Les non-dits de l'économie

1:12 – où est le mérite?

L’initiative «1:12 – Pour des salaires équitables» a le mérite de mettre en question un axiome de la pensée dominante, selon lequel, dans une «économie de marché» (entendez que l’État se limite à fixer des «conditions-cadre» sans intervenir dans les activités), la rémunération de tout travailleur reflète sa propre «productivité». Il en serait ainsi, parce que le mécanisme du «marché» (à savoir, la «loi» de l’offre et de la demande) assure un échange entre équivalents, c’est-à-dire que chaque collaborateur d’une entreprise quelconque obtient de celle-ci une rétribution équivalant à ce qu’il lui apporte par son propre travail. Le marché réaliserait ainsi la méritocratie par des salaires équitables.

Il serait alors faux de s’opposer à la «loi du marché», parce que cela nuirait à la détermination de la «juste» rétribution et pourrait avoir des conséquences négatives pour l’ensemble de l’économie, en particulier pour l’expansion des activités, l’augmentation du niveau d’emploi et l’équilibre des finances publiques (y compris les assurances sociales). En clair, le plafonnement des très hauts salaires selon la règle de 1 à 12 serait non seulement néfaste, mais absolument injustifié en termes économiques.

En fait, dans le cas des hauts dirigeants des entreprises (comme dans beaucoup d’autres cas, notamment au sein du secteur des services), il est objectivement impossible de mesurer la «productivité» individuelle pour deux raisons essentielles. D’une part, les activités des managers étant immatérielles, il n’y a aucune possibilité objective de mesurer le résultat de leur propre travail par unité de temps (une journée, un mois, un trimestre ou une année entière). D’autre part, l’activité de n’importe quel dirigeant, même le soi-disant «meilleur», n’aboutirait à rien sans l’apport d’autres individus au sein de l’entreprise (voire même au-delà de celle-ci).

La clé de répartition du résultat de l’activité économique, voire de ses bénéfices, n’est dès lors pas tributaire d’une «loi du marché» dans la réalité des faits, mais de rapports de force entre les parties prenantes. L’initiative «1:12» vise à limiter les déséquilibres entre ces rapports de force sur le «marché du travail» – où les parties contractantes ne sont pas sur un pied d’égalité, comme le voudrait la «loi» de l’offre et de la demande – pour rapprocher notre système économique d’un régime méritocratique. Elle devrait donc être plébiscitée par les tenants d’une «économie de marché» le 24 novembre prochain…

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