Le grain de sable

La valeur inestimable du travail domestique gratuit

Les tâches domestiques sont mises en évidence à l’occasion du 14 juin prochain. Serait-ce peut-être l’occasion de dire quelques vérités ?

Cela fait des années que je réagis systématiquement lorsque quelqu’un – tant homme que femme et beaucoup de jeunes personnes aussi – affirme sans sourciller que sa « mère » ou son « épouse » ou « telle femme » « ne travaille  pas » parce qu’elle est « femme au foyer ». J’ai, à chaque occasion, relevé qu’une femme au foyer n’arrêtait pas de travailler mais simplement qu’elle n’exerçait pas d’activité professionnelle lucrative. Nuance !…

Bien que munie d’une licence puis d’un doctorat en droit, je n’ai pas été élevée dans l’idée d’être une « femme de carrière » et je considérais que, si je me mariais et avais des enfants, ma première « carrière » serait d’être une bonne maîtresse de maison capable de rendre les siens heureux. Et comme chacun le sait, ce n’est pas facile tous les jours notamment lorsque les enfants sont petits. Mais exercer cette activité pour ceux que l’on aime comporte aussi maintes satisfactions. Et puis, lorsque le ménage et les tâches éducatives étaient trop « embêtantes », je me suis souvent dit que les hommes devaient « se taper » le service militaire qui leur « fichait en l’air » pas mal de semaines, et, pendant leurs études, pas mal de vacances, même s’il y avait aussi, apparemment, de bons moments, et que mon « activité domestique » était un peu mon « service à la communauté » puisqu’il évitait à la société de devoir prendre en charge notre ou nos enfants (en dehors naturellement de l’école obligatoire !). Bref, il y avait une sorte d’égalité des « corvées » entre tâches domestiques et service militaire obligatoire.

Mais lorsque j’ai dû, du jour au lendemain, prendre une activité professionnelle lucrative – et c’était pourtant dans des conditions privilégiées – je me suis soudain aperçue que je n’étais plus mon propre maître, chef d’une petite entreprise domestique, que j’avais perdu la liberté d’organiser mon travail comme je le voulais, que je dépendais d’un « employeur », que j’étais donc subordonnée à quelqu’un. Cette découverte-là m’a permis de mesurer ce qui fait peut-être, en tous les cas dans certaines familles, le privilège de la maîtresse de maison et mère de famille : elle est un chef d’entreprise indépendant. O certes ! Ses horaires sont dictés par ceux de sa famille, ses journées ne sont pas de 8 heures seulement ni ses semaines de cinq jours seulement, mais elle n’a pas de supérieur hiérarchique (dans les ménages heureux !).

Toutes les situations ne sont assurément pas les mêmes, toutes les responsabilités familiales ne sont pas égales, il y a des proches aidants, hommes et femmes, absolument admirables d’abnégation.  Que la journée du 14 juin soit l’occasion de rendre hommage à toutes celles et ceux qui dans l’ombre accomplissent leur tâche gratuite, de mesurer la valeur sociale et économique de leur immense travail, c’est magnifique. Mais que l’on réduise ce travail à une simple exclusion du marché pour inactivité, comme semble le dire, en rouge, en p. 13 du Temps du 11 juin, Mme Sepulveda, membre de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises qui aurait affirmé que « à l’échelle mondiale, on estime que 606 millions de femmes, soit 41 % des inactives, sont exclues du marché du travail en raison de leurs responsabilités familiales » c’est d’une petitesse d’esprit indigne de l’égalité.

Quitter la version mobile