Les non-dits de l'économie

Digitalisation, salaires et emploi: la prochaine crise économique est programmée

Selon une étude publiée ce mois-ci par McKinsey, la digitalisation de l’économie suisse induira la suppression nette de quelque 200’000 places de travail, surtout dans le commerce de détail, le secteur industriel et les activités financières. Certes, il ne s’agit pas de la première étude qui aboutit à des conclusions pessimistes en ce qui concerne l’évolution du niveau d’emploi suite à la «quatrième révolution industrielle» dont la vitesse augmente de plus en plus dans l’économie globale. L’aspect intéressant dans l’étude de McKinsey est la remarque que les nouvelles places de travail créées grâce à la digitalisation des activités économiques pourront être occupées par des personnes ayant des compétences différentes de celles que l’on acquiert en général durant sa propre formation (scolaire, professionnelle ou académique). Il faudra en fait avoir des capacités émotionnelles et d’analyse critique, ainsi qu’une créativité éprouvée même là où (dans le secteur des services) la dimension physique du produit est absente.

Il s’agit indubitablement du défi majeur auquel doivent faire face les écoles de toute sorte ainsi que les institutions académiques en Suisse et dans le reste du monde. La globalisation pousse les entreprises à produire là où le coût unitaire du travail est le plus faible, exerçant de ce fait une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs moyennement qualifiés ou qui ont un niveau élevé de qualifications mais dans des branches d’activités ayant un taux de chômage élevé.

L’affirmation que les travailleurs très qualifiés pourront recevoir des salaires plus élevés grâce à l’augmentation de la productivité induite par la digitalisation s’avérera rapidement une illusion: la financiarisation des activités économiques est telle que ce seront les profits, au lieu des salaires, à augmenter suite à l’automatisation de la production et au développement de l’intelligence artificielle, surtout dans le secteur des services. Les seuls salaires qui pourront augmenter – même s’il n’y a aucun lien avec la méritocratie – vont être ceux des «managers», notamment dans les grandes entreprises transnationales.

Nul besoin d’être un économiste hétérodoxe pour comprendre que l’augmentation de ces salaires, ainsi que celle des profits, nuira à la croissance économique et, par là, au niveau d’emploi. Les personnes qui gagnent des salaires très élevés ont une propension à consommer plus faible que celle de la classe moyenne – qui est le vrai moteur de l’économie. La plupart de ces salaires sera en fait placée sur les marchés financiers, sans aucune retombée positive dans l’économie réelle. Même les bénéfices des entreprises sont en grande partie placés sur ces marchés, vu que la demande sur le marché des biens et services est insuffisante pour absorber toute la production, suite à la polarisation de la répartition des revenus vers le haut de la pyramide sociale et sans aucun effet de ruissellement vers la classe moyenne. La «quatrième révolution industrielle» péjorera davantage cette situation.

La prochaine crise économique est dès lors programmée, mais ce ne sera pas un ordinateur à pouvoir la résoudre.

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