La Suisse et le monde

Agriculture, énergie: pénurie ou heure de vérité?

Depuis la guerre menée par Poutine contre l’Ukraine, plus personne ne peut nier la nécessité de revoir les circuits d’approvisionnement. La pandémie du Covid en avait déjà donné un aperçu et on s’était rendu compte à quel point le libre-échange avait un coût non seulement écologique et social, mais aussi géopolitique. La situation actuelle ne fait que le confirmer.

Il reste toutefois incertain que la volonté politique d’un rééquilibrage entre libre-échange (et donc de notre dépendance du bon fonctionnement des relations internationales) et résilience locale soit durable, tant les vertus supposées intrinsèques du libre-échange se sont inscrits dans l’ADN des décideurs des pays industrialisés. Adapter un corpus doctrinal à la réalité est toujours douloureux, on l’a vu avec la chute de l’URSS. Mais ne pas le faire est bien plus douloureux encore.

La pénurie questionne la demande, et pas seulement l’offre

Un autre enjeu est la manière de considérer la pénurie. Et à cet égard on note un parallélisme parfait entre les enjeux énergétiques et ceux de la production agricole. Alors que, en particulier sous l’angle des risques climatiques croissants – que nos étés toujours plus chauds viennent souligner – on avait déjà commencé à questionner les choix privilégiant les perspectives quantitatives, la guerre devrait être l’occasion d’un changement de cap, en prenant le meilleur du passé et du présent pour imaginer un futur à la hauteur de nos attentes…

En effet, la notion de pénurie n’est pas une réalité univoque. En matière agro-alimentaire, elle suppose qu’il est normal que les pays du Sud, en particulier en Afrique, aient négligé leur production agricole vivrière, leurs sortes traditionnelles sélectionnées durant des millénaires pour leur résistance aux conditions locales, et se soient rendus autant dépendants du blé importé.

Elle suppose qu’il est normal que l’on doive satisfaire dans les pays industrialisés une moyenne calorique de 3100 kcal/jour/personne, alors qu’elle dépasse nos besoins nutritionnels d’un tiers. Et qu’elle est obtenue par une course au productivisme qui nivelle les campagnes, les goûts et les sortes, et finalement les paysans eux-mêmes, dont le nombre est en diminution constante, réduisant d’autant nos capacités d’autonomie locale.

Qu’il est normal de dépendre massivement d’intrants importés et polluants, au risque de lourds impacts écologiques. Qu’il n’est pas grave que le monde dépende pour les deux tiers de sa nourriture de 9 espèces végétales, car on a tout sacrifié à une vision purement financière et court-termiste de la rentabilité. Ni qu’on assiste à la perte d’un tiers, entre « la fourche et la fourchette », de la nourriture produite… Tous ces points étant autant de leviers d’action à mettre rapidement en oeuvre!

Quelle stratégie agro-alimentaire pour la résilience des territoires ?

A l’examen, c’est bien la stratégie de « verdissement » de l’agriculture qui nous libère des dépendances, bien plutôt que l’accélération de la fuite en avant. Pourtant c’est cette dernière option que le lobby de l’agrobusiness, incapable de se remettre en question, tente de faire passer, profitant de l’inquiétude ancestrale ne pas avoir assez à manger que le terme pénurie suggère. Et on oublie que le secteur agro-industriel mondial émet 25 à 33 % de tous les gaz à effet de serre anthropogènes. D’ailleurs, la FAO prône aujourd’hui l’agroécologie comme seule façon de nourrir une humanité en nombre croissant sans détruire les sols ni la condition paysanne.

En matière énergétique, le schéma est exactement le même. Alors que depuis un demi-siècle (première crise du pétrole 1973), on connaît les risques géopolitiques et écologiques de notre dépendance du fossile, ce n’est que très progressivement et par à-coups qu’on a valorisé les ressources que nous avons dans notre environnement direct : géothermie, bois, biogaz, eau, vent, soleil, chaleur de l’environnement, qui ne font actuellement à peine que le quart de notre approvisionnement – alors qu’elles sont les plus sûres et les moins polluantes.

Energie : prendre au sérieux les économies possibles

Quant aux mesures pour agir sur la demande, elles sont connues de longue date : chauffer moins en hiver, rouler moins vite, redéployer les transports publics, réduire la place de l’aviation, notamment. Et chaque petite action pour concrétiser cette liste est un combat, qu’on se rappelle des discussions en France sur l’aviation courte distance – et la mise dans un grand tiroir des propositions de la convention citoyenne du climat, malgré l’engagement de Macron de les suivre quasiment à la lettre…

Là aussi la pénurie doit d’abord être l’occasion de redéployer tout l’arsenal du questionnement de la demande, et surtout pas, comme l’UDC vient de le faire sur le mode démagogique qu’on lui connaît, de renoncer aux mesures climatiques et de relancer l’atome. Car si des panneaux solaires ou des éoliennes s’implantent techniquement en peu de mois, prôner le nucléaire ne fait que repousser les échéances d’au moins une décennie. Et pendant ce temps, on ne ferait rien ?

Raser gratis, c’est la promesse des démagogues de toujours, mais on connaît le prix des lendemains qui déchantent. Et dire que d’aucuns continuent à refuser les éoliennes, soit 7% de notre production électrique disponible en peu de temps si les opposants voulaient bien retirer leurs objections d’enfants gâtés. Une chose est sûre : les réponses communes aux risques climatiques et aux risques de dépendance géopolitique existent, à nous de les mettre en œuvre.

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