La Suisse et le monde

Les trois défis de la finance durable

Trois enjeux sont critiques pour la réussite de la nécessaire transition vers la durabilité. La première : une partie suffisante de la population se sent-elle assez concernée et motivée pour s’y impliquer ? La deuxième : si la transition devait aggraver les inégalités sociales au lieu de les réduire, il n’y aura pas d’adhésion de la population. La troisième : la trajectoire de la finance doit être fondamentalement modifiée.

C’est sur ce dernier point que les évolutions ont été les plus rapides. A long terme il ne devrait y avoir plus que de la finance conformes aux exigences de la durabilité, assurant un taux de retour sur investissement raisonnable mais pas abusif, et avec des engagements ayant un impact écologique et social avéré. Même si on en est loin, l’évolution est spectaculaire.

Le dernier rapport de Swiss Sustainable Finance montre une multiplication par 50 en dix ans des activités financières qualifiées de durables en Suisse, passant de 40 milliards en 2011 à près de 2000 milliards en 2021 (environ un quart des actifs sous gestion des banques suisses). Mais tout se passe actuellement comme si on était sur un replat, sur des hésitations, des doutes, des risques pour la crédibilité de la transition du système financier vers la durabilité. Or ce n’est plus le moment d’hésiter, il faut mettre la vitesse supérieure! Et pour ce faire trois questions doivent maintenant être clarifiées.

Première question : qu’entend-on par « durable » ?

Il n’y a pas longtemps encore, des versions assez divergentes de ce que serait la durabilité circulaient. Mais depuis l’adoption par l’Assemblée générale de l’ONU de l’Agenda 2030, avec ses 17 objectifs de développement durable (ODD) et leurs 169 cibles, on ne peut plus affirmer que la durabilité serait à géométrie variable.

Elle apparaît au contraire comme un système d’objectifs concrets et cohérents, définis de manière normative. Et résumée en deux mots, la durabilité signifie proportionner l’empreinte écologique de nos activités aux capacités des systèmes naturels, et veiller à une hiérarchie des besoins. Ces deux objectifs sont loin d’être atteints et le but de la transition est bien d’y parvenir.

En matière de financement durable, un consensus s’est progressivement établi autour de la mesure de l’atteinte d’objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), comme par exemple l’égalité des genres, la neutralité climatique ou encore des possibilités de participation des salarié.e.s.

A ce jour, il manque toutefois une norme mondiale, par exemple définie par un standard ISO, fixant un minimum d’exigences contraignantes à appliquer dans chacune des trois atégories. Certes la « taxonomie » de l’UE a précisé le volet environnemental, non sans controverses (le rôle du gaz et du nucléaire comme énergies de “transition” – donc en quelque sorte provisoirement tolérés – vient d’y être confirmé par le Parlement européen), et on attend avec intérêt les contenus qui seront retenus pour les deux autres volets.

Mais la clé sera la concordance avec le système des ODD, cadre de référence pour de nombreux territoires et organisations, y compris économiques.

Deuxième question : comment mesurer l’état d’atteinte des objectifs fixés ?

Une fois le niveau d’exigence minimum défini (conditions plancher que chaque établissement financier ou gestionnaire de fonds peut ensuite renforcer à sa guise), comment vérifier si l’entreprise cible y répond ?

Il faut pour cela que les deux parties s’équipent : les entreprises doivent, tout comme elles doivent le faire depuis toujours avec la comptabilité financière classique, documenter (avec des données vérifiées voire auditées) leurs performances ESG. Et les établissements financiers devant pour leur part se doter des capacités d’analyser ces performances – de la même manière dont elles disposent d’analystes financiers.

L’approche la plus directe est toutefois celle de la finance d’impact : on ne corrige pas ce qui existe mais cible la mise de fonds exclusivement sur ce qui est positif en termes d’impact ESG, tant au niveau du fonctionnement de l’entreprise que de ce qu’elle met sur le marché.

Troisième question : quelle conséquence tirer d’une notation ESG ?

Quasiment aucune entreprise, aucune personne morale (ni physique d’ailleurs) n’est parfait en matière de durabilité, et les procès d’intention seraient de nature à décourager quiconque voudrait se mettre en chemin.

Il faut donc clairement distinguer entre greenwashing, qui est une forme de tromperie de soi et des autres et qui doit être combattue, et greenwishing, qui est le souhait de s’améliorer, lequel demande au contraire à être soutenu.

Dès lors, il vaut bien mieux (sauf critères d’exclusion bien sûr) doter les investissements ou les crédits alloués de conditionnalités ESG fortes et facilement vérifiables, plutôt que de céder les actifs insuffisamment durables à d’autres investisseurs bien moins exigeants, qui ne feront rien pour faire progresser l’entreprise en cause.

L’ensemble de ces démarches s’inscrivent dans la nécessité de reconnecter l’économie avec les enjeux de société dont elle s’était abusivement détachée, et de conjuguer désormais de pair rentabilités financière, écologique et sociale. Un tournant qui n’a que trop tardé à être initié.

 

Quitter la version mobile