La Suisse et le monde

La COP 27 a tourné à la farce

Tenue dans un Etat policier qui a tout fait pour isoler la COP de la réalité du pays, la 27e du nom entrera dans l’histoire comme une gigantesque farce. Non seulement les lobbyistes des énergies fossiles s’y sont infiltrés par centaines, mais c’est bien la première COP où la volonté de réduire les émissions mortifères de CO2, à la durée de vie dans l’atmosphère d’un siècle, reculait.

De l’action sur les causes au dédommagement des effets

Pas moyen d’obtenir un plan clair de désengagement des énergies fossiles, ni de la part des pays producteurs, ni de ceux qui refusent de baser leur développement sur les énergies renouvelables et la sobriété énergétique. Les grands pollueurs que sont aujourd’hui la Chine et dans une mesure moindre l’Inde ont tout fait pour focaliser le débat sur le financement, par les pays industrialisés historiquement responsable du réchauffement climatique, de la réparation de ses effets, prenant en otage les pays directement menacés par celui-ci.

Sous couvert de justice climatique, on a ainsi déplacé le curseur de la limitation des émissions au dédommagement de leurs effets. Et la réaffirmation de la cible de l’Accord de Paris n’a été obtenue que d’extrême justesse.

Autant dire que la fonte globale des glaces et du permafrost, l’augmentation du niveau des océans, les sécheresses, canicules, incendies massifs de forêts et inondations tout aussi massives vont continuer de plus belle. La recette est diabolique : le mode de développement carboné peut continuer, puisque ses conséquences économiques seront facturées aux pays industrialisés.

Les COP, indispensables révélateurs

Pourtant ce serait une grave erreur de renoncer à ces rencontres annuelles; elles permettent précisément de prendre la mesure de l’état des volontés politiques et d’attribuer clairement les responsabilités. Et nous avons eu de la chance ce mois de novembre 2022: Trump n’est pas encore de retour et Bolsonaro a été battu. Sinon les deux grands Etats d’Amérique, dont ces deux personnages représentent la face climatosceptique et climatodestructrice, auraient eu plaisir à joindre leur voix à celle de la Chine, de l’Inde et de l’Arabie saoudite.

Ces COP sont aussi toujours accompagnées de nombreux rapports et synthèses scientifiques,  contrastant de plus en plus fortement avec ce qui se dit et se décide lors de ces rencontres.

Sols, climat et biodiversité ont partie liée

Ainsi en mai, s’est tenue la COP de la convention sur la lutte contre la désertification, accompagnée de la publication d’un rapport de son secrétariat, « Perspectives territoriales mondiales ». Selon ce rapport, 40% des terres sont désormais dégradées, impactant la moitié de l’humanité alors que voici 5 ans seulement, leur part était de 25%. Il souligne le lien direct entre la dégradation des capacités productives des sols et des écosystèmes, et celle des conditions de vie des populations, conduites à s’entasser dans les bidonvilles, voire à migrer plus loin.

«À l’échelle mondiale, les systèmes alimentaires sont responsables de 80% de la déforestation et de 70% de l’utilisation de l’eau douce. Ils constituent aussi la principale cause de perte de biodiversité terrestre. La santé des sols et la biodiversité sous terre – la source de presque toutes nos calories alimentaires – ont été également largement négligées par la révolution agricole industrielle du siècle dernier » relève ce document.

Dans deux semaines se tiendra la COP de la convention sur la biodiversité, là aussi sur fond d’érosion accélérée de nos bases d’existence. En octobre a paru, comme tous les deux ans, le rapport «Planète Vivante» édité par la société zoologique de Londres et le WWF international. La perte de la biodiversité est suivie à travers de 32’000 populations représentatives de 5’230 espèces de vertébrés (mammifères, poissons, oiseaux, amphibiens et reptile). Entre 1970 et 2018 ces populations ont diminué de 69% et les populations des espèces des eaux douces ont décrû de 83%.

La réduction des effectifs précède la réduction du nombre des espèces. Sur 147’515 espèces suivies par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) 41’459 sont menacées, soit 13% des oiseaux, 27 % des mammifères, 34% des conifères et 41 % des amphibiens. Sur les 8 millions d’espèces vivantes connues, 1 million vont disparaître durant ces prochaines décennies.

Les liens sont évidents entre sols, climat et biodiversité, et ces 3 conventions dites de Rio l’avaient déjà souligné lors de leur adoption au début des années 1990.

Du déni au refus

Le mécanisme du déni de ces enjeux malgré la nécessité constamment réaffirmée que « des changements fondamentaux dans la façon dont les sociétés produisent et consomment sont indispensables pour réaliser un développement durable à l’échelle mondiale » s’est passé en trois phases.

La première phase a été la contrition et l’autoflagellation sans suite. Le meilleur exemple en a été le cri du coeur de Jacques Chirac en 2002 au Sommet mondial du développement durable de Johannesburg: «Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » – attitude dont il a n’a cessé d’être le parfait représentant.

La deuxième fut celle des engagements excellemment formulés mais que la plupart de ceux qui les prononcent n’ont aucune intention d’appliquer. On peut citer ici l’Agenda 2030 des Nations Unies, le droit à l’eau et à l’assainissement adopté en 2010 par l’Assemblée générale de l’ONU, ou encore les divers engagements pris en matière de biodiversité (Déclaration d’Aichi notamment).

Et le 3e stade est celui de la franche opposition. C’est la phase dans laquelle nous nous trouvons actuellement ; tant les Etats que les opinions publiques sont divisés et les partis populistes engrangent leurs voix aussi sur le thème « touche pas à mon mode de vie ».

Faire sa part quoi qu’il arrive

Que faire devant ce blocage, qu’on ressent fortement aussi chez nous dans les polémiques sur la circulation automobile, les produits carnés ou les éoliennes, par exemple ? Ce qui a changé en 30 ans, depuis l’entrée en vigueur des conventions de Rio, est la position de la technique et de l’économie. Comme Bertrand Piccard le souligne à juste titre, les solutions techniques et sociétales sont là, leur bilan écologique, économique et social est excellent. De plus en plus de personnes les appliquent, les proposent, s’y identifient.

Si nous roulions moins, avec un meilleur taux d’utilisation et des véhicules moins puissants, si nous ne mangions que de la viande d’herbivores se repaissant d’herbe de proximité, ce serait déjà une bonne avancée. Nous sommes libres de boycotter les produits nocifs et de promouvoir ce qui est bénéfique. Au niveau des collectivités locales, des acteurs économiques, le changement est en nos mains, quel que soit le spectacle que donnent les acteurs nationaux et globaux. Et « faire sa part » peut être aussi une façon de « sauver sa peau ».

 

 

 

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