Le grain de sable

Démocratie directe: un régime si subtil

Il faut vraiment des nerfs d’acier pour exercer le pouvoir dans une démocratie directe, surtout quand la presse – et parfois les élus eux-mêmes – n’en comprennent pas vraiment les règles.

« Crise de confiance » envers le Conseil fédéral, « quasi-camouflet pour le Président de la Confédération » pouvait-on lire dans l’éditorial du Temps de ce lundi 8 mars. « Un camouflet au Conseil fédéral sur l’identité numérique » titrait en gros le même Journal, en p. 3. Bon. Ce n’est plus la « gifle » que l’on pouvait lire autrefois quand un texte fédéral était rejeté en référendum – il y a donc déjà un léger progrès – mais c’est encore et toujours la même incompréhension des mécanismes de notre démocratie directe.

Quand une loi est soumise au référendum, elle est le fruit du travail puis d’une décision finale du Parlement et non pas du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral prend souvent l’initiative des lois et soumet un projet au Parlement, mais jamais une loi ne peut faire l’objet d’un référendum si elle n’a pas été discutée, travaillée et votée par le Parlement. Par conséquent, c’est le texte final du Parlement qui est soumis au référendum et si la loi est rejetée en vote populaire, c’est le Parlement qui a perdu et non pas le Conseil fédéral.

Comme le Parlement est rarement unanime, il appartient très logiquement aux parlementaires qui ont approuvé le texte final de la loi de défendre celle-ci pendant la procédure référendaire et à ceux qui ont refusé ce texte de soutenir l’opposition référendaire. Le Conseil fédéral, lui, ne devrait pas avoir son mot à dire, car ce n’est plus « son » texte et il devra exécuter le résultat du vote, même s’il lui déplaît.

En résumé, le rejet, dimanche dernier, de la loi sur l’identification électronique est une défaite du Parlement et non d’un département fédéral, voire de son chef.

Quand un traité est soumis au référendum, il a dû être au préalable approuvé par le Parlement qui n’avait en revanche pas le droit d’en modifier le texte.

Les traités internationaux doivent, en principe, être soumis à l’approbation du Parlement. Ce dernier peut refuser son approbation, en revanche, il ne peut pas modifier le texte. Quand un traité est soumis au référendum, c’est donc parce que le Parlement a approuvé le texte signé par le Conseil fédéral. Si le traité est rejeté en vote populaire, c’est le Parlement qui est désavoué, car ce dernier avait approuvé le texte du Conseil fédéral. S’il ne l’avait pas approuvé, il ne pourrait pas faire l’objet d’un référendum.

Si le traité est approuvé en vote populaire, l’approbation concerne aussi bien le vote du Parlement que le texte signé par le Conseil fédéral. C’est un double acte de confiance de la part des citoyens. En résumé, l’acceptation du traité avec l’Indonésie, ce dernier dimanche, même à une faible majorité, est une double victoire du Parlement et du Conseil fédéral et non un « quasi-camouflet » du Président de la Confédération.

Le Conseil fédéral ne devrait pas intervenir dans une campagne référendaire quelle qu’elle soit.

Que le référendum porte sur une loi élaborée et votée par le Parlement ou sur un traité international signé par le Conseil fédéral et approuvé par le Parlement, le Conseil fédéral ne devrait jamais prendre part à la campagne, ni en corps, ni par l’intermédiaire de l’un ou l’autre de ses membres. D’abord, parce que c’est la décision du Parlement qui est la cause du référendum et non pas la décision du Conseil fédéral, ensuite parce que le Conseil fédéral sera lié par le résultat du vote même s’il le désapprouve et enfin parce que, s’il s’agit d’un traité, il faudra que la Conseil fédéral se prévale du vote populaire pour asseoir sa position face aux Etats tiers et qu’il aura perdu toute crédibilité s’il s’est engagé dans une campagne et a échoué, alors qu’il peut toujours prouver qu’il a défendu loyalement le traité devant le Parlement puisque ce dernier l’avait approuvé.

En cas de vote sur une initiative populaire et un contre-projet, il est évident que le Conseil fédéral ne peut s’engager contre une initiative populaire dans la campagne de vote puisqu’il devra éventuellement l’appliquer si elle passe alors qu’il l’aurait combattue et que le contre-projet, direct ou indirect, est toujours un texte final du Parlement, donc on y retrouve le même mécanisme que pour une loi.

Quand il s’engage dans une campagne référendaire, non seulement le Conseil fédéral montre sa méconnaissance de la démocratie directe mais de surcroît il nuit lourdement à la collégialité

Ce ne sont en général qu’un ou quelques conseillers fédéraux qui s’engagent – ou doivent s’engager-  pour un projet pendant une campagne de vote, accréditant l’idée que le Conseil fédéral n’agit pas collégialement. En outre, cela tend une perche à la presse qui rêve de mettre les membres de l’exécutif en contradiction ou en compétition les uns avec les autres. En fait, le Collège a toujours dû prendre une décision en corps pour qu’un texte soit soumis au Parlement. Les membres du Conseil fédéral ont très bien su le rappeler à plusieurs reprises à l’occasion de la lutte contre la pandémie et Mme Keller-Sutter n’y a pas manqué après le rejet de la loi sur l’identité électronique, mais malheureusement, sans s’être abstenue pendant la campagne.

Notre démocratie directe est d’une subtilité et d’une intelligence qui me fascinent. Elle constitue un rempart contre les tentations du pouvoir et du narcissisme mais est, de ce fait, un obstacle aux effets de manche et de verbe creux ! Peu spectaculaire, elle déplait à une société de l’image, des querelles et des twitts.

 

 

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