Les non-dits de l'économie

Les illusions du «taux de chômage naturel»

Cinquante années se sont écoulées depuis que Edmund Phelps, secondé par Milton Friedman, lança l’idée (devenue un véritable dogme par la suite) de l’existence d’un «taux de chômage naturel» dans le système économique contemporain. Selon cette idée, de matrice néo-libérale, ni l’État ni la banque centrale ne doivent intervenir pour soutenir la demande sur le marché des produits, lorsque le taux de chômage se trouve à son niveau «naturel». Dans cette situation, selon la vision dominante en économie, toute intervention publique du côté de la demande induirait une augmentation du taux d’inflation sans pouvoir réduire le chômage à long terme (que cette vision attribue aux compétences inadéquates des personnes cherchant un travail rémunéré).

Au vu de l’impossibilité de mesurer le «taux de chômage naturel», que par exemple la Réserve fédérale estime à 5% dans le cadre de l’économie états-unienne, les économistes orthodoxes prétendent que l’État doive en tout cas éviter d’intervenir pour soutenir la demande globale, parce que son intervention à ce propos pourrait imprimer une pression à la hausse sur les prix à la consommation, empêchant la banque centrale de contrôler les attentes inflationnistes des agents économiques. Le coût final des politiques économiques qui agissent du côté de la demande serait dès lors toujours plus élevé que leurs prétendus bénéfices à court terme.

L’hypothèse de Phelps et Friedman est à l’origine, entre autres, des réformes structurelles qui visent à agir sur l’offre de biens et services par la déréglementation du marché du travail, afin de faire mieux correspondre l’offre et la demande sur ce marché. En d’autres mots, en éliminant les conventions collectives de travail et en encourageant la formation continue de la population active, selon la pensée dominante l’État serait en mesure d’assurer le plein-emploi au sein d’un système économique où la politique monétaire doit se limiter à garantir la stabilité des prix à la consommation à long terme. Ces conditions-cadre pourraient être renforcées si les finances publiques étaient gérées de manière à en assurer l’équilibre, empêchant l’État de s’endetter et réduisant les dépenses publiques à chaque fois que les recettes fiscales ne sont pas suffisantes pour équilibrer les comptes du secteur public.

En réalité, 50 années après les travaux de Phelps et Friedman – et après une trentaine d’années de politiques néo-libérales – l’on comprend bien que le dogme du chômage «naturel» est de nature idéologique car il vise à soutenir la doctrine du «moins d’État et plus de marché» sans aucune «évidence empirique» convaincante sur le plan factuel (au-delà des problèmes de caractère conceptuel et méthodologique que bien des économistes hétérodoxes ont mis en lumière encore récemment). Les décideurs politiques doivent par conséquent s’émanciper intellectuellement des économistes de la pensée dominante, s’ils veulent vraiment contribuer à éliminer le chômage de notre système économique. Dans le cas contraire, les crises économiques deviendront la nouvelle normalité du capitalisme financier.

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