Deux livres et un voyage en Andalousie m’ont permis de traverser ce turbulent été 2016 avec une pointe de lucidité et d’ironie.
Je vais commencer par le voyage, car c’est celui qui m’a le plus fait rêver.
Au temps de Al-Andalus l’Europe savait apprivoiser ses différences
On apprend, ou, du moins, on apprenait, dans le cours d’histoire générale à l’école que l’Andalousie est cette région de l’Europe qui a connu la culture musulmane au plus près et qui, de nos jours, est un bel endroit touristique à visiter, car il garde les traces d’une civilisation qui fut vaincue par La Reconquista des Rois Catholiques d’Espagne. Si on est bon avec les dates, on retient même l’année 1212, quand la bataille de Las Navas de Tolosa a marqué le tournant de la glorieuse marche chrétienne contre les musulmans…
En fait, rien de ce qu’on apprend à l’école et aucun des échos orchestrés par les gardiens de l’histoire d’Espagne et d’Europe depuis des siècles, ne prépare le voyageur visiteur au paysage et messages débordants de récits et prouesses qu’on retrouve à Grenade, Séville et Cordoue. C’était peut le contrecoup du Brexit et l’omniprésence de la question des réfugiés qui accompagnent le quotidien, ou peut être juste la magnificence de l’Alhambra et de « la Mesquita » de Cordoue, mais pendant quatre jours je n’ai eu devant moi que des images qui montraient que l’Europe à son meilleur est une Europe « impure » : faite de sculptures Mudejares, vieilles villes juives et autels chrétiens nichés dans des mosquées centenaires ; bâtie en marbre italien ciselé avec des techniques mauresques, peinte par Velazquez et ornée par du lapiz lazuli d’Asie Centrale ;
Cette Europe andalouse fleurit en triomphant des préjugés, démontre que le génie ne réside pas dans l’obstination de la pureté de sang et de race et, victoire suprême – bien qu’éphémère – dissuade même les conquistadores catholiques de poursuivre avec leur destruction : lors de la prise de l’Alhambra en 1492, les Rois Catholiques et leurs
600 cent ans plus tard cette floraison culturelle reste l’un des affaires les plus
De l’internet des choses à l’internet de nous…
La différence et le fait que nous ne savons plus quoi faire avec est aussi un des thèmes d’un des deux livres qui flanquèrent mon voyage estival. Ecrit par Michael Patrick Lynch – professeur de philosophie à l’Université de Connecticut – il porte le titre « The internet of us – Knowing more and understanding less in the age of big data ». C’est un traité intelligent et lucide qui met le lecteur en face d’une lourde réalité : malgré son pouvoir de connexion et rassemblement, internet reste une force de division en ce qui concerne
Car ce que le philosophe démontre est que, bien plus que la presse à imprimer, internet est une technologie équivalente à l’écriture elle même, dans les changements qu’il provoque dans notre rationalité et nos raisonnements. Ainsi, non seulement cela déshabitue les gens d’aller vérifier par eux-mêmes la véracité des faits et des informations qu’ils croisent, mais rend les faits plausibles et véridiques juste parce qu’ils sont téléchargeables ! La réalité que nous naviguons s’éloigne à pas de géant de l’idéal d’objectivité et validité prôné par la science, pour devenir une mer balisée de « je crois que », « il me semble que », « j’ai le sentiment que… ». Religions, impressions et intérêts personnels s’entremêlent, troublant les frontières du subjectif, des idées reçues et des réalités du terrain.
De l’alphabet et des déesses
En affirmant qu’internet change la perception de la réalité autant que l’écriture l’a fait et continue de le faire dans son temps, Lynch rencontre et entre dans une conversation avec Léonard Shlain, chirurgien et écrivain, qui en 1998 écrivit un best-seller, « Alphabet and the Goddess ». Dans cet ouvrage le médecin-philosophe explore – de façon provocatrice et convaincante – l’hypothèse selon laquelle, en faisant travailler l’hémisphère gauche du cerveau beaucoup plus que la droite, l’écriture et l’alphabétisation ont amené ensemble avec leurs nombreux bienfaits, aussi un dénigrement des valeurs associées avec l’hémisphère droite du cerveau, à savoir, un regard holiste sur le monde, la créativité artistique, les images, la féminité et l’attitude nourricière, la communion avec la nature, qui, le long de l’histoire, ont donné naissance à des cultures plus inclusives et égalitaires, quand l’espèce humaine leur a laissé la chance.
Véritable tour de force de l’histoire universelle et de ses mythes, le livre de Shlain interpelle une certaine corrélation et périodicité entre la perte de leurs droits par les femmes (qui ne fut pas toujours le cas le long des siècles de par le monde), les avancées de l’écriture et de l’alphabétisation et une recrudescence de la violence dans toutes les civilisations de cette planète. On y trouve même un épisode très intéressant (que je reprendrai dans un article séparé), sur l’époque de Jean Calvin à Genève, caractérisée par une prolifération de l’alphabétisation, une censure meurtrière, une sévérité extrême envers les femmes et une culture de la délation encouragée par le grand homme lui même, au nom du devoir envers la foi protestante. Avec une minutie extrême, Shlain trace ce type de corrélation jusqu’à nos jours. Malheureusement, 1998 était encore l’ère de l’enfance d’internet, et il conclut son livre sur une note optimiste concernant l’avenir, qui, selon lui, re-introduirait l’importance du visuel, de l’image et consoliderait les acquis des droits des femmes.
Presque 20 ans plus tar
Au début de son livre, Léonard Shlain proposait l’idée que la culture était ce que l’évolution avait trouvé de mieux pour pallier au fait qu’à la naissance, les êtres humains sont les plus démunis d’instincts de survie et d’intelligence parmi les espèces animales. C’est en grandissant au milieu d’un tissu de pratiques, normes et valeurs que l’intelligence de la parole et de la communication se développe et donne à l’homme son génie. Si on s’obstine à les ignorer, voire à les détricoter et à les détruire, nous resterons au bout du compte, comme des exo-squellettes de mouches desséchées, suspendues dans la toile géante d’une invisible araignée mécanique.
