Monoculture numérique et cybersécurité

L’âge d’or du féodalisme numérique

Les multinationales du numérique encouragent une monoculture informatique basée sur l’exploitation des données, la perte de maitrise par les usagers de leurs patrimoines informationnels et une économie de rente liée à l’usage d’infrastructures informatiques en nuage (cloud) qui leur est favorable.

Cette monoculture tend à transformer, chaque activité humaine et notre manière de faire société aux niveaux national et international.

Non, le code n’est pas la Loi[1], comme voudrait nous le faire penser toutes les entités qui définissent et commercialisent les programmes informatiques (Le Code) que nous utilisons, nous faisant accepter passivement que ce code ait force de Loi. Cela contribue à justifier l’inutilité de toute démarche de régulation classique ou du moins à la retarder. Au slogan « The Code is Law » est souvent associé celui de « There Is No Alternative ». TINA devient alors un mantra pour faire admettre la gouvernance algorithmique de la société. Le Code informatique ne devrait pas avoir pour vocation de réguler la vie des citoyens et des institutions publiques et privées.

Consentir que le régulateur soit le code informatique, produit dans l’obscurité du monde des affaires des multinationales, est une aberration. Il s’agit d’une abdication du pouvoir des États et des peuples, qui se soumettent implicitement à ceux et à celles qui rédigent le code, ou plutôt qui dirigent la réalisation du code informatique. En Suisse par exemple, l’abdication du pouvoir de l’État se matérialise aussi lorsque ce dernier délègue la réalisation du service universel de connectivité sur tout le territoire national à un acteur privé[2].

S’opposer au fait que subrepticement Le Code informatique fasse la Loi et devienne la Loi passe non seulement par la défense de nos valeurs constitutionnelles mais aussi par une certaine idée de la souveraineté numérique.

Un État qui valide son inféodation à des fournisseurs étrangers y compris pour des solutions de cloud, et qui de ce fait ne maitrise pas le droit applicable à ces infrastructures[3], accepte de perdre en souveraineté puisque sa puissance économique et son pouvoir d’action reposent alors sur des infrastructures numériques qui échappent à son contrôle.

Selon le communiqué du Préposé fédéral à la protection des données et de la transparence du 7 mars 2023 « L’administration fédérale passe à Microsoft 365 en nuage. … Ce n’est pas un changement habituel, étant donné que les nouveaux produits ne seront disponibles que sous forme de solutions en nuage public. De fait, l’administration fédérale dépend aujourd’hui des produits Office du groupe Microsoft. … Les utilisatrices et utilisateurs auront notamment l’interdiction de sauvegarder des données sensibles et des documents confidentiels dans le nuage de Microsoft. »[4].

En matière de cybersécurité, le roi est souvent nu

La maitrise de la cybersécurité des infrastructures numériques est devenue un enjeu majeur pour le bon fonctionnement de la société et ce sont les acteurs qui maîtrisent les solutions de cybersécurité et qui les contrôlent, qui sont en situation de pouvoir et de puissance. Dès lors, comment un gouvernement qui dépend d’infrastructures et de services d’origine étrangère peut-il pleinement assurer sa cybersécurité ?

Disposer d’une certaine autonomie numérique est donc crucial pour assurer la cybersécurité des systèmes d’information nécessaires au bon fonctionnement des infrastructures vitales d’un pays (activités civiles, militaires, judiciaires d’un pays, recherche et développement, transport, énergie, santé …).

Développer localement un écosystème de la cybersécurité en investissant essentiellement dans des locaux et du marketing n’est pas suffisant. De plus, cela peut être contre-productif, lorsqu’au préalable, il n’y a pas de stratégie de mise en place des éléments de la maitrise de toute la chaine de développement de la cybersécurité et de son cycle de vie, afin de pouvoir réellement répondre aux besoins de sécurité et de défense du pays.

Attirer des acteurs étrangers à s’installer dans une région, contribue généralement à déstabiliser ou à absorber les acteurs locaux historiques, rarement à les consolider.

Pour ne donner qu’un exemple, en novembre 2022 la filiale cybersécurité d’Orange (Orange Cyberdefense) a acquis 100% des sociétés suisses SCRT et Telsys basées à Morges. La stratégie du groupe Orange est claire et annoncée « Après le rachat en 2019 de SecureLink et SecureData, Orange Cyberdefense poursuit sa stratégie ambitieuse tant organique qu’inorganique pour devenir le leader européen de la cybersécurité, grâce à son implantation dans 9 pays (France, Belgique, Danemark, Allemagne, Pays Bas, Norvège, Suède, Royaume-Uni et maintenant la Suisse) » [5]. Ce rachat consolide la position de cette multinationale sur le marché Suisse au détriment de la cybersouveraineté suisse.

Sans vision ni plan d’action des partenariats et des points de contrôle à mettre en place, tous les investissements publics pour développer le marché de la cybersécurité profitent alors essentiellement à tous ceux qui savent tirer parti des infrastructures locales et des collaborations de type « public-privé ». Le privé sait très bien comment bénéficier des investissements supportés par le secteur public.

Orchestrer et encadrer les activités de cybersécurité bénéfiques à la Suisse ne se résume pas à tenter d’imiter l’écosystème de la Silicon Valley ou celui israélien de la cybersécurité, souvent donné en exemple. Même à l’heure de la mondialisation, toutes les approches de cybersécurité ne sont pas transposables d’un pays à un autre, du fait de multiples facteurs liés notamment à la culture, à l’histoire, à la géographie ou encore aux capacités humaines en relation avec l’esprit de sécurité et de défense des civils et des militaires des pays concernés.

En Suisse, si la fuite en avant vers le tout numérique se poursuit et s’accélère, en ayant de plus en plus recourt à des solutions informatiques et à des systèmes d’intelligence artificielle préfabriqués et embarqués dans les offres des acteurs auxquels les institutions et la population sont déjà inféodés, pourquoi faire semblant de rechercher une pseudo-autonomie en matière de cybersécurité ?

Ce n’est pas une poignée de start-up, qu’elles soient financées ou non par des fonds publics, mais dont l’avenir est soit d’être rachetées par des multinationales, soit de disparaitre, qui pourra faire la différence. La faillite de la Silicon Valley Bank, spécialisée dans le financement de start-up du secteur des nouvelles technologie, qui a fermé ses portes le 10 mars 2023, devrait nous inciter dans tous les domaines, de faire preuve d’une certaine retenue numérique.

 

La retenue numérique, une innovation majeure

Comme il est urgent de faire face aux défis environnementaux, de réduire les cybernuisances et de gagner en souveraineté numérique et en cybersécurité, une logique de retenue numérique est une solution à prendre sérieusement en considération.

La retenue numérique est désormais à considérer comme un facteur d’évolution civilisationnelle, une innovation majeure au service d’une autre idée du progrès.

 

Notes

[1] The Code is Law est le titre du premier chapitre du livre de L. Lessing paru en 1999 intitulé « Code and other laws in cyberspace » Basic Books,A Member ofthe Perseus Books Group accessible en ligne à l’adresse

https://lessig.org/images/resources/1999-Code.pdf

« The Code is Law, on Liberty in cyberspace ». Lawrence Lessig. Harvard magazine (2000)

https://www.harvardmagazine.com/2000/01/code-is-law-html

[2] La société Starlink d’Elon Musk va combler les zones blanches du réseau mobile en Suisse.

[3] Exemple de loi extraterritoriale : Clarifying Lawful Overseas Use of Data (CLOUD) Act (USA, 2018).

https://www.justice.gov/criminal-oia/cloud-act-resources

[4] Un crédit d’engagement de 14,9 millions de francs a été approuvé par le Conseil fédéral le 15 février 2023. La migration devrait durer jusqu’en 2025.

[5] https://www.orangecyberdefense.com/fr/insights/actualites/orange-cyberdefense-acquiert-les-societes-suisses-scrt-et-telsys

 

Solange Ghernaouti

Docteur en informatique, la professeure Solange Ghernaouti dirige le Swiss Cybersecurity Advisory & Research Group (UNIL) est pionnière de l’interdisciplinarité de la sécurité numérique, experte internationale en cybersécurité et cyberdéfense. Auteure de nombreux livres et publications, elle est membre de l’Académie suisse des sciences techniques, de la Commission suisse de l’Unesco, Chevalier de la Légion d'honneur. Médaille d'or du Progrès

12 réponses à “Monoculture numérique et cybersécurité

  1. Madame, je vous suis totalement dans votre propos et mises en garde, mais est-il encore possible de changer le cours de l’e-histoire?
    ChatGPT et toutes les autres copies, voire F*GPT parmi elles pour le bonheur des hackers de toutes sortes, sont en train de piller nos data avec notre consentement actif.
    Quid des system IT/SEC de tous genres, caduques, inutiles, désuets, juste là pour freiner la bonne marche des affaires et se débarasser de ribambelles de consultants coûteux et soudainement inutiles.
    La casse au niveau mondial va être terrible, le pillage des données sans limites et en plus va entraîner une grave déflation.

  2. Dans ce monde rien n’est totalement bon ni totalement mauvais. Disons que le bien et le mal sont étroitement et inexorablement liés. Vous ne nierez pas que l’informatique apporte beaucoup. Le sujet de votre réflexion ne serait-il pas en fait le nationalisme ou l’égoïsme des nations, des sociétés? La nécessité ou le danger des collaborations internationales, leurs limites. Sujet tout aussi difficile. Dans mon tout petit recoin, je cherche à faire des exercices pour enfants afin de les aider à apprendre à lire. (jeuxDeLecture)

    Je me heurte à des changements apportés avec HTML5: onload et onmouseover ont changé. Je voudrais donner la consigne oralement pour des enfants qui ne savent pas lire et je n’y arrive plus alors que cela fonctionnait auparavant. Avec ces évènements j’appelais une fonction énonçant oralement la consigne. Cela je ne marche plus que par onclick. Régression ou totalitarisme incompréhensible de microsoft? Mais, qu’aurait été un monde sans B. Gates?

    1. “Qu’aurait été un monde sans B. Gates?”
      Assurément un monde moins pervers, moins monopolistique, moins paranoïaque, moins totalitaire.
      Des alternatives existaient. B.Gates (entre autres, car cela arrange bcp de monde) a fait en sorte que toutes les alternatives échouent pour garder son monopole.
      Et on a laissé faire par corruption, paresse, négligence, etc.
      Mais ce n’est pas une fatalité. On peut installer des programmes libres. Et l’Etat devrait le faire. Mais B.Gates lui promet la sécurité (et l’esclavage est compris dans le prix).

  3. Une autorité, qu’il s’agisse des pouvoirs publics ou du secteur privé, qui confie ses données à un sous-trainant commercial doit être tenue pour seule (ir)responsable des conséquences qui en découlent. Que des parlementaires à Berne en soient à discutailler pendant des sessions sans fin sur l’opportunité ou non d’adopter Microsoft 365 ne démontre-t-il pas assez leur niveau d’incompétence et d’irresponsabilité? Or, la réponse à ce dilemme est si évidente qu’elle semble les aveugler: le recours au logiciel libre est la seule alternative aux programmes commerciaux. La plupart des grandes administrations publiques, de l’Allemagne à l’Australie en passant par la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne l’ont adopté depuis longtemps. Pourquoi la Suisse en serait-elle encore à confier à des tiers ce qu’elle seule doit et peut pourtant maîtriser?

    Pourquoi pas un parti du logiciel libre au Parlement?

    Si Linux contrôle (sans qu’il le sache le plus souvent) le smartphone du premier quidam venu comme les plus puissants super-calculateurs de la planète, pourquoi les incompétent(e)s chargé(e)s du traitement des données à Berne, dans les administrations cantonales et communales ne se verraient-ils pas imposer d’office (non 365) une initiation au logiciel libre? Ne devrait-on pas leur imposer de fournir au préalable la preuve qu’ils sont capables de compiler et développer leur propre noyau Linux avant de leur confier la moindre tâche?

    A défaut, autant confier l’informatique publique à un quarteron de femmes de ménage, ça marchera tout aussi bien.

    Quant à la faillite de la Silicon Valley Bank, ne montre-t-elle pas que pour une “start-up”, combien on compte de “finish-down’s”? Pourtant, s’il est une chose encore plus néfaste que le capital-risque, n’est-ce pas l’ignorance de celles et ceux qui préfèrent s’en remettre à des sous-traitants privés dans la gestion des affaires publiques?

  4. Tout d’abord, un grand merci pour ce partage de votre prise de position.

    Le terme que vous avez choisi pour décrire la situation, cette “inféodation”, me semble particulièrement bien décrire la situation de la Suisse vis-à-vis des prestataires américains et je me permets de profiter de cet espace commentaires pour partager mon interprétation de la situation.

    De mon expérience, Microsoft occupe le cœur des Suisses au moins depuis 1992 (un peu plus de 30 ans) tant sur le plan des systèmes d’exploitation que des logiciels de bureautique. Depuis plus de 30 ans, les entreprises et les citoyens suisses privilégient les produits de Microsoft pour la gestion de leur vie numérique et celle des entreprises. Cela fait aussi au moins plus de 20 ans que la littérature abonde pour dénoncer les risques et les potentielles dérives auxquelles cet asservissement aux logiciels propriétaires d’une seule et unique entreprise américaine nous expose. Ainsi, je pense qu’il est nécessaire de préciser que cette inféodation à laquelle vous faites référence ne peut être incarnée que par notre adoption des services cloud américains (ce serait faire un procès injuste au cloud). Cette adoption n’est qu’une étape de plus dans une longue démarche d’inféodation qui a débuté bien avant le cloud et qui se profile déjà bien au-delà du cloud (*tousse*IA*tousse*).

    Peut-être à contre-courant, je pense que l’offre cloud actuelle de Microsoft, tout comme celles de ses concurrents directs Amazon, Google, Alibaba et consorts, sont une aubaine pour nous (la Suisse). Une aubaine car, tant au privé qu’au public, nous avons snobé ces nombreux entrepreneurs qui déjà dans les années 2000 ont vu venir le virage cloud et de la bureautique 100% en ligne. Nous avons snobé des initiatives, des projets, des start-ups, en ne leur donnant même pas une chance de tenir leurs promesses.

    En 2006, après deux ans d’opération en accès restreint aux universités, Facebook est devenu public. A ce stade déjà, la petite start-up était déjà victime de harcèlement par des investisseurs affluant de toutes parts et désireux de récupérer une part de ce gâteau potentiel. Deux ans plus tard, le service proposait les versions traduites en allemand, français et espagnol: les fondateurs avaient bien compris que la captation de données n’allait pas se limiter au seul territoire américain. Quels réseaux sociaux ont bénéficié d’un tel soutien en Suisse ? D’ailleurs, on a quoi comme réseaux sociaux en Suisse ? Quand je pose la question on aime bien me répondre “Xing”. Perdu : c’est un service allemand. Au suivant.

    Les plateformes Azure et Microsoft 365 sont respectivement arrivées sur le marché en 2008 (15 ans!) et 2010 (13 ans!). Comment la Suisse y a-t-elle répondu? Quelqu’un saura-t-il me dire depuis quelle année nous disposons d’une plateforme cloud de tier 1 (machines virtuelles) digne de ce nom, où le client pilote ses déploiements sans passer par des formulaires de contact ni des politiques de tarification sournoises à base de “contactez-nous pour un devis”, 100% hébergée et conçue en Suisse, et tout cela à un prix acceptable pour nos PMEs? Non seulement il nous a fallu une éternité pour développer un portefeuille de compétences et de solutions alternatives (et encore!), nous n’avons même été particulièrement réactifs dans l’adoption de ces technologies pour en tirer un quelconque avantage.

    Nous sommes mondialement réputés pour notre capacité d’innovation. Être nommés les leaders mondiaux de l’innovation, c’est bien pour finir en première page de magazines de la rubrique économie et finance, mais encore? Nos amis d’outre-Atlantique ou israéliens (mentionnés dans votre article), que l’on aime si bien critiquer pour leur penchant invasif/expansif, eux, semblent avoir compris que l’innovation n’est pas très utile si elle n’est pas suivie par l’adoption. Ainsi, nos amis observent et s’approprient les technologies et méthodes dont ils anticipent un potentiel, ils y investissent, souvent en prenant de gros risques, et ils les industrialisent afin d’y associer ensuite des services. Les prestataires de services cloud majeurs sont des exemples de ces capacités d’innovation combinées à des capacités d’adoption.

    Considérant ce qui précède, il faut reconnaître que le cloud n’est qu’un petit pas supplémentaire dans ce long processus d’inféodation que nous avons démarré il y a plus de 30 ans. Quand j’entends toutes ces voix s’élever contre le cloud “étranger”, dénoncer l’hégémonie d’entreprises américaines et israéliennes sur nos données, quand je vois des invités s’offusquer de la propagation de TikTok dans les smartphones de nos enfants et de nos élus, ou de Microsoft 365 dans les PMEs, j’y vois avant tout un grand spectacle et beaucoup de brassage d’air. J’y vois aussi la démonstration de notre médiocrité face à la complexité de la question de la souveraineté numérique : d’une certaine manière nous révélons à nos “souverains” que nous sommes démunis pour déjouer les stratagèmes mis en place par des nations et des entreprises qui planifient leur économie et leurs investissements sur un horizon de 30 à 40 ans.

    Pendant que nous débattons du stockage de fichiers Word chez les américains et de vidéos chez les chinois lors de joutes oratoires télévisées, des gouvernements actionnent des cellules de crise de grande ampleur dans le but d’atténuer les effets dévastateurs de leur retard sur des objets stratégiques tels que les traitements assistés par intelligence artificielle, l’exploration spatiale, le transport à zéro émission, l’impression 3d, l’informatique quantique, etc. La cybersécurité ? N’y pensons même pas ! Nous en sommes au stade où des sociétés “suisses” qui ont pignon sur rue et qui sont mandatées pour monitorer la sécurité interne des 100 premières capitalisations boursières du pays délèguent la quasi-totalité de leurs traitements de données à des éditeurs américains et du personnel basé à l’étranger. Souveraineté? Hahaha.

    Ainsi, j’abonde pleinement au caractère alertant de votre article et me pose la même question que vous vous posez (“pourquoi faire semblant de rechercher une pseudo-autonomie en matière de cybersécurité ?”). Je pense qu’il est illusoire aujourd’hui de chercher à atteindre une quelconque forme de souveraineté totale (absolution de toute dépendance et confiance à des partenaires ou alliés) sans la mise en œuvre de moyens extraordinaires. Des moyens que nous refusons d’ailleurs d’engager à toute occasion…

    Je pense que si nous souhaitons nous aventurer sérieusement dans cette quête de souveraineté numérique, il nous faut commencer par mettre rapidement de côté ces discussions de cloud par-ci ou cloud par-là et constater la perte de notre souveraineté en matière de cybersécurité et de protection des données. Avec un peu de chance, ce constat nous permettrait de démarrer un processus de deuil qui déboucherait sur des réflexions stratégiques potentiellement bénéfiques pour notre économie et notre société plus généralement.

    P.S.: Un grand merci pour tout ce que vous faites pour faire avancer le “schmilblick”!
    P.S.: Je note cette notion de “retenue numérique” avec la plus grande attention. Il me semble qu’il y a énormément d’éléments à aborder derrière cette notion et il me semble déjà évident en surface que cette option devrait être plus souvent incluse dans la liste des “options”.

  5. Il semble que chez les américains la programmation soit une passion et je pense que pour Tesla le véritable argument de vente soit ce qu’apporte son autonomie (plus ou moins parfaite) grâce à ses programmes. Oui, on peut critiquer microsoft et Bill Gates pour son excès de combativité mais la situation qu’on constate, la prédominance de windows sur linux du moins chez les béotiens a des causes. L’utilisation par linux de mots secrets genre sudo et autres, ça me semble rédhibitoire. Et ce nombre de “distros” ! On peut pas passer son temps à déterminer laquelle est la meilleure! Les gens qui ne sont pas spécialistes cherchent le plus intuitif, le plus rapide. Maintenant que cela soit dommage pour l’Europe, que nous soyons en perte de notre souveraineté c’est certain et c’est encore plus certain vis à vis de la Chine. Notez cependant que Microsoft et autres pourraient dire: nous gardons nos programmes pour nous seuls, un peu ce qui se passe pour tiktok aux US. Pas sûr que cela faciliterait notre travail. L’Europe s’est-elle endormie comme le fit la Chine? Manquons-nous de combativité, de créativité, d’envie de nous battre? Pour moi j’ai eu des ordinateurs très tôt (TRS 8O, Sinclair ZX) à l’heure où il n’existait rien d’allemand, d’anglais, de français ayant ce niveau et que je cherchais des moyens d’alléger mon travail. Heureusement il existe une société qui fait quelque chose en Hollande (ASML) et quelques autres moins actives en Europe mais nous ne sommes pas au niveau de TSMC et des américains. Maîtriser notre destin oui, mais il y a encore à se dynamiser un peu!

    1. “L’utilisation par linux de mots secrets genre sudo et autres, ça me semble rédhibitoire. ”

      sudo (abréviation de “substitute user do”, “super user do” ou “switch user do”, en français : “se substituer à l’utilisateur pour faire”, “faire en tant que super-utilisateur” ou “changer d’utilisateur pour faire”) n’a rien de secret. Cette commande informatique est utilisée sans être installée par défaut sur la plupart des systèmes Unix : BSD, Sun Solaris, Linux, etc. Il existe cependant des systèmes d’exploitation où le recours à sudo est systématisé: macOS d’Apple, où l’utilisateur root est désactivé par défaut, a systématiquement recours à sudo pour effectuer des tâches d’administration depuis l’utilitaire Terminal. La distribution Linux Ubuntu (et ses dérivées) utilise également cette commande comme moyen par défaut pour effectuer des tâches administratives, le compte root n’étant pas activé par défaut pour des raisons de sécurité et de stabilité du système.

      Sur Windows, il existe une commande analogue à sudo, il s’agit de runas ; la partie sécurité est assurée par l’UAC (User Account Control). C’est l’analogue de la fonctionnalité sudoers.

      Cette commande permet à un administrateur système d’accorder à certains utilisateurs (ou groupes d’utilisateurs) la possibilité de lancer une commande en tant qu’administrateur, ou en tant qu’autre utilisateur, tout en conservant une trace des commandes saisies et des arguments.

      Si Windows domine encore le marché bureautique grand public, Linux est d’abord un système d’exploitation en mode serveur, domaine qu’il domine, en particulier sur les plus grands super-calculateurs. Ses versions “desktop” les plus populaires (Ubuntu, Manjaro, Fedora, Linux Mint, OpenSUSE, etc.) n’ont plus rien à envier à Windows et sont en passe de faire fondre son monopole bureautique comme neige au soleil.

      Comme toujours en programmation, soit nous contrôlons le code, soit c’est lui qui nous contrôle. Libre à chacun de rester esclave d’un système au code duquel il n’a pas accès. Mais il est alors inutile de se plaindre qu’on est victime de “Big Brother”.

      1. Pour faire plus court, sudo n’est pas secret, si on ne sait pas ce que sait on tape “man sudo” et on a la réponse. (et si on ne sait pas ce que man veut dire, “man man”). Il n’y a pas grand chose de secret avec Linux, tout est documenté et le code source et son historique est disponible à tout à chacun…
        C’est plutôt des systèmes propriétaires qu’il faut se méfier, on est bien souvent à la merci d’un fournisseur qui cherche le profit, à vendre du support et ne se privera pas d’imposer ses décisions à ses clients…

    2. Si vous êtes paresseux à utiliser Ubuntu ou Linux Mint, peu m’importe.
      En réalité, cela fonctionne très facilement de nos jours. C’est uniquement une question d’habitude.
      Et l’on pourrait attendre de l’Etat qu’il ne soit pas paresseux et qu’il choisisse des solutions qui soient profitables au bien commun à long terme.
      Si les étudiants sont éduqués à utiliser linux, ils le feront très facilement.
      Pourquoi l’éducation devrait-elle favoriser Miscrosoft et sponsoriser ses logiciels payants et intrusifs?

  6. @ F.T. je vous remercie pour votre réponse qui m’a appris bien des choses. Je ne suis pas informaticien de profession mais simple enseignant généraliste ou du moins j’étais. L’utilisation de windows relève-t-elle de la paresse? Personnellement je m’intéresse à fouetter d’autres chats et pour un grand nombre de gens l’OS est un outil, le moins possible un objet d’étude. Donc il est important qu’il soit intuitif, stable et ne cause pas trop de problèmes ou de frustrations. Je passe une partie de mon temps à mettre au point des exercices sur informatique pour faire apprendre à lire. Je suis à la retraite et sachez bien que trouver des idées pour cela, les transcrire en javascript est déjà tout une histoire. Les maîtresses ont une grande charge de travail et contrairement à ce que pensent beaucoup, la pédagogie est une sacrée affaire, mangeuse de temps et de matière grise. En tant que retraité, j’estime que je peux faire quelque chose. A chacun son métier et ce n’est pas pour rien que l’on se spécialise. Que nos informaticiens nous convainquent et pas seulement par des mots. Je suis esclave de windows mais outre le fait que la plupart des ordis soient vendus avec lui, il faut reconnaître qu’il s’améliore. Surtout si j’achète une machine puissante qui ne me fait pas attendre x minutes avant de me montrer le résultat de mes tâtonnements. Et paint. net est plus facile que gimp! J’ai essayé puppy linux sur mon ancienne machine mais bof. Et Dreamweaver, c’est bien! Je serais preneur d’une référence des commandes sur ubuntu, d’un livre ou d’une page internet sur toutes les commandes linux. Et aussi de ce que microsoft a fichu récemment des commandes onload et onmouseover. C’est vrai que les américains deviennent envahissants avec amazon, google, apple et microsoft et maintenant leurs armements. Mais demandez aux Ukrainiens pourquoi ils aiment tant le himars. C’est frustrant de se sentir dépendant et contraint à payer l’étranger, oui. Je suis passé de word 97 à libre office par peur du piratage et du prix mais pas sûr que je sois totalement satisfait: lors de l’enregistrement d’un écrit, word met en titre le début de mon texte, ce qui tape juste très souvent, surtout si l’on produit un grand nombre de textes tout petits. Il le place automatiquement dans un format et dans un endroit que j’ai moi-même déterminé une fois pour toutes et non pas dans Documents (mon lecteur externe pour copie sur d’autres machines). Détails? pas sûr! Cependant vous avez raison de dire que nous sommes en dépendance par rapport aux américains. Nos informaticiens devraient faire mieux qu’eux, convaincre s’ils veulent que linux l’emporte

    1. Ce n’est pas la faute des informaticiens si Linux se l’emporte pas.
      C’est de la géopolitique (contrôle des données, stratégies, etc.), qui aboutit à des marchés volontairement biaisés.
      C’est une dimension quasi militaire, qui fait que nos Etats acceptent de se soumettre à Miscosoft et qui fait que l’on enseigne cette soumission depuis l’école jusqu’à l’université.
      Mais comme le montre ce blog, avec beaucoup de pertinence, à long terme, c’est une direction funeste pour nos sociétés.
      Il s’agit d’un choix de société.

    2. Cher Monsieur,

      Merci pour votre aimable et fort intéressante réponse, qui m’éclaire sur vos expériences pédagogiques. Peut-être avons-nous d’ailleurs plus d’un point commun à cet égard, puisque, venant d’une famille d’enseignants, je l’étais aussi pendant quelques années, d’abord dans le secondaire puis dans la recherche. Je ne peux donc que confirmer votre constat: enseigner est tout sauf une sinécure – même si pour George Bernard Shaw, “those who can, do; those who can’t, teach” (“Man and Superman”).

      Mes domaines d’enseignement étaient à l’origine tout sauf liés à l’informatique: langues (français, anglais, latin) et histoire. Ma formation informatique n’est venue que beaucoup plus tard (j’ai toujours été en retard à l’école, d’abord comme élève puis comme maître). Pourtant, c’est le français qui m’y a amené. En effet, en 1989, la Faculté des lettres de l’Université de Genève (UNIGE) dont je suis un produit (fort peu rentable et encore moins cartésien ni remarquable, hélas – les lettres, ce n’est pas la pétrole) a ouvert, pour la première fois en Suisse, un séminaire de 3e cycle en linguistique-informatique destiné à introduire les étudiant(e)s en lettres à l’informatique. Pour beaucoup d’entre nous, ce fut l’égal d’un baptême du feu. Certain(e)s, capables de réciter par coeur des pages entières d’Eschyle ou d’Ovide, n’avaient jamais allumé un ordinateur. Or, nous avons été confrontés d’emblée, non pas à des portables munis de Windows mais à des stations de travail Sun tournant sous Unix et initiés à la programmation dans un langage dit de “cinquième génération”, tout sauf “Basic”: Prolog – langage inventé pour analyser les langes naturelles, et en particulier le français. C’est aussi le langage le plus utilisé en intelligence artificielle (IA), si bien que sans même avoir appris à coder trois lignes dans un langage procédural traditionnel (C/C++ ou Java), les “lettreux” de la première volée de linguistique-informatique sortis de l’UNIGE sont en réalité les pionniers de l’IA en Suisse… Mais shut, il ne faut surtout pas le dire.

      Trève de balivernes. Revenons à votre propos. Au sujet d’Ubuntu, je ne vois pas d’autre manière de s’y initier que de l’installer, ce qui est très facile à faire à côté de Windows (en “dual boot”) ou sans celui-ci. Il suffit de télécharger le fichier .iso de la version de son choix depuis le site d’Ubuntu et de le graver sur clé USB ou CD puis d’introduire l’une ou l’autre dans son ordinateur.

      A vous lire, je crois avoir toutefois compris que vous vous intéressez à l’apprentissage de la lecture par les enfants. Dans ce domaine, je n’ai sans doute rien à vous apprendre eu égard à vos profession, sinon de vous faire part d’une expérience que j’ai faite lorsque j’enseignais le français langue seconde, en particulier à des adultes non-francophones peu ou pas scolarisés. Mon mandataire, une institution d’aide aux requérants d’asile, m’avait demandé de lui proposer une méthode susceptible d’être utilisée sur ordinateur par ses “protégé(e)s”. Or, ni les études de lettres, ni ma brève formation pédagogique ne m’avaient été d’aucune aide dans ce domaine très particulier. Après quelques recherches, je suis tombé sur une approche que vous connaissez peut-être, celle de Caleb Gattegno pour l’apprentissage des langues. Gattegno, mathématicien et philosophe, avait constaté au cours d’une mission en Ethiopie pour le compte de l’UNESCO que les autochtones apprenaient leur langue maternelle, l’amharique, grâce à un tableau de rectangles colorés, appelé “Fidel”, associé à un autre tableau comprenant des mots dont les graphèmes et morphèmes étaient représentés par des couleurs. L’enseignant, muet – d’où le nom de la méthode, le “Silent Way” -, se contentait de faire le rapport entre les rectangles et leur couleur correspondante dans les mots (ou fragments de mots) à l’aide d’un pointeur (une simple baguette le plus souvent). Tout en exécutant son mouvement, il y ajoutait sa prononciation de vive voix, seule intervention active de sa part dans ce genre d’apprentissage, sorte d’audio-visuel avant la lettre puisque c’est ainsi que les Ethiopiens apprennent leur langue depuis toujours.

      Vers la fin de sa vie Gattegno avait entrepris d’informatiser sa démarche mais la mort l’a interrompu dans ses travaux. Ma formation en linguistique-informatique, et en particulier Prolog, m’avait aussitôt fait voir l’intérêt d’informatiser une telle démarche, entreprise pour laquelle je n’avais qu’à reprendre les premiers essais de Gattegno là ou il les avait laissés. A cette fin, je devais utiliser des outils tels que Javascript et HTML, encore peu ou pas utilisés en combinaison avec Prolog et que je commençais alors à peine à découvrir (c’était il y a une quinzaine d’années déjà). C’est ainsi que des commandes (en fait ce qu’on appelle “events” en Javascript) telles que celles que vous citez, “onload” et “onmouseover” me sont devenues familières. Mais comme j’avais mis en oeuvre mon système, qui était au stade de prototype expérimental, entièrement sous Linux, je n’avais jamais tenté de réaliser de tels “events” sous Windows. Le “W3C” (Consortium 3W) les décrit en détail dans son cours sur Javascript en ligne, avec exemples à l’appui, comme ici pour “onload” (voir site w3schools.com/jsref/event_onload.asp). Peut-être y trouverez-vous une réponse à vos questions.

      Seule une minorité d’enseignants de l’Instruction publique semble s’intéresser à l’approche de Gattegno, ce qui est à mon avis regrettable, car elle est aussi utilisée pour apprendre aux jeunes enfants leur langue maternelle, y compris le français. J’avais d’abord pensé développer mon prototype dans ce sens mais d’autres contraintes m’en ont empêché. Dans le mesure où elle associe images, écriture et son une telle approche me paraît pourtant très prometteuse et, retraité moi aussi, je ne demanderais pas mieux que de m’y remettre. Après tout, mieux vaut tard que jamais, non?

      Cordialement,
      F.T.

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