La Suisse et le monde

Guerre: un train peut en cacher un autre

On se rappelle de ces panneaux qui figuraient autrefois France aux abords des passages à niveau: «Attention, un train peut en cacher un autre». L’expression peut désormais s’appliquer à d’autres domaines. En effet, occulté d’abord par deux ans de pandémie, le changement climatique l’est maintenant par la guerre contre l’Ukraine. Or il se poursuit de plus belle, nous promettant des effets dévastateurs bien pires que la pandémie et la guerre réunies.

Malheureusement notre attention n’arrive pas à se focaliser sur plus d’un sujet à la fois, et cassé par le refus de la loi sur le CO2 en juin dernier – qu’il avait pour partie préconisé – le mouvement climatique paraît bien oublié, comme d’une autre époque.

Tout se tient

Or tous ces enjeux sont bien entremêlés, et la guerre d’agression menée par Poutine vient en rappel de l’urgence de sortir du fossile et de se focaliser sur les ressources locales, renouvelables, disponibles dans notre environnement direct. Et surtout, elle souligne la nécessité d’enfin prendre au sérieux la lutte contre le gaspillage et les incohérences de nos modes de produire et de consommer. Le temps des futilités et du prêt-à-jeter est révolu.

Pour ce faire, point n’est besoin de condamner l’automobile, pas plus que le tout-électrique ne saurait être la solution. Mais si déjà on limitait les puissances des véhicules (en interdisant les SUV sauf nécessité professionnelle démontrée, voitures qui émettent 30% de CO2 en plus et constituent actuellement la moitié des nouvelles immatriculations !), développait davantage les transports publics, sécurisait plus largement les déplacements en mobilité douce, imposait le covoiturage pour les personnes faisant le même trajet, on aurait fait beaucoup pour ne plus financer, à chaque plein, les dictateurs, oligarques et corrompus du monde.

Autre lien entre ces sujets : c’est parmi les antivax que se recrutent en Occident les personnes appelant à «comprendre» les motifs de Poutine et son action criminelle. Ils s’alimentent aux mêmes sites de désinformation troubles, animés qu’ils sont par le fantasme de devoir être contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre. Ils condamnent comme « pensée unique» tout consensus majoritaire, même fondé sur l’évidence et recherchent les «dessous des cartes», même là où il n’y en a pas car tout est sur la table… A croire que le virus a aussi attaqué le mental. Pas étonnant que c’est dans ces eaux fangeuses que se recrutent aussi les climatosceptiques, qui continuent de mettre en doute le changement climatique (comme ils ont mis en doute l’existence du virus), son ampleur ou son caractère anthropogène.

Le désespoir du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)

Dans ce contexte le dernier rapport du GIEC («Changement climatique 2022: impacts, adaptation et vulnérabilité»), dûment validé quasiment ligne par ligne par les 195 Etats qui en sont membres, vient nous rappeler le caractère dramatique de l’impasse vers laquelle nous continuons de foncer à toute allure. Même en Suisse, où tout récemment il s’est trouvé une majorité au conseil national pour rejeter, au nom du réalisme économique, l’initiative sur les glaciers visant à interdire les énergies fossiles d’ici à 2050, soit dans … 28 ans.

C’est le monde à l’envers : le réalisme économique commande au contraire de changer radicalement de cap, si l’on veut préserver nos entreprises et nos emplois. Contre la pandémie, on a su prendre des mesures fortes. Pour soutenir l’Ukraine les Etats démocratiques ont été aussi loin que possible – notre pays, dans les deux cas, a suivi et c’est heureux. Mais contre le risque planétaire du changement climatique, rien de comparable. Rien qui puisse nous sortir des schémas de pensée dans lesquels nous restons englués. Dans le rapport du GIEC, le désespoir des scientifiques devant cette folle inertie suinte à toutes les lignes, tout comme celui du secrétaire général des Nations Unies pour qui «ce rapport du GIEC est un atlas de la souffrance humaine et une accusation accablante de l’échec du leadership climatique».

Une guerre contre la nature que nous ne pouvons que perdre

Guerre et changement climatique : deux catastrophes causées par l’homme, expressions d’une même violence faite aux humains et à la nature. Mais gagner la guerre contre la nature, c’est la perdre, et perdre la nature c’est tout perdre. Il est vrai qu’il a fallu une guerre de destruction massive en Europe pour qu’on réalise qui était Poutine, car tant qu’il massacrait en Tchétchénie, amputait la Géorgie du tiers de son territoire et écrasait les villes de Syrie par son aviation en ne prenant aucun risque, cela nous paraissait bien lointain ; même l’éradication systématique de toute liberté d’expression en Russie, la mise au pas de tout son peuple, n’a suscité que notre indifférence polie.

Il en va de même pour le changement climatique. Cette fin d’hiver, les forêts d’Argentine sont en flammes, l’Australie connaît à nouveau des inondations meurtrières. La Banque mondiale annonce pour 2050 220 millions de réfugiés du climat – la moitié de la population de l’Europe. Quand le changement climatique mettra aussi notre continent à feu et à sang, il sera bien tard pour réagir. Ce qu’on appelle un peu négligemment «environnement» (suggérant «luxe de nantis» ou «déco pour bobos») est en réalité la base de toute existence sur Terre, la condition du vivre ensemble sur notre Planète.

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