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Ouverture nocturne : zéro valeur ajoutée !

Nous voterons le 22 septembre sur la libéralisation des horaires d’ouverture des shops de stations-service. Alors, ça vaut la peine ? On peut voter là-dessus en se basant sur nos valeurs personnelles, mais on peut aussi se poser la question de l’apport économique d’une telle mesure. Voici une petite analyse économique de la question.

Comprendre les coûts

Au fait, on peut prendre la question sous deux angles différents. D’abord, on peut se poser la question de la valeur ajoutée économique. En d’autres termes, est-ce que de vendre plus de produits dans les shops la nuit va créer de la valeur, de l’argent. La seconde question est la plus fondamentale pour les économistes : celle de l’utilité. Sera-t-on globalement plus heureux avec cette mesure ?

Ce qu’apporte la mesure

Il est indéniable que cette mesure changerait certaines données financières. Par exemple, plus de produits frais seraient vendus la nuit à toute heure, ce qui augmenterait le chiffre d’affaires de nuit des stations service. Aussi, des salaires supplémentaires seraient versés la nuit, puisque l’augmentation de l’assortiment causera une augmentation (probablement assez légère) des coûts logistiques, et des présences (plus de stations pourraient être incitées à ouvrir leur shop plus longtemps). La rémunération horaire de ces salaires est souvent plus élevée que de jour. Les consommateurs dépenseraient moins d’argent le jour. C’est mécanique, puisqu’ils peuvent acheter des choses de nuit plus tard, ou alors car ils ont déjà dépensé la nuit leur argent. Enfin, les marges de profits des entreprises comme les stations-service sont différentes de celles d’autres acteurs économiques, et probablement que leurs profits augmenteront.

Ce que coûte la mesure

Le problème de tous ces apports, c’est qu’ils sont mécaniquement compensés. En effet, la vente la nuit ne produit rien. Il s’agit juste d’opérer des transactions, pas de créer de la valeur. Ainsi, cette loi ne crée pas de valeur monétaire, mais la répartit simplement autrement. Les ventes de jour diminueront mécaniquement. D’ailleurs, ce qui profite aux stations-service coûtera aux commerces locaux qui ne peuvent ouvrir la nuit. Evidemment, une partie du personnel travaillant le jour sera réorienté la nuit : comme on ne crée pas de valeur supplémentaire, pour être rentables, les opérateurs n’engageront pas de personnel en plus. S’ils en engagent, c’est que d’autres commerces de jour auront dû fermer car la clientèle s’est déplacée. Enfin, les gens dépenseront plus d’argent la nuit pour ces achats. Souvent, le rapport qualité-prix dans les stations-service est moins bon qu’ailleurs, et les coûts logistiques personnels ou des entreprises pour nous permettre ces achats à tout moment sont élevés.

Donc comme il n’y a pas de production supplémentaire, il n’y a pas de vraie valeur ajoutée. Mais dans l’ensemble, que dire de la mesure du point de vue humain ?

Rendre tout le monde plus malheureux

Au niveau du travail, il n’y a pas photo. Normalement, les salaires versés devraient être équivalents au total, puisque la vente la nuit ne produit rien de plus. Par contre, le travail de nuit est plus pénible que le travail de jour, pour toutes les personnes impliquées, et plus compliqué logistiquement. Du point de vue du travailleur, il est évident que c’est une mesure détestable, puisqu’il a plus de chances de se faire imposer des horaires désagréables. Certes, il y a des corps de métier à qui l’on impose cela. Certes, les policiers travaillent la nuit, ce qui n’est franchement pas évident. Mais considère-t-on qu’acheter une saucisse à 4h du mat est aussi important que notre sécurité ? Enfin, n’oublions pas qu’à cause des coûts logistiques et de transports et des profits, l’achat de nuit est plus cher que l’achat de jour. En achetant plus la nuit, nous diminuerons encore plus nos achats de jour. Globalement, nous pourrons moins profiter de biens et services pour la même somme d’argent. C’est vrai que c’est un peu plus embêtant de planifier un peu, mais honnêtement, c’est à notre portée.

Tout à un prix

En réalité, il y a des millions de choses que l’on veut. Mais elles ont toutes un coût pour la société. Il faut se poser la question de savoir lesquelles des choses dont on a envie valent la peine. Je peux comprendre que pouvoir acheter de l’essence à 3 heures du matin peut-être utile, que de pouvoir appeler la police ou les pompiers est important, ou que de pouvoir se faire soigner est primordial. Je suis d’accord que des gens sacrifient leurs nuits pour nous car la société a ces besoins (et je crois que nous ne sommes pas assez reconnaissants avec le travail pénible). Mais franchement, je ne ferai pas payer à la société le fait que j’ai envie d’un sandwich thon-mayo à 3h40, que je ferai 3 km en voiture pour aller acheter…

A lire également, le billet de Jacques Neirynck, "Saucisse fraîche ou saucisse sèche?"

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