La Suisse et le monde

Après l’Ukraine, Taïwan?

Les bruits de bottes, ou plutôt de canonnières, se renforcent autour de Taïwan. L’enlisement de la Russie en Ukraine fait encore hésiter Xi Jinping d’envahir l’île rebelle. Mais il y a peu de doute que la menace se précise.

Le crime impardonnable : que Taïwan existe

Pour Poutine, l’Ukraine n’est pas un peuple mais une province dissidente, dont le crime impardonnable est d’avoir choisi démocratiquement de vivre en démocratie. Dans son livre paru l’an dernier chez Taillandier, « Taïwan face à la Chine », Valérie Niquet, spécialiste de l’Asie à la Fondation pour la recherche stratégique de Paris, souligne à quel point il est insupportable pour la gouvernance chinoise d’»être défiée, dans sa propre aire culturelle, par le modèle démocratique taïwanais ». Le parallèle saute aux yeux.

L’existence d’un Etat de droit et démocratique à 150 km de ses côtes « démontre qu’un système politique fondé sur les principes démocratiques est aussi adapté au monde chinois qu’à l’Occident « souligne l’auteure: Taïwan oppose un démenti quotidien à la fable des dictateurs affirmant que les droits humains et la démocratie seraient une imposture de l’Occident.

Taïwan est-elle vraiment chinoise ?

Certes suite à diverses vagues d’immigration, dont celle du repli des armées de Tchang-Kai-Chek sur l’ile en 1949 n’est que la plus récente, Taïwan, baptisée naguère Formose par les Portugais – Ilha formosa, Ile belle, a aujourd’hui un peuplement largement chinois. Mais ce seul critère ne saurait suffire, tant les Chinois ont essaimé à travers l’Asie du Sud-Est.

L’affirmation que Taïwan appartient à la Chine est à peu près le seul point de convergence entre les nationalistes défaits et les maoïstes triomphants, les premiers rêvant de reconquête du continent, les seconds de rattacher Taïwan à la “mère patrie”. Sans jamais demander, ni les uns ni les autres, à aux populations locales ce qu’elles en pensaient.

Après l’avoir administrée d’une main de fer durant 40 ans, les anciens combattants ont finalement cédé la place à une alternance du pouvoir, une pleine liberté d’expression et un Etat de droit fonctionnel.

Aux marches de l’Empire : des ethnies non chinoises

L’ancien Empire chinois était tourné vers l’intérieur et peu intéressé par l’expansionnisme territorial ; il sécurisait ses frontières avec les empires voisins (russe, britannique et japonais) à travers des zones-tampon, marches de l’Empire peuplées d’ethnies non-chinoises et sur lesquelles il n’exerçait qu’une supervision éloignée.

Ce fut le cas du Tibet, du Turkestan, de la Mongolie, de la Mandchourie aussi. Concernant Taïwan, Véronique Niquet rappelle que « le peuplement originel de Taïwan, demeuré majoritaire jusqu’au 18e siècle, appartient à la grande famille austronésienne ».

Chinoise durant …dix ans

Aux autochtones habitant Taïwan depuis des millénaires virent s’ajouter dès le 17e siècle des immigrants provenant de diverses régions du Sud de la Chine. Si les peuples premiers, « composés de seize groupes officiellement reconnus », ne forment aujourd’hui plus que 2,3% de la population, ce fait toutefois plus d’un demi-million de personnes. « Au Parlement, les minorités autochtones disposent d’une représentation spécifique », l’expression publique de leur culture est encouragée et leurs langues (appelées formosanes) enseignées dans leurs aires de peuplement.

Au 19e siècle, quand l’Empire chinois entrait dans sa phase de décadence finale, il eut Taïwan, après deux siècles de suzeraineté fort lointaine, sous son administration directe durant 10 petites années, de 1885 à 1895. Durant le demi-siècle qui a suivi, Taïwan fut japonaise et Valérie Niquet relate que, alors qu’en en Chine continentale les occupants japonais ont laissé un très mauvais souvenir, à Taïwan ce fut plutôt le contraire ; « en 1945, 70% de la population taïwanaise parlait japonais ». De nombreuses institutions de formation et infrastructures témoignent du développement alors entrepris par le pouvoir japonais, qui administrait l’île comme une partie de son territoire étatique et non comme une province occupée.

Ces liens perdurent à travers les relations touristiques (« En 2019, 5 millions de Taïwanais se sont ainsi rendus au Japon et 2 millions de Japonais à Taïwan ») et économiques mais aussi une appréhension commune de la menace chinoise. En s’installant sur l’île, les rescapés des armées nationalistes ont imposé le mandarin face au hokkien, la modalité du Chinois prédominant à Taïwan.

La Chine aurait pu être démocratique

Que la Chine devienne l’Etat unitaire, dictatorial, ultra-centralisé et intolérant face à ses ethnies non han, considérées aujourd’hui comme autant de dissidences inacceptables, n’était pas la seule issue possible. Elle aurait pu se structurer en « une forme de fédération laissant toutes leurs places aux ‘minorités, du Xinjiang au Tibet ou à la Mongolie ‘intérieure’ en passant par Hong Kong et Taïwan ». Ce fut d’ailleurs voici plus d’un siècle le projet politique initial de Sun Yat Sen pour la République de Chine. Force est de constater qu’on s’en éloigne chaque jour davantage.

Chine : un pouvoir fondé sur le mensonge

Les engagements pris par la Chine devant l’ONU de gérer Hong Kong après sa rétrocession en 1997 selon le principe « un pays, deux systèmes » ont été rompus sans scrupules. Pourtant Pékin s’était engagée « à préserver le système judiciaire, l’autonomie des pouvoirs législatif et exécutif de Hong Kong, ainsi que toutes les libertés civiques et politiques »…

De la même manière, Mao n’a pas appliqué un seul mot de l’”Accord en 17 points” qu’il avait imposé au Tibet en 1951, en incorporant cette région de force à la Chine. Ce qui fait souligner à l’auteure « le caractère totalement illusoire de toutes les promesses d’autonomie du régime chinois ».

La radicalisation de la dictature sur le continent est un puissant répulsif à toute « réunification » – inscrite dans le style ampoulé propre aux dictatures dans la Constitution chinoise (« Taïwan fait partie du territoire sacré de la RPC. C’est le devoir sacré de tout le peuple chinois, y compris de nos compatriotes chinois à Taïwan, d’accomplir la grande tâche de la réunification de la mère-patrie »). Mais si au final Taiwan était reconnue comme n’étant pas chinoise, toute la théorie d’« Une seule Chine » s’effondrerait comme un château de cartes et apparaîtrait comme une formidable imposture.

 

Quitter la version mobile