Les banquiers d’antan avaient une devise très simple à la base de leur succès: «know your customer» («connaîs ton client»). La connaissance personnelle de la clientèle bancaire assurait à la fois la réputation de la banque en ce qui concerne la provenance des capitaux qui lui étaient confiés et la solvabilité des personnes (physiques ou morales) auxquelles elle avait décidé d’ouvrir des lignes de crédit (hypothécaire, par exemple).
Ces banquiers avaient intégré dans leurs pratiques professionnelles la sagesse populaire que Jean-Paul Getty (un milliardaire dans l’industrie du pétrole) a résumée de manière cynique mais honnête: «si vous avez emprunté 100 dollars à une banque, c’est votre problème, mais si vous avez emprunté 100 millions de dollars à une banque, c’est elle qui a un problème».
Cet acquis de la profession bancaire a été oublié de manière volontaire par un nombre croissant d’acteurs à partir des années 1980, suite à la globalisation, libéralisation, déréglementation et «informatisation» des activités financières dans les pays «avancés» sur le plan économique. La crise globale et «systémique» éclatée en 2008, après la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers aux États-Unis, donne l’«évidence empirique» des tenants et des aboutissants de ces phénomènes, sur lesquels il est impératif de réfléchir afin d’éviter des crises similaires à l’avenir.
L’une des causes de la crise financière née sur le marché hypothécaire états-unien dans les années 2000 tient à l’octroi de crédits à travers les sites Internet des intermédiaires financiers de tout genre. Cette activité, en soi légitime, voire même utile pour le développement, a rapidement été exploitée pour extraire des rentes financières à très court terme par l’octroi de crédits hypothécaires à des personnes démunies de revenus et n’exerçant aucune activité professionnelle (appelées «Ninja» dans la littérature économique). En effet, il n’y avait aucun contrôle humain des informations insérées par bien des emprunteurs sur le site Internet par lequel l’institut de crédit concerné octroyait un prêt hypothécaire à ceux qu’il a été convenu d’appeler les débiteurs «subprime» (entendez ceux dont l’historique est parsemé de retards dans les paiements de leurs obligations financières).
Quelque chose d’analogue pourrait avoir lieu en Suisse, si les bailleurs de fonds sur le marché hypothécaire helvétique décidaient d’adopter la stratégie annoncée par la Banque cantonale de Zurich (début 2013) et que la Banque Migros a lancée le 11 mars en ce qui concerne l’octroi de crédits hypothécaires par Internet. Selon le porte-parole de la plus grande banque cantonale, «dans l’octroi d’hypothèques on-line, le client introduit ses données personnelles ainsi que celles de sa propre maison. Cela permet à la Banque cantonale de Zurich d’offrir à ses clients des conditions intéressantes» et de gagner ainsi des parts du marché hypothécaire au-delà de son territoire cantonal.
L’Histoire dira si cette «innovation financière» est un facteur de progrès social ou d’instabilité économique. En l’état, l’histoire des banques cantonales révèle que, dans la plupart des crises ayant frappé ces banques, il s’est avéré que le taux de défaut des emprunteurs situés hors-canton a été plus élevé que celui des débiteurs résidant dans le même canton. Quod erat demonstrandum: «know your customer»!