Les non-dits de l'économie

Pouvoir de marché, inégalités et instabilité financière

Une étude scientifique publiée récemment par deux économistes travaillant au sein de la banque centrale américaine(Fed) met en évidence plusieurs éléments qui permettent d’expliquer la situation dans laquelle se trouve l’économie états-unienne – à l’instar de celle d’autres pays soi-disant «avancés» sur le plan économique.

Les auteurs de cette étude, Isabel Cairó et Jae Sim, observent que durant les 40 dernières années l’économie américaine a été caractérisée par une réduction importante de la part des salaires dans le revenu national, suite à l’augmentation du pouvoir des entreprises aussi bien sur le marché du travail que sur celui des produits. En effet, le chômage involontaire a exercé une pression à la baisse sur les salaires d’une grande partie de la classe moyenne et de la classe inférieure, contribuant à augmenter la part des profits au détriment de la capacité d’achat des consommateurs états-uniens – qui ont pu garder leur niveau de vie seulement grâce aux crédits que les intermédiaires financiers leur ont octroyés au-delà de toute limite raisonnable.

Comme le font remarquer ces deux économistes au sein de la Fed, les crédits à la consommation et ceux pour l’achat d’actifs immobiliers ont augmenté l’instabilité et la fragilité financière de l’économie américaine, avec pour conséquence l’éclatement d’une crise (à savoir, celle des «subprime») en 2006, qui peu après est devenue une crise financière globale suite à la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers le 15 septembre 2008.

Les auteurs de cette étude font aussi remarquer que l’augmentation de la part des profits dans le revenu national n’a pas amené les entreprises américaines à investir davantage de manière productive – au vu de la demande insuffisante sur le marché des produits, suite à la diminution de la capacité d’achat des consommateurs américains – mais a contribué à enfler les prix des actifs financiers, notamment sur les marchés boursiers, où les entreprises cherchent à gagner des rendements financiers qui puissent (au moins en partie) compenser leur manque à gagner sur le marché des biens et des services.

Pour réduire la fragilité financière de l’économie américaine engendrée par le néo-libéralisme, Cairó et Sim proposent que l’État prélève un impôt sur les dividendes dont le barème doit être calibré afin d’amener les propriétaires du capital financier à réduire leur envie d’enfler des bulles du crédit car, lorsque celles-ci éclatent, elles affectent négativement la classe moyenne et, de là, l’ensemble de l’économie.

Même si les résultats et les conclusions de l’étude de Cairó et Sim ne font que valider la pensée hétérodoxe exprimée par les économistes qui s’inspirent de l’œuvre de J.M. Keynes, ce qui est surprenant est le fait qu’une institution sacrée de la pensée dominante telle que la Fed ait acceptée de publier une telle étude – qui, de manière générale, est ignorée dans le domaine des «sciences économiques».

Peut-être que quelque chose est en train de changer (dans la bonne direction) auprès des principales banques centrales. Si cela ne s’avère pas, la prochaine crise financière risque d’effacer également les places de travail actuellement occupées par les économistes qui mettent en lumière les défauts et les faiblesses de la pensée dominante au sein des autorités monétaires.

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