La Suisse et le monde

Retour du nucléaire ? Il y a mieux à faire !

Le «grand retour» du nucléaire va-t-il signer la fin de la « parenthèse écologique » – inaugurée par le mouvement antinucléaire voici un demi-siècle? C’est en tous cas le rêve d’un certain nombre d’acteurs politiques. Qui ont appris la leçon de l’histoire: la clé est de changer le référentiel des gens, de reformuler l’imaginaire, d’implanter des craintes de pénurie, de bien polluer les esprits. Puis, les réalisations suivront, «quoi qu’il en coûte«…

La recette ? Capitaliser sur le rejet des mesures sanitaires, qui ont décrédibilisé dans de larges milieux la science (le fameux Professeur Tournesol-Raoult ne s’est-il pas déclaré climatosceptique ?). Capitaliser, aussi, sur le rejet du principe du pollueur payeur – qui devrait tenir à cœur à tout adepte du libéralisme économique – en tirant un maximum profit du momentum historique qu’a été le refus de la loi sur le CO2, rejet sur lequel d’aucuns ne se lassent pas de prendre appui pour continuer à mettre la tête dans le sable. Comme par exemple ce 13 février dans le canton de Berne, en obtenant le rejet d’une taxation des SUV, émettant 30% de CO2 de plus que les véhicules ordinaires, par la mobilisation de la peur des seuls qui pourraient vraiment en avoir besoin, les habitants des campagnes (tiens ça donne une idée, pourquoi n’a-t-on pas prévu d’exception pour le monde agricole ?). Capitaliser, enfin, sur le rejet des éoliennes, mais aussi, dans une moindre mesure, de la géothermie, et parfois même du solaire.

La transition à condition qu’on ne s’en aperçoive pas…

Le message est clair : la transition, si déjà il en faut une, ne doit rien coûter à personne, ni aux riches, ni aux pauvres, ni aux entreprises, ni aux collectivités. Elle doit être inodore, indolore, insipide – bref elle n’aura pas lieu. Là aussi les libéraux sont en plein paradoxe, car usuellement raser gratis n’est pas trop leur tasse de thé…

La clé de tout cela ? Nous en avons eu un aperçu à travers le mouvement anti-vax : liberté, liberté sans contraintes, liberté égocentrique, pour Moi, moi et moi. Et on rejoint là le discours du président Bush père déclarant au Sommet de la Terre en 1992 que le mode de vie américain n’était pas négociable. Alors que l’empreinte écologique de ce mode de vie est une agression pour toute de la Planète, et que son résultat, après quelques décennies, est une dégradation certaine de la santé physique et psychique d’une bonne part de la population américaine (dépendance massive de stupéfiants, diabète, obésité…).

Défendre un mode de vie destructeur ?

Défilés d’énormes véhicules pétaradants, empilements de viande rouge cancérigène et de fast food faisant exploser les coûts de la santé, addiction aux médias d’extrême-droite et à leurs ululements répétitifs contre l’avortement, l’homosexualité et pour la famille dite traditionnelle dont ils ne sont nullement l’exemple, le machisme, diverses formes d’intégrisme religieux et de xénophobie (un comble pour une population issue presque exclusivement d’immigrés…) et tous les “hommes forts” du monde, aggravation des inégalités territoriales et sociales sont le visage de cette orientation.

La liberté sans responsabilité ni solidarité, c’est au mieux une illusion, au pire une tyrannie. En matière de mode de vie, il y a un clair parallélisme entre ce qui est bon pour la santé humaine et ce qui est bon pour la santé de notre Terre. Cela devrait faciliter nos choix, mais cela cumule aussi les dégâts quand on ne veut rien entendre.


L’alternative à la durabilité : la non-durabilité, voulons-nous vraiment cela ?

Ne nous laissons pas impressionner. Ne nous laissons pas faire. La seule alternative à la durabilité c’est la non-durabilité, soit l’épuisement rapide des ressources qui fondent la vie sur Terre et l’essor de la loi du plus fort pour s’emparer de ce qu’il en restera. Ce seront aussi 220 millions de réfugiés du climat, selon la Banque mondiale, pour 2050… alors qu’il a suffi en 2015 d’un million de migrants du Proche Orient (sur 500 millions d’Européens) pour installer durablement l’extrême-droite et les régimes « illibéraux » dans les pays de l’ex-Est.

Rétablissons les faits : le nucléaire ? Même s’il était sans dangers, c’est beaucoup trop cher, beaucoup trop lent pour être d’une quelconque utilité face à la montée continue du niveau de CO2 dans l’atmosphère. Les mêmes sommes investies dès maintenant dans l’assainissement thermique du parc immobilier, dans les transports publics, la mobilité douce, le covoiturage, l’électromobilité, et aussi – oui il le faut – dans les diverses énergies renouvelables et disponibles localement que sont l’éolien, le solaire, la biomasse, la géothermie de diverses profondeurs, la chaleur de l’environnement, la force hydraulique… seraient infiniment plus efficaces pour atteindre le but de nous libérer du fossile. Enfin, sur tous les plans, la sobriété énergétique doit désormais s’imposer: la meilleure énergie reste celle dont on peut se passer, et cela c’est notre responsabilité de tous les jours.

Ne pas se laisser détourner du bon chemin

Il n’y a pas d’autre chemin pour réduire les risques géopolitiques, sanitaires, environnementaux de notre dépendance actuelle à 75% du fossile et du fissile. Dans tous les domaines, nous savons quoi faire, comment le faire, comment le financer, nous savons que c’est un gisement d’emplois utiles, non délocalisables et pérennes: aux Etats-Unis, les énergies renouvelables totalisent 850’000 emplois, et le charbon, 100’000 !

Mais il n’y a pas que le CO2, c’est toute notre empreinte écologique qui doit diminuer. Voici ce qu’en dit l’Office fédéral de la statistique : « le déséquilibre entre empreinte écologique par personne de la Suisse et la biocapacité mondiale existe depuis plusieurs décennies. Ce mode de vie est uniquement possible grâce à l’importation de ressources naturelles ainsi qu’en exploitant des biens communs globaux (comme l’atmosphère). Toutefois, ce mode de vie n’est pas durable car la consommation suisse par personne est 2,8 fois plus grande que les prestations et ressources environnementales globales disponibles par personne. Nous vivons donc aux dépens des générations futures et d’autres régions du globe. »

Pour parvenir à réduire notre pression sur les capacités de charge des systèmes naturels (et augmenter d’autant l’empreinte sociale), aller vers la chimie propre, la finance durable, l’économie circulaire, l’agroécologie, les bâtiments à énergie positive (qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment) est infiniment plus productif, intéressant et judicieux que de poursuivre la chimère nucléaire juste par peur de devoir changer quelque peu son mode de vie et ses façons de faire. Ignorons les appels au retour en arrière et comprenons que la vraie liberté, c’est de vivre en harmonie avec autrui et notre environnement, base de toute existence sur terre.

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