont des difficultés avec les émotions trouvent plus facile de les exprimer en thérapie[9].

Tout comme Alexis Burger, je crois que certains d’entre nous avons soif de construire une identité masculine plus en lien avec notre réalité et nos perceptions propres, et moins en lien avec des stéréotypes[10]. Pour certains ce sera plus facile de le faire dans un groupe d’hommes, qui offre un espace sécurisé où on peut se sentir libre de pouvoir s’exprimer à son rythme et sans jugement sur des sujets choisis, et d’avoir ainsi un terrain d’entraînement à l’intimité émotionnelle.

 

 

 

Ce texte est une adaptation d’un article plus complet que j’ai écrit, paru une première fois dans Psychoscope – Magazine de la Fédération Suisse des Psychologues, n°4, juillet 2019. L’article original (en français et allemand) est disponible sur mon site.

 

Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »

 

 

 

[1] Office fédéral de la statistique (OFS), de 2013 à 2018

[2] selon une étude de l’Office fédéral de la Santé publique (OFSP) publiée en 2015

[3] Voir par exemple Seidler, Z., Rice, S., Dhillon, H., Herrman, H. (2018). Why it’s time to focus on masculinity in mental health training and clinical practice. Australasian Psychiatry 1–3 ; Gaia, A. C. (2013). The role of gender stereotypes in the social acceptability of the expression of intimacy. The Social Science Journal, 50(4), 591–602 ; Constant, E., Vallet, F., Nandrino, J.-L., & Christophe, V. (2016). Personal assessment of intimacy in relationships: Validity and measurement invariance across gender. European Review of Applied Psychology, 66(3), 109–116

[4] Lu dans le Psychoscope d’Avril 2019, p.6

[5] Pirkis, J., Spittal, M., Keogh, L. (2016). Masculinity and suicidal thinking. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 52, 319–327

[6] Cusack, J., Deane, F., Wilson, C., Ciarrochi, J. (2004). Who Influence Men to go to Therapy? Reports from Men Attending Psychological Services. International Journal for the Advancement of Counselling, Vol. 26, No. 3

[7] Lire par exemple Liu, T., Geng, L., Ye, L., & Zhou, K. (2019). “Mother Nature” enhances connectedness to nature and pro-environmental behavior. Journal of Environmental Psychology, 61, 37–45 ; Swami, V., von Nordheim, L., & Barron, D. (2016). Self-esteem mediates the relationship between connectedness to nature and body appreciation in women, but not men. Body Image, 16, 41–44

[8] Doherty, M., Conway, J., Clark, J., Merritt, F. (2017). Should I stay or should I go? The impact of a sense of control on young men’s therapeutic engagement. Counselling and Psychotherapy Research, 17(3), 209–217

[9] Cusack, J., Deane, F., Wilson, C., Ciarrochi, J. (2006). Emotional Expression, Perceptions of Therapy, and Help-Seeking Intentions in Men Attending Therapy Services. Psychology of Men & Masculinity, Vol. 7, No. 2, 69–82

[10] Burger, A. (2017). Le défi masculin. 20 ans de dialogue avec des hommes. Lausanne, Favre

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