L'oeil du Paon

La « connard-attitude », nécessaire pour faire carrière ?

D’accord, le libellé est un brin provocateur, mais ce coup de gueule s’appuie sur une observation récurrente : Dans le cadre de l’entreprise, lorsqu’il s’agit d’avancement, ce sont uniquement les qualités de pure performance qui priment sur toutes les autres, dites plus « humaines », pour ne pas dire plus « faibles » …

D’où ma question : pourquoi la performance et uniquement la performance, à l’heure de « l’humanisation » de l’entreprise ? La faute au « court-termisme » favorisé par le mode de comptabilité des grandes entreprises, qui ne voient pas au-delà du bout de leurs objectifs et chiffres trimestriels ? Mais ce ne peut être l’unique réponse, toutes nos entreprises n’étant pas cotées en bourse…

J’ai visionné en ce dimanche soir pluvieux une vidéo de l’excellent entrepreneur conférencier Simon Sinek, auteur de « Start with why ». (Votre moteur de recherche favori le trouvera pour vous en deux clics…).

Il y est question de la notion de performance vs. celle de loyauté ou de confiance. Dans la plupart des organisations, on a mis en place des systèmes de mesure qui tiennent uniquement compte de la performance, logiquement mesurée à l’aune d’indicateurs très factuels, chiffrables, par essence plus quantitatifs que qualitatifs. Exit, la loyauté vis-à-vis de l’entreprise, au revoir la confiance dont on bénéficie auprès de ses collègues ou même de ses clients, de ses fournisseurs… Données non mesurables, passez votre chemin !

La collaboratrice ou le collaborateur idéal/e, cadre ou pas, devrait conjuguer une excellente performance à une loyauté absolue envers l’entreprise, tout en bénéficiant de toute la confiance de ses collègues. La perle !

Mais force est de constater que dans le fonctionnement actuel, on aurait tendance à ne promouvoir que le plus « performant », quitte à fatiguer ou pire, démotiver le reste des employés et donc, au final, à affaiblir l’organisation entière.

Car oui, dans la vraie vie, si on demande aux collaborateurs d’une équipe dans une entreprise de désigner le « connard » du groupe, la majorité va généralement pointer la même personne. Or, il se trouve que cette personne est souvent celle qui grimpe le plus vite dans la chaîne alimentaire. Ses caractéristiques ? Plus ou moins compétent selon les cas ; performant, certes, mais aussi un peu arriviste, sans trop de scrupules, modéré en termes d’empathie voire égoïste ou imbu de sa personne. Attention, je n’ai rien contre une saine et même une forte ambition ou l’envie d’avancer et de réussir, mais si cela passe par « marcher » sur tous ceux qui sont sur votre passage, la vraie valeur ajoutée pour l’organisation risque de n’être qu’éphémère.

L’inverse est vrai également, si vous demandez à la même équipe quelle est la personne en qui ils/elles ont le plus confiance et considèrent comme le/la plus compétent(e) dans un groupe, les votes vont immanquablement se porter sur une personne, parfois plus modeste, ou ayant choisi de ne pas gravir les échelons, mais qui présente, sans avoir besoin de faire campagne, les qualités réelles du leader, à savoir crédibilité, respect, confiance. Vous savez, cette personne avec qui on a l’envie de travailler.

Là où le bât blesse ? Des méthodes et des processus inadaptés. Depuis la sélection des dossiers des candidats pour un poste à pourvoir, dont le premier tri se fait par mots clés, passant ainsi à côté de candidats au profil peut-être atypique, mais qui pourrait être plus pertinent, jusqu’aux entretiens d’embauche trop souvent stériles, soutenus par des tests standardisés visant au « stéréotypage » et qui ne mettront pas en valeur les compétences humaines du candidat, qui doit impérativement entrer dans une des cases à disposition.

Une fois engagé/e, on aura affaire à d’autres « cases », des formulaires de qualification avec des échelles, par exemple de A à D. Et comme interlocuteur le supérieur hiérarchique, parfois un de ces parfaits petits chefs évoqués plus haut. On ne tient que trop rarement compte des qualités « uniques » d’un collaborateur, de ses compétences dans le cadre d’une équipe, des retours de ses collègues ou de ses clients.

Il m’est arrivé par le passé, en tant que responsable des ventes, d’être amenée à choisir, parmi les apprentis sortants, celui à engager pour les équipes que je dirigeais. Souvent, je ne choisissais pas forcément ceux qui avaient les meilleures notes ou l’ambition la plus visible, mais plutôt ceux qui avaient fait preuve d’une bonne attitude et qui étaient très appréciés par leurs collègues. Ces choix atypiques, que j’ai dû défendre le plus âprement face à mes responsables RH, se sont au final révélés les plus pertinents sur le long terme.

Aujourd’hui, j’accompagne différentes personnes -pourtant actives et compétentes- qui ont fait un ou plusieurs burn-outs, qui en sortent ou sont en train de tomber malades à cause des (dys-)fonctionnements que je dénonce ici.

Vous me direz que si on veut appliquer cette vision-là de manière conséquente, il faudrait alors changer aussi les membres des comités de direction, des conseils d’administration, voire même les actionnaires ? Bien entendu, oui, la qualité d’une gouvernance se décide généralement déjà à la tête d’une entreprise. Faire le choix d’une politique différente en matière de promotion et d’avancement peut se refléter négativement sur les résultats à court terme. Mais si on regarde les dégâts humains et financiers qui sont engendrés à moyen et long termes lorsque seule la performance fait office d’alpha et d’oméga, l’investissement sur l’humain et la prise en compte de l’ensemble des qualités d’un/e collaborateur/trice s’avère bien plus rentable, même si on n’a pas encore inventé la façon de le mesurer.

Et c’est peut-être mieux ainsi, d’ailleurs…

Sabrina Pavone

 

PS: Ici le lien sur la vidéo de Simon Sinek évoquée plus haut. En anglais toutefois 😉

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