Les non-dits de l'économie

Des taux d’intérêt négatifs en Suisse?

Le spectre de l’introduction de taux d’intérêt négatifs est réapparu en Suisse, avec la récente modification des conditions générales pour la clientèle de la Banque cantonale de Zurich, après l’annonce par UBS et Credit Suisse que de tels «frais de crédit» pourraient être prélevés aux gros clients institutionnels qui déposent leurs liquidités à très court terme auprès de l’une ou l’autre des deux grandes banques en Suisse.

L’introduction de ces commissions serait justifiée par les taux d’intérêt légèrement négatifs sur le marché interbancaire et pour les obligations de la Confédération à court terme. Elle est également considérée utile afin d’exercer une pression à la baisse sur le taux de change du franc suisse dont la survalorisation réduit les recettes en monnaie nationale des entreprises helvétiques qui exportent une partie importante de leur production, notamment dans la zone euro.

Si les ménages suisses devaient être appelés à payer des frais pareils sur leurs dépôts auprès des banques, il y aurait vraisemblablement un risque accru d’instabilité financière au sein de l’économie nationale. La clientèle privée des banques suisses serait en effet amenée à accroître la part de son patrimoine placée en titres financiers de toute sorte, afin de gagner par ce biais, dans le meilleur cas de figure, les rendements auxquels elle doit renoncer en payant un taux d’intérêt négatif sur ses dépôts bancaires.

Les banques en Suisse pourraient ainsi comptabiliser des revenus plus élevés, afin d’augmenter leurs profits et, par conséquent, également la rémunération de leurs dirigeants ainsi que les dividendes versés à leur actionnariat: d’une part, l’écart entre les taux d’intérêt payés par leurs débiteurs (emprunteurs) et ceux versés à leurs créanciers (déposants) serait accru et, d’autre part, le montant des commissions prélevées à leur clientèle pour la gestion de fortune enflerait au fur et à mesure que cette clientèle transforme ses dépôts bancaires en produits financiers.

Dans ce cas, la dépréciation du taux de change du franc suisse serait davantage tributaire de l’instabilité financière résultant de ces choix de portefeuille et de la redistribution du revenu des ménages suisses au profit des actionnaires et des dirigeants des banques, que du prétendu mérite de l’introduction d’un «taux d’intérêt négatif» pour les dépôts de la clientèle.

Il existe une solution meilleure pour dévaloriser le franc suisse sur les marchés de change: l’introduction d’une «taxe Tobin» (de 0,05 pour cent) à faire payer aux acheteurs de francs suisses sur ces marchés. L’effet d’annonce serait beaucoup plus important dans ce cas qu’avec des taux d’intérêt négatifs et l’instabilité financière serait réduite plutôt que d’être aggravée au détriment de l’ensemble de l’économie suisse.

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