La Suisse et le monde

“Ce virus, on n’en peut plus”

«Ce virus, on n’en peut plus» disait Alain Berset récemment (Le Matin Dimanche du 9 août). Et pourtant, si un ministre, si un gouvernement, a constamment fait preuve du sens de la mesure et de la proportionnalité, c’est bien le nôtre. En comparaison internationale, nous pouvons être clairement positifs sur la manière dont nos autorités ont géré la crise.

Six mois après les premières restrictions décidées sur notre continent, un arrêt sur image s’impose. Tout d’abord, malgré les légendes urbaines et les fake news qui circulent abondamment, la nécessité d’agir est claire. La comparaison entre la Suède qui mise essentiellement sur la distanciation sociale et qui compte 85’000 personnes touchées à ce jour et 5’783 décès, et la Norvège, qui applique une politique sanitaire restrictive et qui compte 10’000 malades et 261 morts, l’illustre bien. Rapporté à la population (avec 10,5 millions d’habitants, celle de la Suède est en gros le double de celle de la Norvège), l’écart est clair et net : ordre de grandeur de 1 à 5 pour les malades, de 1 à 10 pour les décès…

Il fallait donc agir. Mais comment ? Il a souvent été dit que le virus avait mis cruellement en lumière les inégalités dans le monde. Et en effet, selon le degré de protection sociale et de développement humain d’un pays, les impacts tant de la pandémie que des politiques appliquées ont été bien différents.

La clé : associer mesures sanitaires et mesures économiques et sociales

En Europe, on a globalement su mitiger les effets des mesures de restriction de la vie économique, sociale et culturelle par la mise en place rapide et efficiente d’importants moyens: passage massif aux temps partiels permettant de sauvegarder le potentiel d’emplois ; soutiens tout aussi massifs et rapides aux entreprises en difficultés ; filet social fonctionnel malgré diverses lacunes. Le grand défi sera toutefois de voir comment maintenir ces soutiens si la pandémie se prolonge par trop.

Aux Etats-Unis, du fait d’une protection sociale fort déficiente, les mesures sanitaires ont un effet économique et social bien plus lourd. Pour cette raison principalement, elles n’ont d’ailleurs été prises que de manière incomplète et hésitante. Finalement, le pays aura perdu sur les deux tableaux : l’économico-social et le sanitaire. La comparaison entre les deux modèles, Européen et Américain, est claire.

Encore faut-il que ce soit possible…

Quant au Sud, le dilemme y est souvent dramatique. Si un gouvernement prend des mesures de restriction fortes, il met des millions d’emplois précaires en péril, faisant (re)plonger une bonne partie de la population dans la misère, voire la faim. S’il hésite à agir sur ce plan, l’impact économique et social est moindre ; par contre, le nombre de victimes explose, un peu sur le modèle suédois.

La faiblesse du système sanitaire, le manque d’équipements, la grande difficulté à y avoir accès lorsqu’on n’a pas de moyens financiers, les distances à parcourir, rendent très difficile la prise en charge des malades. Quant à la prévention, elle rencontre rapidement ses limites dans la promiscuité dans les bidonvilles et le manque d’eau propre.

Car, dans le monde, plus de 600 millions de personnes n’ont pas accès à de l’eau de qualité acceptable, un milliard vivent dans des taudis voire dans la rue, 2,4 milliards sont privés d’accès à des soins de base… autant de victimes toutes désignées du virus. Tout comme le sont les personnes obèses, diabétiques et autrement affaiblies par les maladies dites de civilisation – dont le nombre croît de manière importante dans les pays « émergents », en relation directe avec l’essor de la « malbouffe » industrielle.

Une guerre asymétrique

Nous ne pouvons que nous féliciter, disions-nous, du sens de la mesure dont a fait preuve notre gouvernement. Mais sur la durée, on ne pourra pas continuer à vivre masqués, à subir le yo-yo des restrictions suivies de périodes plus ou moins brèves de retour à la « normale »… Tôt ou tard, la question va se poser, de manière de plus en plus lancinante : pourquoi ce volontarisme contre ce seul virus, et pas contre les autres grandes atteintes à la santé?

La malbouffe, cause de l’augmentation annoncée de 30% des cas de diabète entre 2015 et 2025 (près de 2,5x plus que l’augmentation de la population mondiale)?

Les pesticides particulièrement toxiques, qui tuent par an un quart de million de personnes dans le monde ? La pollution de l’air, cause de 7 millions de morts par an ? La bilharziose et l’onchocercose, maladies tropicales qui touchent des centaines de millions de personnes ? Pourquoi cette croisade contre un virus certes redoutable et ce laxisme, cette passivité dans les autres cas ?

On peut aller plus loin encore. Les plastiques omniprésents attaquent gravement la vie des océans ; la biodiversité se fragilise sous nos yeux ; le changement climatique s’emballe d’une manière pratiquement irréversible sous les coups de la fonte du permafrost (libérant d’énormes quantités de méthane), des incendies de forêts (libérant massivement du CO2 et surtout détruisant tout aussi massivement les capacités d’en stocker) et de la montée des océans (de 4 mm par an actuellement). Là aussi, beaucoup de discours, peu d’actes, en tous cas pas de guerre déclarée à ces menaces vitales.

Au contraire, dans le monde, suite à un autre virus, mental, politique, celui-ci, le virus populiste, nationaliste et autoritaire, les dirigeants « illibéraux » renforcent et accélèrent encore la destruction des bases de la vie. Tant que l’on ne combattra pas avec la même énergie ces dérives extraordinairement dangereuses, on ne pourra empêcher de plus en plus de personnes de considérer à la longue le port du masque… comme une mascarade.

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