La Suisse et le monde

CO2: une loi nécessaire menacée par l’alliance des contraires

Une dangereuse alliance des contraires pourrait, à en croire les sondages, conduire au rejet de la loi sur le CO2. Voici quelques mois encore, personne n’aurait cru à la possibilité d’un tel scénario, tant on décrétait un peu partout l’urgence climatique et la neutralité climatique pour 2050 au plus tard.

Mais dès qu’il s’agit de traduire les belles paroles en actes, c’est-à-dire de passer à la caisse ou de modifier en quoi que ce soit ses habitudes, les objections pleuvent, les bonnes intentions s’effritent. Et on entend à nouveau des voix exprimant un climatoscepticisme des plus primaires. Comme si la fonte des glaces dans le monde, la montée des océans ou les instabilités climatiques « avaient toujours existé » et pouvaient donc être banalisées, alors que le réchauffement, clairement dû aux activités humaines, est deux fois plus important en Suisse qu’en moyenne mondiale.

Les uns rejettent le « capitalisme vert », les autres font appel aux jeunes pour les plaindre de ne plus pouvoir voyager quasiment gratis et se découvrent une vocation sociale. Les deux catégories se retrouvent pour stigmatiser la possibilité que la loi offre d’opérer un quart de l’effort de réduction à l’étranger – alors que les émissions de CO2 induites par nos importations sont le double de celles provenant de notre territoire ! On nous dit aussi que la contribution de la Suisse aux émissions mondiales est négligeable et peut donc être négligée ; or, les accords internationaux doivent être respectés par tous leurs signataires et ne fonctionnent que si chaque pays fait sa part conformément à son bilan carbone national.

Pas d’alliances contre nature!

Que dit la loi tant vilipendée ? Elle fixe un objectif de réduction des émissions depuis notre territoire national, par rapport à 1990, de 35% entre 2021 et 2030 (qui s’ajoute à la réduction de 15% déjà obtenue entre 1990 à maintenant).

Certes, la situation exigerait une réduction plus forte. Mais qu’espérer d’un refus de la loi, qui signifierait que déjà cet effort serait considéré comme excessif ? Car il ne faut pas se tromper : sur les quelque 110’000 signatures du référendum, 100’000 provenaient du lobby du fossile, et 8’000 des jeunes pour le climat; cela donne déjà la clé d’interprétation en cas de refus de la loi : ce ne sera en tous cas pas un appel à des mesures plus incisives.

La loi inscrit, pour atteindre ces – 35% en dix ans, une division par deux, sur cette période, des valeurs limites d’émission de gaz carbonique des véhicules neufs ; fixe des objectifs d’assainissement énergétiques du parc immobilier ; demande que les bâtiments neufs soient neutres en matière de carbone; instaure une interdiction progressive d’installer de nouveaux chauffages à mazout; établit une surveillance des engagements du secteur financier. Autant d’orientations hautement importantes, qu’on pourra aisément renforcer au gré des nécessités climatiques.

Les prix abusivement bas des énergies fossiles, obtenus en occultant les dommages dus aux émissions de gaz à effet de serre qu’elles occasionnent, sont (partiellement) rectifiés par l’augmentation de la taxe sur le CO2 déjà existante, et l’introduction d’une taxe sur les billets d’avion. Que n’a-t-on pas protesté contre le régime d’exception de l’aviation et les prix d’appel des compagnies low cost ? Maintenant qu’on veut y mettre fin, on crie à l’injustice sociale…

Une loi économiquement efficace et socialement juste

Un tiers du produit de la taxe sur le CO2 et la moitié de celle sur les billets d’avion vont permettre de soutenir en particulier l’assainissement énergétique des bâtiments, ou aussi les sources renouvelables de chaleur (comme la géothermie), les économies d’énergie, le ferroviaire et les trains de nuit ; la loi dit explicitement que des carburants écologiques ne peuvent pas être produits au détriment de l’alimentation humaine. Les montants annuels ainsi disponibles sont estimés à environ 1 milliard de CHF.

Le solde sera redistribué annuellement à la population à travers une réduction des primes d’assurance-maladie, comme c’est déjà le cas depuis 20 ans pour la taxe sur les composés organiques volatils. L’application du principe du pollueur-payeur permet aussi de ne pas faire reposer le coût de la transition sur le seul contribuable, et d’introduire un mécanisme d’incitation favorisant le consommateur qui choisit de diminuer son empreinte carbone.

Assez rapidement, ce dernier recevra davantage par la réduction de la prime d’assurance maladie qu’il n’aura dépensé en nouvelles taxes. Déjà maintenant, près de la moitié de la population vit dans des bâtiments non chauffés au fossile, donc n’en serait pas concernée. Pour les entreprises est prévue la possibilité d’un remboursement de la taxe sur le CO2 en fonction d’engagements de réduction des émissions signés avec la Confédération.

Envoyer le lobby du fossile dans les cordes

Oui, cette loi n’est qu’une étape et il s’agira de vérifier régulièrement si la trajectoire de réduction des émission prévue se réalise. Mais si elle est rejetée le 13 juin, ce serait bien la première fois que du refus d’une étape, on déduirait une légitimité accrue pour passer directement à l’étape suivante, nécessairement plus impactante socialement et économiquement (et qui devra viser une réduction massive des émissions de CO2 causées hors du pays, ne serait-ce que pour éviter la délocalisation des activités polluantes).

Faisons déjà l’expérience de la nouvelle loi et définissons, en fonction des résultats atteints et de l’évolution de la dynamique climatique, les mesures qui devront suivre. Mais pour cela, le lobby du fossile doit maintenant être clairement renvoyé dans les cordes. C’est aussi cela l’enjeu du vote du 13 juin.

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