Les non-dits de l'économie

Quand le salaire minimum est redoutable

Le mois passé, la presse tessinoise a révélé que trois entreprises proches de la frontière avec l’Italie ont réussi à contourner la loi cantonale qui introduit un salaire minimum brut horaire, établi à 19 francs dès la fin décembre 2021, pour donner suite à une initiative populaire adoptée en juin 2015.

Il ne fait pas de doute que d’autres entreprises au Tessin vont suivre la démarche de ces trois premières entreprises, qui ont trouvé le moyen de contourner légalement cette loi cantonale, même si cela est fait de manière illicite envers la dignité des personnes qui ne sont ainsi pas suffisamment rémunérées pour mener une vie digne de ce nom avec leur salaire (vu que celui-ci se situe à 15 francs bruts de l’heure). D’ailleurs, la fixation d’un salaire minimum brut horaire à 19 francs ne suffit certainement pas pour vivre dignement au Tessin de nos jours, même si l’on travaille à plein temps et que l’on fait peut-être aussi des heures supplémentaires.

Le problème, toutefois, réside dans la loi sur le salaire minimum adoptée par le Grand conseil tessinois le 11 décembre 2019 et entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Lisant cette loi, on remarque tout de suite la volonté du législateur de seconder les exigences des employeurs au détriment, tout d’abord, de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs qui n’arrivent pas à vivre avec leur salaire et, par la suite, de l’ensemble des parties prenantes au sein de l’économie tessinoise.

Si le but de cette loi sur le salaire minimum est d’«assurer un niveau de vie digne» à celles et ceux qui reçoivent un tel salaire – comme l’indique son article 1 – il est évident que cette loi ne permet pas d’atteindre cet objectif. L’article 3, lettre i, de cette loi, en effet, indique de manière explicite qu’elle «ne s’applique pas aux rapports de travail pour lesquels il existe une convention collective de travail […] ou qui fixent un salaire minimum obligatoire».

Cet article empêche la loi d’avoir une portée générale, d’autant plus dans le cadre des activités économiques qui exploitent les travailleurs pour engendrer des profits extravagants par rapport aux compétences entrepreneuriales des titulaires de ces entreprises.

Si les autorités politiques en Suisse voulaient vraiment relancer et soutenir l’économie par la fixation d’un salaire minimum brut horaire, elles devraient l’établir à un niveau de 25 francs (à indexer par la suite en fonction de l’évolution du coût de la vie), que n’importe quelle entreprise doit être tenue à respecter, sans mettre en œuvre des mesures de contournement qui la disqualifient sur le plan réputationnel et en fin de compte aussi sur le plan économique.

La classe politique n’est certainement pas prête à aller dans cette direction, vu que l’État (comme Karl Polanyi l’avait bien expliqué) est aux mains de la classe dominante, à savoir, de celles et ceux qui pensent à s’enrichir en appauvrissant une partie importante de la population formée par des travailleuses et des travailleurs qui ont toujours plus de peine à boucler les fins du mois avec le salaire que ces personnes reçoivent.

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