L’histoire au pluriel

L’incroyable destin du médecin Pierre Brugere

Même si pour le commun des mortels, ce nom n’évoque pas grand-chose, Pierre Brugere est un héros des jours sombres qui s’est illustré en mettant toute son énergie à sauver de nombreuses vies au péril de la sienne. Ses faits d’armes lui auraient pourtant valu une petite place dans l’Histoire.

 

Un “devoir de mémoire” est aussi un devoir de vérité

 

Pierre, Marie, Ernest Brugere né le 24 janvier 1911, à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), a trois ans lorsqu’il devient pupille de la nation.

Son père est tué le 25 aout 1914 pendant la bataille du Grand Couronné ou « bataille de Nancy », épisode souvent oublié de l’été 1914.
Cet événement douloureux aura un impact sur sa décision de devenir quelques années plus tard, un médecin militaire et un officier d’élite à la destinée singulière à plus d’un titre..

Il poursuit ses études et à peine sorti de la Faculté de médecine, son doctorat de médecine en poche, le 11 décembre 1935, il rallie Toulon les premiers jours de Janvier pour suivre les cours de l’école d’application à Sainte-Anne. Afin de pouvoir pratiquer la médecine et voyager, il choisit Santé Navale à Bordeaux.

L’histoire commence le 3 mai 1940, au cours de la campagne de Norvège, lors d’un raid impliquant une quarantaine d’avions allemands, le contre-torpilleur Bison, un bâtiment de 130 mètres de la classe Guépard, est touché par une bombe, qui traverse la passerelle et explose dans une soute à munitions. Le bâtiment coule dans le fjord de Namsos avec 130 de ses 264 membres d’équipage :

 

Tout le monde saute à l’eau sur l’ordre d’OUDIN, il ne reste plus que lui et moi. Après un dernier regard pour contrôler qu’il ne reste plus de blessés à bord, je jette ma casquette à l’eau, je fais un signe de croix, et je me jette à la mer. Je m’éloigne du bord à la nage ; des flammes sortent de l’extrême arrière. Je n’ai pas trop froid, j’ai gardé tous mes vêtements, mais je m’aperçois du poids de mes bottes, qui sont très difficile à enlever. Je finis par être repêché par une baleinière du “GRENADE”, il s’y trouve un matelot qui gémit et claque des dents. Pierre Brugere, Souvenirs de campagne.

 

Crédit photo Pierre Brugere

Cet acte de bravoure héroïque, Pierre Brugere l’a gardé pour lui, sa famille en ignorait même l’existence avant de tomber par hasard sur un livre rassemblant des photos et des informations sur les survivants.

Ma mère, qui se trouvait à Bizerte, apprenait par cette même radio que le “BISON” avait été coulé, et ce n’est que quelques jours plus tard, qu’elle a su par un télégramme d’un officier général du Ministère, que je ne figurais pas parmi la liste des disparus. Pierre Brugere, Souvenirs de campagne.

 

Crédit photo : Pierre Brugere

 

L’INDOCHINE

 

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le médecin de 1re Classe Brugere se porte volontaire pour toutes les missions les plus périlleuses, et ce, dès l’arrivée du Corps Expéditionnaire en Indochine.
Sa parfaite connaissance du pays et des affections tropicales lui permet d’économiser au maximum le potentiel humain qui lui est confié. Il contribue ainsi à la libération de Saigon et de ses environs immédiats ; dans les commandos et en particulier, avec les parachutistes du S.A.S.B Groupement Autonome Ponchardier, il va participer à la campagne de Cochinchine et à la libération de plusieurs villes, telles que Mytho et Vin Long.

En effet, dès la préparation du Corps Expéditionnaire du Tonkin, il se porte volontaire pour rejoindre la formation de la Brigade Marine Extrême-Orient, qui monte vers le Nord. Il part avec le 3e escadron du Régiment Blindé de Fusiliers-Marins.

L’Armée japonaise occupait alors de manière pacifique le territoire d’Indochine et était installée dans les bases stratégiques.

 

Prisonnier de guerre

 

Toutefois, le 9 mars 1945, après l’effondrement du régime de Vichy et l’approche de la fin de la deuxième guerre mondiale, les japonais attaquent avec brutalité les garnisons françaises d’Indochine. Au cours de ce que l’on a appelé « le coup de force des japonais », de nombreux militaires français de tous grades furent tués, torturés ou faits prisonniers dans les camps de la mort par la Kempeitaï, la «Gestapo japonaise», alors que certains parviennent à s’enfuir sous la conduite du général de division Marcel Alessandri, prenant le nom de colonne Alessandri, pour rejoindre la Chine.

Capturé et torturé en mars 1945 par les Japonais, Pierre Brugere fit l’admiration de ses compatriotes par son inlassable dévouement auprès d’eux; tous ses compagnons de captivité, qu’ils soient de la Marine, ou des autres armes, officiers ou hommes de troupe furent unanimes à vanter ses qualités exceptionnelles. Il se distingue notamment en prodiguant ses soins à de nombreux blessés sous de violents tirs.

Pendant ces mois de captivité, il a su maintenir bien haut le prestige du Médecin de la Marine nationale française et aura un comportement extraordinaire, puis en captivité il soignera tous les blessés au mépris du danger.

 

Crédit photo Pierre Brugere

 

Quelques mois après sa libération, en 1946, lors du combat de Haiphong, Pierre Brugere est à bord du Bearn; il se dévoue sans compter auprès de nombreux blessés, qui affluent sur le bâtiment transformé en navire-hôpital. Depuis son arrivée au Tonkin, non seulement il conquiert l’estime, mais fait également l’admiration de toute la Brigade par sa valeur, son énergie et son enthousiasme.

En mai 1946, après 5 ans de séjour en Indochine, Pierre Brugere, viens d’être rappelé à Saigon, en vue de son rapatriement vers la France.

 

Retour au pays

 

De retour en France après avoir survécu à l’enfer, il ramène avec lui un compte-rendu personnel qu’il nomme Souvenirs de campagne. C’est un journal qu’il avait rédigeait au fil des jours. Il exposera de façon intime et personnelle la brutalité de la guerre, racontant son amertume quand il ne pouvait pas sauver une vie ainsi que sa lassitude en dénonçant l’absurdité de la guerre.

Le 1er Décembre 1946, Pierre Brugere est affecté à l’école TER à Porquerolles ; puis, au début de 1947, il est désigné comme assistant de médecine à l’hôpital Saint-Anne. Un jugement a été porté par un officier sur l’internement de ces mêmes officiers par les japonais.

« à côté de dévouement, à côté d’acte de charité, et d’entraide souvent anonyme ; l’internement devait aussi et surtout, révéler de biens mauvais côtés de l’âme humaine : le vernis de la politesse et de l’éducation, craquait chez certains, en face des exigences de la survie. Bien des notes d’égoïsme se manifestaient au grand jour, chez des personnes estimées jusque-là pour leur urbanité et leur amabilité. Réactions souvent imprévisibles, et pas toujours belles à voir ; celles de l’homme primitif, prêt à tout pour sa survie : penser à soi avant de penser aux autres, fut plus souvent le cas que l’inverse».

Le 15 mars 1948, il est promu médecin principal.

Il décide de quitter la Marine en 1966, afin que ses enfants puissent continuer leurs études sur Paris, et devient médecin du travail en région parisienne au Service Médical Interentreprises de La Banlieue Sud-Ouest, Issy-les-Moulineaux. En parallèle, il suit des cours du soir pour devenir acupuncteur. Reçu avec mention « Excellent », il ne pratiquera finalement que pour ses amis et sa famille.

Pierre Brugere, cet illustre inconnu, est décédé en juillet 1991. l’Asie l’avait marqué à jamais…

Crédit photo : Philippe Brugere

Son parcours de médecin militaire aux actions héroïques donnera lieu à de nombreuses décorations :

– Chevalier de la Légion d’Honneur du 10 octobre 1946 (faits de guerre)
– Citation à L’Ordre de la Division (mai 1940)
– Chevalier du Dragon d’Annam
– Chevalier de l’Ordre Royal du Cambodge (Décret du 17 Décembre 1942)
– Médaille commémorative Norvégienne- Fourragère (Croix de guerre 1939-1945) à titre individuel (23 août 1946)
– Médaille Coloniale avec Agrafe- Extrême-Orient (9 mai 1947)

 

 

 

 

 

 

Sources : Mme Dorothée Poulain-Brugère

Mr Michel Zannelli, président de l’association du souvenir Amiral Pierre Ponchardier

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