Les non-dits de l'économie

Les dangers des bas taux d’intérêt

Le mois passé, une émission télévisée sur la chaîne allemande ARD a relevé le manque à gagner dont souffrent les déposants suite à la forte baisse des taux d’intérêt induite par les mesures de politique monétaire mises en œuvre par les banques centrales confrontées aux effets de la crise financière éclatée en 2008 au plan global. Pour l’Allemagne, cela se monterait depuis 2010 à 23 milliards d’euros ou à environ 280 euros par habitant.

Le sujet mérite d’être approfondi pour éviter des conclusions hâtives et simplistes, en porte-à-faux avec la réalité.

Il est indubitable que les personnes dont l’épargne est déposée dans le système bancaire gagnent moins d’intérêts lorsque le taux d’intérêt est revu à la baisse. C’est une tautologie. Or, si l’on adopte une perspective systémique, la conclusion doit être nuancée.

Tout d’abord, parmi les épargnants se trouvent des personnes de toute classe sociale, mais principalement des personnes aisées dont la richesse est surtout placée sur les marchés financiers ou dans le secteur immobilier (achat et location d’immeubles). Lorsque les taux d’intérêt diminuent, il s’avère que les prix des actifs réels ou financiers augmentent, suite au déplacement des patrimoines des dépôts bancaires vers les actifs qui rapportent davantage et à l’augmentation des emprunts pour acheter de tels actifs profitant de la réduction des taux d’intérêt débiteurs. Cela comporte donc un «effet de richesse» positif dont profitent surtout les personnes nanties et qui est en général plus important que le montant des intérêts auxquels elles doivent renoncer suite à la baisse des taux.

Cet engouement pour les placements financiers et l’achat d’immeubles exerce alors une forte pression à la hausse sur les prix des actifs réels ou financiers, comportant le risque d’enfler des bulles sur ces actifs qui fragilisent le système économique dans son ensemble (l’Histoire a bien montré cela, encore récemment):

–      les particuliers sont amenés à acheter des produits financiers dont ils n’arrivent pas à comprendre les risques, que même les vendeurs de ces produits ne connaissent pas et ne peuvent pas connaître car «l’avenir est inconnu et inconnaissable» (J.M. Keynes);

–      les caisses de pension sont également poussées vers la prise de davantage de risques sur les marchés financiers afin de capturer suffisamment de rentes financières pour payer les retraites à leurs assurés et bien récompenser leurs dirigeants;

–      les banques et les institutions financières non-bancaires sont elles-mêmes poussées à s’endetter pour profiter des bas taux d’intérêt et gagner des rentes financières exorbitantes (entendez qui dépassent largement le taux de croissance économique à long terme).

Somme toute, si le niveau des taux d’intérêt est trop bas, cela entraîne une mauvaise allocation des ressources et augmente l’instabilité, voire la fragilité, du système économique dans son ensemble. La répartition du revenu et de la richesse en est affectée, au détriment de la «classe moyenne» mais à l’avantage des personnes aisées, qui profitent de la baisse des taux d’intérêt pour s’enrichir encore plus.

En ce qui concerne l’Allemagne, par ailleurs, la politique monétaire de la Banque centrale européenne n’a pas simplement réduit les intérêts perçus par les épargnants: elle a évité que l’Allemagne réintroduise le Deutschmark (dont la forte appréciation du taux de change aurait bien pesé sur la conjoncture allemande par le canal de ses exportations) et en fait a donc profité aux Allemands beaucoup plus qu’elle les a lésés.

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