C’était il y a 25 ans, le 2 juin 1997, lors de la guerre civile en Sierra Leone, sur la péninsule d’Aberdeen à Freetown. 20 hommes du commando de Montfort, sauvaient d’une mort certaine, plus d’un millier de personnes, toutes religions confondues : l’Opération Espadon voyait le jour. Aucun média n’a fait mention de cette opération militaire qui est tombée dans les oubliettes de l’Histoire.
Ces soldats dont je fis partie, avaient été envoyés sur place pour évacuer des ressortissants étrangers (dont quelques suisses), qui fuyaient le pays. Ces personnes furent rapatriées sur l’aviso Jean Moulin et la FS Germinal pour être débarquées à Conakry, en Guinée.
Mémoires d’un ancien soldat
Il y eut toute la journée un ballet nautique incessant des embarcations commandos afin d’acheminer les ressortissants et les évacuer vers les navires militaires français.
Il y avait des hommes et des femmes de tous âges, des enfants. Certains hurlaient, d’autres pleuraient, tous appelaient à l’aide. C’étaient des êtres apeurés, angoissés, terrifiés et pour certains traumatisés.
Les rebelles souriaient sachant que les commandos ne pourraient pas évacuer tout le monde.
L’opération était censée durer toute la journée. Les autorités avaient négocié un cessez-le-feu, mais tout le monde était sur le qui-vive, à l’affût du moindre danger. La tension était de plus en plus palpable. Presque à tout moment, on pouvait lever les yeux et apercevoir les rebelles.
Une violation du cessez-le-feu pouvait survenir à tout instant mettant en péril la vie de tous les civils ainsi que celle des vingt bérets verts.
Arrivés au terme de la journée, après avoir sauvé quelque 1 000 ressortissants européens et africains, nous quittâmes le rivage de Freetown en ayant rempli deux bâtiments de la Marine nationale. Nous laissions derrière nous une foule immense qui semblait avoir grossi malgré notre travail.
Mais que représente une vie ?
Bien peu de chose pour certains individus. Pour nous, en revanche, cela représentait l’essence même de notre existence.
Une fois les armes silencieuses, c’était emplis d’espoir que nous envisagions les retrouvailles avec notre pays.
Les mois passèrent et devinrent des années. Plus de vingt années se sont écoulées depuis les évènements.
Le temps de l’action révolu, s’ouvrait celui de la réflexion. Le destin s’est acharné sur quelques-uns d’entre nous qui payèrent le prix fort. Il y a eu un avant et un après.
Quel que soit le bien-fondé de ces missions, rien ne nous avait préparés à l’horreur de cette guerre dévastatrice dont nous avions été les premiers spectateurs. Rien ne serait plus comme avant. Seules nos pensées tumultueuses semblèrent nous ramener à la réalité. Certains y ont laissé leur âme.
Et tout cela pour quoi ? Pour qui ? En définitive, nos valeurs profondes et notre héroïsme avaient été utilisés pour le compte de multinationales. Nous avions été valorisés par la machine jusqu’au point où elle n’avait plus eu besoin de nous.
Nous devions apprendre à vivre avec ce que nous avions vu quand d’autres devaient vivre avec ce qu’ils avaient fait.
Nous n’avions que vingt ans et pétris de bons sentiments, nous n’avions pu deviner la mascarade des élites qui avaient créé des illusions afin que des jeunes comme nous acceptent d’aller jusqu’à l’ultime sacrifice du don de soi. Ainsi, justifiaient-ils leur rôle.
Pour en savoir plus : Honneur de Serge Kurschat
