L'ère de la transition

Où sont les emplois de la transition ?

Dans son rapport de 2018 sur l’emploi et les questions sociales dans le monde, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) affirme que « les mesures prises dans le domaine de la production et de l’utilisation de l’énergie entraîneront la perte d’environ 6 millions d’emplois, mais aussi la création de 24 millions d’autres approximativement. »

Mais concrètement quels sont ces « green jobs » ou emplois verts de la transition ? Qui concernent-ils ? Compenseront-ils les annonces de destructions d’emplois par la robotisation et l’intelligence artificielle ? Sont-ils inscrits dans un projet de société ?

Des perspectives d’emplois encourageantes

 D’après le même rapport de 2018 de l’OIT, un modèle économique basé sur l’économie circulaire, c’est à dire sur le recyclage, la réutilisation, la réparation des bien, créerait 6 millions d’emplois possibles dans le monde entier.

De plus, ces emplois rémunérés sortiraient de ce que l’on nomme l’économie linéaire, à savoir le modèle productiviste classique basé sur le schéma en trois temps : extraction massive des ressources naturelles ; production et consommation à outrance ; élimination des déchets et gaspillage de flux d’énergie.

En d’autres termes, il faudrait passer du schéma je prends ; je consomme ; je jette, à celui de : je recycle, je réutilise, je répare. Tout en limitant les flux d’énergie au niveau des intrants.

En effet, rappelons que pour rendre compatibles écologie et économie – sous réserve que la volonté politique soit au rendez-vous pour renforcer cette compatibilité et non aggraver le fossé qui les sépare aujourd’hui – il importe de rester dans les limites de ce que la Terre peut supporter ; et cesser d’extraire plus que le temps nécessaire à sa régénération.

Or, précisément, cela tombe bien car, selon ce même rapport, l’adoption de pratiques agricoles « plus durables », permettrait non seulement de « créer des emplois salariés dans les moyennes et grandes fermes biologiques », mais également de « permettre aux petits exploitants de diversifier leurs sources de revenus à la faveur d’une transition vers l’agriculture de conservation ».

En outre, « complétée par des mesures de soutien aux travailleurs », la mise en œuvre de cette « agriculture de conservation » pourrait contribuer à la « transformation structurelle dans les pays en développement ».

Mais quelles seraient des mesures d’accompagnement dites complémentaires ?

Des données manquantes

Car les chiffres, selon le rapport cette fois-ci de l’OCDE du 20 mai dernier, sont nettement moins réjouissants.

Le rapport de l’OCDE pointe un certain nombre de points difficiles à ignorer en matière de politiques publiques pour réaliser les objectifs de transition écologique et solidaire aussi. Relevons en cinq en particulier.

Premièrement, environ 14 % de la population de la zone OCDE vit dans une relative pauvreté, loin donc de l’objectif d’un taux de pauvreté divisé par deux initialement visé. Deuxièmement, 14 % des jeunes sont, à l’échelle de l’OCDE, sortis du système éducatif, sans emploi et sans aucune formation suivie. Notons que le chiffre s’envole à plus de 20 % en Italie et en Turquie.

Troisièmement, aucun des pays de l’OCDE n’a atteint le niveau ciblé en termes de représentation des femmes siégeant dans les parlements nationaux. Quatrièmement, le niveau de l’aide publique au développement est encore «  à moins de la moitié de la cible fixée par l’ONU de 0.7 % du revenu national ».

Enfin, le rapport déplore « l’absence considérable de données vis-à-vis de la liste mondiale des indicateurs de l’ONU », en particulier ceux environnementaux, dont la conséquence est la suivante : « plus d’un tiers des cibles des ODD ne peut être mesuré dans les pays de l’OCDE ».

La question se repose : concrètement, au-delà d’objectifs globaux dont on peut difficilement être en désaccord (lutter contre la faim, les inégalités, les discriminations..etc.), quelles seraient des mesures d’accompagnement dites complémentaires à ces grands objectifs, notamment l’emploi des jeunes, des femmes, de celles et ceux qui s’engagent dès aujourd’hui dans la transition ?

Identifier les freins pour mieux les dépasser

Définir une visée générale implique de définir les outils pour aider à sa mise en œuvre. Affiner les outils implique de comprendre le contexte de la problématique. Aujourd’hui, les porteuses et porteurs de projets qui œuvrent déjà activement pour la transition sont souvent épuisé.e.s ; manquant d’aide, de soutien, de reconnaissance aussi beaucoup alors qu’elles et ils sont les maillons centraux d’une transition écologiques et solidaires qui ne peut se faire sans elles ni eux.

Quant aux jeunes ou aux moins jeunes qui souhaitent se lancer, ils ont besoin d’une sécurité financière : comment passer à l’acte sans un soutien monétaire, garantissant le droit à une formation le cas échéant ? Ensuite, ils ont besoin d’un accompagnement sur mesure, de conseils personnalisés : par où commencer ? Enfin, la plupart se demande : qu’ont fait les autres ? A qui se relier ? Peut-on mutualiser nos pratiques, nos bonnes combines et actions en concentrant nos réseaux et nos forces ?

A mon sens, c’est en prenant pleinement en compte les besoins du terrain, localement, ainsi que les demandes des plus précaires qui souhaitent trouver un travail épanouissant, et non pas vivre d’un revenu d’assistance, que l’on peut dépasser les freins et identifier de véritables emplois inscrits dans les limites planétaires : agroécologie, permaculture, construction low tech, alternatives à l’obsolescence programmée, mobilité, urbanisme, énergie citoyenne, éducation environnementale (photo du toit végétalisé du DIP à Genève), économie de la fonctionnalité etc.

Tel est le sens de ma proposition de revenu de transition écologique (RTE). Loin d’être une variante de revenu de base inconditionnel, ou une seule application microéconomique, le RTE est un dispositif complet pour les politiques publiques, combinable avec d’autres, inscrit dans une éthique particulière qui en constitue la base.

Cette éthique repose sur l’idée d’une appartenance première à la Terre. Cette appartenance commune à la Terre qui nous préexiste nous préexiste questionne notre place relative dans le vivant (voir l’article de ce blog sur la place de l’être humain dans la nature).

 

 

Des rappels inquiétants

A ce titre, rappelons que le 29 juillet 2019, nous avons encore franchi une limite dans ce que la Terre peut supporter de nos actions toxiques.

Le 30 juillet l’annonce de la mort de Emyra Waiapi, chef de la tribu de son nom, fait le tour des réseaux sociaux, indignant les associations de défense des peuples premiers et faisant protester l’ONU. Sans grande surprise, le territoire des Waiapi (Etat d’Amapa), riche en or, en fer et en cuivre, encourage l’appât du gain et le néo-colonialisme du président brésilien.

Enraciné dans une économie purement linéaire, ce dernier se montre peu enclin à s’inquiéter du sort de notre humanité dont dépend cruellement la protection des forêts amazoniennes. Si Bolsonaro partageait une vision progressiste de l’humain et de son modèle économique (l’espoir fait vivre), il comprendrait que l’une des plus grandes richesses de son pays concerne le patrimoine culturel et naturel des savoirs ancestraux que les peuples premiers ayant échappé au massacre, à la corruption et l’acculturation, tentent aujourd’hui de transmettre à leurs jeunes.

Des savoirs leur permettant de conserver leur lien à la terre, à leurs ancêtre, et de créer ainsi des emplois dans : la protection des eaux et des forêts, les produits non ligneux, les plantes médicinales, les universités indigènes, à l’instar des actions que mènent les Paiter Surui sous l’impulsion de leur Chef Almir Surui, menacé de mort depuis des années, utilisant la technologie et, comme il le dit, « la modernité à distance » (dont google).

Au final, les emplois dits verts les plus urgents à mettre en œuvre ou à soutenir le temps de leur pérennisation, concernent souvent les actions de celles et ceux qui se battent pour protéger nos ressources naturelles tout en créant de vrais emplois pour la transition, dont l’agriculture de conservation. C’est vers leurs savoirs précieux du terrain qu’il importe de se tourner pour mettre en œuvre un dispositif complet de soutien et de reconnaissance, cumulant aide monétaire, accompagnement adapté et mise en réseau.

En cela, s’accroîtra la résilience de nos territoires, en Suisse, en France, en Europe, comme dans les forêts de nos frères et sœurs des peuples premiers.

 

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