La Suisse et le monde

Les trumpistes au Capitole, fin d’un épisode ou début d’une déstabilisation durable?

Le triste cortège carnavalesque – mais lourdement armé pour certains participants – qui a envahi le Capitole de Washington le 6 janvier 2021 est désormais un fait historique, et figurera dans la chronique comme un arrêt sur image d’une Amérique hallucinée. Hallucination de ceux qui ne voulaient pas voir de qui Trump avait composé son fans-club, quel héritage empoisonné il laisse. Hallucination pour le monde confronté en direct à la faiblesse et à la fragilité de nos valeurs humanistes et de nos sociétés démocratiques. Les ricanements ironiques des dirigeants russes, chinois ou iraniens participent du tableau; il est vrai qu’ils ne prendraient jamais le risque d’une élection autre que celle dont les résultats sont écrits d’avance.

Le symbole du Capitole
Le Capitole ? Le symbole est fort, fort de réminiscences antiques ancrées au fond de nos consciences. Il nous renvoie plus précisément à deux épisodes. Le premier se situe en 390 avant notre ère, tout au début de la grandeur romaine. Cette année-là, Rome est mise à sac par des tribus gauloises (qu’on peut tout à fait s’imaginer sous l’accoutrement du prétendu “chamane” immortalisé sur toutes les photos). Seule la colline du Capitole est épargnée. Les Gaulois tentent de s’en emparer. C’était sans compter avec les oies sacrées qui s’y trouvent et qui donnent l’alerte. L’armée romaine se ressaisit et boute les Gaulois hors les murs. Le second se passe 8 siècles plus tard. Du 24 au 27 août 410, les Wisigoths mettent à nouveau Rome à sac et les contemporains ne s’y trompent pas: les peuples de la périphérie sont de retour, la fin de l’empire est proche.

L’incursion de groupes fanatisés par un président désinhibé et vivant dans une réalité parallèle n’a certes en termes de dégâts humains et matériels rien à voir avec ces deux événements. Mais il y a quelque chose de l’ordre du symbolique qui fait réfléchir. La question qui se pose pour le moins est de savoir si le « sac du Capitole » du début janvier 2021 est le dernier acte grotesque et particulièrement excessif d’une présidence grotesque et excessive, ou le début d’une bataille entre deux mondes, le monde de la transgression érigée en système et un monde organisé, responsable et réfléchi.

Semer le vent et récolter la tempête…
Cette irruption brutale de figures triomphantes, écervelées, hébétées et désorientées à la fois, comme surgies d’un théâtre d’ombres ou d’un film de zombies, toutes persuadées qu’on leur a volé leur vote et leur victoire, a eu le mérite médiatique de montrer au monde entier ce que Trump a fait à l’Amérique. Et mis en évidence que les premiers que Trump a trompés par ses dénis de réalité sont ses propres partisans.

4 années de mensonges systématiques et éhontés, d’insultes et de mépris, d’irrespect de tout et de narcissisme intégral ont légitimé les fantasmes, le complotisme et les bas instincts d’un public au bord de la révolte depuis longtemps. Trump lui a donné une identité et une parole, au prix de semer la division et la méfiance pour longtemps. 40 millions d’Américaines et d’Américains qui croient réellement qu’on leur a volé leur vote, c’est un héritage véritablement diabolique. En cela, la cohorte hébétée qui a mis à sac le Capitole n’est que le sommet d’un immense iceberg sur lequel la démocratie américaine peut encore venir se fracasser plus d’une fois.

Trump assume ainsi la très lourde responsabilité d’avoir attisé, renforcé, facilité les mauvais côtés de l’être humain et le diable sociétal qu’il a fait ainsi prospérer ne retournera pas dans sa boîte de sitôt. Trump la Tromperie faite homme, Trump, le boute-feu irresponsable. L’absolu inverse d’un Gandhi, d’un Mandela ou d’un Martin Luther King, qui au contraire ont su mobiliser le bien en l’humain.

Les chemins de la réparation : Le respect qui entraîne le respect
L’élection – avec tout de même 8 millions de voix de différence – de Biden donne aux valeurs de respect et d’humanisme une deuxième chance. Mais ce n’est qu’un répit. L’équipe gouvernementale qui va prendre les rênes du pays aura fort à faire pour réduire les inégalités, reconstruire les infrastructures, faire sentir concrètement aux millions de délaissés géographiquement et économiquement qu’on les prend en compte. Et pour trouver des majorités aussi face à des perdants républicains qui ont tout intérêt à jouer la politique du pire.

La clé de toute reconstruction est bien de renouer avec le respect mutuel, qui commence par le respect de soi-même. A la base de la révolte des exclus se trouve le manque de respect qu’ils subissent et ressentent au quotidien, le sentiment de n’être (plus) rien, et que ceux qui dirigent (appelés l'”élite”) n’ont que mépris pour eux. Aucune confiance ne pourra renaître sans y remédier. Dans ce sens, la première tâche de Biden sera de ne pas stigmatiser les victimes crédules de son prédécesseur sans foi ni loi, mais de regagner leur coeur.

Certes Biden n’est pas un nouveau Martin Luther King et ne saurait l’être. Mais il peut être un nouveau Roosevelt, qui après une terrible dépression ayant entraîné une paupérisation de masse, a littéralement reconstruit et ressoudé son pays. Infrastructures, sécurité sociale, égalité de chances, durabilité, le chantier est immense. Mais il offre aussi la grande chance d’une vaste mobilisation populaire positive qui pourra chasser les démons de la division et le souvenir.

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